26 janvier 2011 : la victoire au finish qui a sauvé le Grand Paris express

« Sans l’accord du 26 janvier 2011 sur le Grand Paris express, le projet n’aurait sans doute jamais vu le jour », affirme Maurice Leroy. Retour sur les coulisses d’un accord de fusion de deux projets concurrents, « Arc express » d’un côté, porté par Jean-Paul Huchon, alors président de la Région, et le « Grand Paris » de l’autre, soutenu par l’Etat et conçu sous la houlette de Christian Blanc.

C’est sans doute la formule de ce fin connaisseur du dossier qui résume le mieux cette période-clé dans l’histoire du Grand Paris. « En voulant incarner à tout prix un contre-projet, Christian Blanc aura été le meilleur allié objectif de la région Ile-de-France ». Une façon de dire qu’en tentant d’imposer sa vision à la collectivité, il a renforcé celle-ci, soudant la majorité régionale contre un adversaire commun et hissant en la combattant la Région au niveau de l’Etat. Incontestablement, l’histoire de l’accord du 26 janvier 2011 tient beaucoup aux personnalités qui s’affrontèrent au cours des mois précédents. Christian Blanc, haut-fonctionnaire, est souvent dépeint comme aussi autoritaire que cassant, « méprisant même, voire injurieux pour les élus locaux », selon les termes de Jean-Paul Huchon, au profil nettement plus rond. Les deux hommes ont travaillé ensemble au cabinet de Michel Rocard, alors Premier ministre. Mais le courant entre eux n’est jamais passé.

Maurice Leroy et Jean-Paul Huchon. © Acteurs du Grand Paris

Dès sa nomination, Christian Blanc avait annoncé à Jean-Paul Huchon, dans un unique entretien, au climat glacial, « qu’il l’amènerait à résipiscence ». Ambiance. « Mais la crise éclate réellement juste avant le premier discours de Nicolas Sarkozy à la Cité de l’architecture, le 29 avril 2009, lors duquel le président dévoile alors publiquement pour la première fois le projet de tracé du réseau du Grand Paris », se souvient Stéphan de Faÿ, qui fut directeur de cabinet adjoint de Christian Blanc et de Michel Mercier, éphémère ministre de l’Espace rural, de l’Aménagement du territoire et du Développement de la région Capitale, puis conseiller de Maurice Leroy, ministre de la Ville.

Christian Blanc, qui planche depuis le printemps 2008 sur son grand projet de métro automatique, n’en a pas dit publiquement un seul mot depuis sa nomination. L’homme cultive le secret et n’a confiance en personne, pas même dans l’administration de l’Etat. Il n’en aura pas dit tellement plus lorsqu’il quitte ses fonctions, le 4 juillet 2010, dans les volutes de l’affaire des cigares. Le discours de Nicolas Sarkozy a donc l’effet d’une petite bombe.

Une semaine avant, Marc Véron, alors encore directeur de cabinet de Christian Blanc, avant d’être nommé président de la Société du Grand Paris en juillet 2010, a annoncé à Jean-Michel Thornary, directeur général des services du conseil régional, la crise à venir, en partie souhaitée. « Christian Blanc était en effet lucide sur le fait que sans crise, et sans résolution de celle-ci avant la présidentielle, le projet de métro serait progressivement détricoté sous la pression de Bercy. La crise était donc à la fois une opposition de visions, mais aussi une manœuvre tactique », décrypte Stéphan de Faÿ.

Deux tracés concurrents

L’objet de l’affrontement ? La coexistence de deux tracés donc : l’un présenté pour la première fois quelques années plus tôt à Montreuil (Seine-Saint-Denis) par Jean-Paul Huchon lors d’une des premières conférences métropolitaines et baptisé « Arc Express » et l’autre, dénommé « Grand Paris » et conçu par l’ancien président de la RATP et d’Air France. Les deux tracés sont en rocade. Mais celui de l’Etat forme une double boucle, alors que celui de la Région comprend deux arcs, l’un au sud, et l’autre au nord, qui ne se rejoignent pas.

Tous les acteurs interrogés le reconnaissent sans peine. Au-delà du tracé, c’est la philosophie de ces deux projets qui les distingue. « L’Etat voulait agrandir Paris, renforcer l’agglomération parisienne dans la compétition mondiale, faire à la fois le Grand Paris des transports, de la recherche, de la culture. La Région voulait améliorer le réseau de transports existant », atteste Jean-Paul Huchon lui-même. « Le désenclavement de Clichy Montfermeil et du nord de la Seine-Saint-Denis dans les ambitions du projet de l’Etat diffère également radicalement de celui de la Région. Sur le fond, cette ambition est sans doute celle qui a fait que, dans la compétition entre projets, Arc Express n’avait aucune chance de passer », ajoute Stéphan de Faÿ.

« Jean-Paul Huchon voulait construire une Région totale »

En filigrane, d’autres combats, d’autres visées, plus politiques, percent. « Jean-Paul Huchon était un décentralisateur convaincu. Il souhaitait forger une Région « totale », à l’image des Länders allemands, indique Jonathan Sebbane, alors conseiller transport au cabinet du président de la région Ile-de-France. C’est dans cet esprit que la Région avait accepté la décentralisation des transports dans les années 2000 ». « L’Etat, conscient du poids de la première région économique d’Europe, a souhaité reprendre la main. On s’est dit que dans le binôme que je formerais avec Christian Blanc, ce dernier prendrait l’ascendant », estime Jean-Paul Huchon.

La perspective d’une série d’élections, cantonales en mars 2011, sénatoriales en septembre, puis présidentielle et législatives en 2012, avivent les tensions. Les protagonistes savent que si aucun accord n’intervient avant ces échéances, le projet du Grand Paris, dont le réseau de transports constitue l’épine dorsale, pourrait être remis en cause dans son ensemble. Des concurrences technologiques et industrielles existent également, la RATP, leader mondial des métros « pneus sur rail », défend son modèle, tandis que la SNCF cherche à imposer un train « roue en fer sur rail en fer », comme le décrit Pascal Auzannet dans son ouvrage de référence sur le sujet (1).

Christian Blanc. © Jgp

Au final, à l’automne 2010, démarre une enquête publique au cours de laquelle sont présentés deux tracés concurrents, devant des habitants d’abord médusés, puis en colère. Pour Alexandre Missoffe, chargé de la cellule argumentaire de la jeune Société du Grand Paris pour cette enquête – une des plus importantes jamais organisées en France par le nombre de ses participants, de ses réunions et la taille de ses enjeux -, le succès de cette concertation a joué un rôle clé dans la conclusion de l’accord du 26 janvier 2011.

« Les ministères concernés, qui consultaient les PV de réunion chaque soir, se sont vite rendus compte que le maintien de deux tracés concurrents n’avait aucun sens aux yeux de la population », indique l’actuel directeur général de Paris-Ile de France Capitale Economique. Des habitants qui expriment avec force, également, leur impatience quant à l’état des transports en commun franciliens. « En résumé, les gens nous disaient, mettez-vous d’accord et faites-nous un métro efficace, rapidement », résume Alexandre Missoffe. Mais le désaccord entre les deux camps reste intact, chacun campant fièrement sur ses positions.

Maurice Leroy entre en scène

Le 14 novembre 2011, lors du 3e gouvernement de François Fillon, l’entrée en scène de Maurice Leroy comme ministre de la Ville en charge du Grand Paris va changer profondément la donne. Dix ans plus tard, aucun acteur ne compte les superlatifs pour décrire l’incroyable « liant » de ce professionnel de la politique et son « exceptionnelle intelligence », comme le souligne Jean-Paul Huchon. « J’ai été ébloui par son sens de la négociation », ajoute l’actuel directeur général de Grand Paris aménagement, Stéphan de Faÿ.

« Maurice Leroy a quitté le Parti communiste pour le Centre, sans que les communistes lui en veuillent », résume Damien Robert, secrétaire général de la chambre des notaires de Paris, qui fut membre de son cabinet, pour illustrer son aura. L’élu, qui fut trois fois vice-président de l’Assemblée nationale, possède une connaissance fine de l’Ile-de-France. Il a été directeur de cabinet de Gaston Viens, maire d’Orly, et de Michel Germa, président du département du Val-de-Marne. Celui qui est encore président du conseil départemental du Loir-et-Cher prend rapidement la mesure du défi qui l’attend. Et met en œuvre, pour atteindre un accord avant la fin de l’enquête publique, fixée au 30 janvier 2011, soit un peu plus de deux mois après sa prise de poste, ce que l’architecte Roland Castro appellera « la méthode Momo ».

« J’ai organisé, chaque mardi, au ministère de la Ville, une réunion avec les différentes parties prenantes, se souvient Maurice Leroy. Avec une règle : je ne veux que les “number one”. Si vous n’êtes pas là tant pis. Interdit de se faire remplacer ». Sont présents Jean-Paul Huchon, le préfet de Paris et de région Daniel Canépa, Pierre Mansat, qui représente le maire de Paris Bertrand Delanoë, Pierre Mongin et Guillaume Pépy, respectivement présidents de la RATP et de la SNCF, André Santini, président du conseil de surveillance de la SGP, Marc Véron, président du directoire de la SGP, Jacques JP Martin, président de Paris Métropole, Bertrand Lemoine, directeur de l’Atelier international du Grand Paris, et les architectes de l’AIGP, Jean-Marie Duthilleul et Roland Castro.

« J’étais ami avec Roland [Castro], avec lequel j’avais travaillé pour Charles Pasqua lorsque nous avions mis en œuvre pour le conseil départemental des Hauts-de-Seine un vaste plan d’harmonisation sociale et urbaine », indique Maurice Leroy. Lors de la première réunion de ce club Grand Paris, premier du genre, sans statut ni formalités, les travaux, entamés à 16 h, s’achèvent à 21 h. « J’ai alors invité tout le monde à monter au premier étage où nous attendait un buffet à base de produits du Loir-et-Cher et de vins de Touraine, raconte l’actuel directeur général adjoint de l’entreprise publique Mosinjproekt (chargée de gérer les projets du Grand Moscou). Tout le monde est venu, et en partant, vers minuit, Roland Castro et André Santini chantaient l’International bras-dessus bras-dessous », poursuit-il.

Démineur

Mais on aurait tort de réduire la fameuse « méthode Momo » à un certain savoir-vivre à la française. Le ministre de la Ville rencontre, chaque semaine, la quasi-totalité des acteurs en bilatéral, pour déminer le dossier. « C’était le ministre des burettes d’huile, dit Thomas Hantz, alors membre de son cabinet en charge de la communication. L’une pour assouplir les rouages, l’autre pour mettre le feu », ajoute l’actuel responsable des relations avec les médias de la Société du Grand Paris.

Claude Guéant et Boris Ravignon à l’Elysée – l’implication de Nicolas Sarkozy lui-même est souvent citée comme un facteur clé de la réussite du lancement du projet -, Daniel Canépa, préfet de région, dans sa résidence du 138 rue Saint-Dominique, font partie de ces rencontres hebdomadaires. Les cabinets de la Région et du ministre, Yannick Blanc et Jonathan Sebbane d’un côté, Thomas Degos, Damien Robert et Stéphan De Faÿ de l’autre, échangent également régulièrement, dans un climat de confiance retrouvée.

Maurice Leroy fait de la politique. Il doit gérer les Verts de la Région, Cécile Duflot et Jean-Vincent Placé en tête, hostiles aux deux tracés, singulièrement opposés à ce qu’un métro aille jusque dans les terres encore largement agricoles de Saclay. « Ainsi, en quelques semaines, des gens qui se foutaient sur la gueule arrivent à sympathiser, à se connaître et à échanger. Voilà qui change tout », estime Maurice Leroy. Parmi ces différentes personnalités, beaucoup découvrent à cette occasion qu’ils ont en commun un lien avec le Loir-et-Cher, qu’ils y possèdent une maison, y chassent, y ont de la famille…

Maurice Leroy parvient à trouver un accord à l’Assemblée nationale sur le schéma directeur de la région Ile-de-France, alors bloqué. © Jgp

Le dispositif fonctionne. L’ancien maire du Poislay parvient même à trouver un accord à l’Assemblée nationale sur le schéma directeur de la région Ile-de-France (Sdrif), qui est alors bloqué. Et le 26 janvier 2011, l’accord est signé. Exit « Grand Paris » et « Arc express », vive le « Grand Paris express » !

« Début janvier, personne n’y croyait, se souvient Thomas Hantz, qui, par deux fois, doit annuler les communiqués rédigés pour annoncer l’accord. « Chacun a compris qu’il fallait faire un pas », résume Jean-Paul Huchon. L’Etat, qui participe largement au financement de la rénovation du réseau existant au travers de son plan de modernisation, a fait comprendre à la Région que, sans avancée de sa part, « il serait difficile d’inscrire ces dépenses (10 milliards d’euros au final) au sein du contrat de plan Etat-Région », comme le rappelle Daniel Canépa.

Le nombre de stations, que Christian Blanc avait imaginé extrêmement réduit, son projet ne visant qu’à relier des pôles économiques – on ne dit plus clusters –, est laissé ouvert dans l’accord. Son nombre sera porté à 68 aujourd’hui. Surtout, le tracé retenu crée une deuxième ligne à l’est et il est convenu de reporter dans le temps le tronçon de la ligne 18 reliant Versailles à Saclay, à la grande satisfaction des élus de Seine-Saint-Denis, Claude Bartolone en tête, vent debout contre le tracé initial de Christian Blanc.

« Je suis fier de ce qui s’est passé ce jour-là », confie Jacques JP Martin, maire de Nogent-sur-Marne, alors président du syndicat mixte Paris métropole. Pour le président du Sipperec, qui figure parmi les pionniers de la construction métropolitaine, la signature de l’accord du 26 janvier 2011 montre « que les élus sont humains ». « Ma fierté, poursuit-il, provient de ce que les élus ont préféré converger sur une solution qui prenait en compte les usages, les besoins des populations à un positionnement politique, théologique ».

 

(1) Les secrets du Grand Paris, ed. Hermann

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