V. Mancret-Taylor : « Tout le monde se revendique du Grand Paris »

Pour Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU), la construction du Grand Paris, qui se déroule dans un territoire déjà très fortement aménagé, nécessite de placer l’habitant au cœur des projets, et de veiller à l’acceptation sociale de ces derniers.

VMC2Vous travaillez sur le Grand Paris ?

L’IAU a deux conventions en cours directement liées au Grand Paris : l’une signée avec le syndicat mixte d’études Paris Métropole, l’autre avec la mission de préfiguration de la métropole du Grand Paris. Ce qui est important pour nous, c’est d’aider à la fois les néophytes et les décideurs économiques et institutionnels, à comprendre ce qui se passe. Parce qu’il y a du brouillage sur les ondes. Le Grand Paris, on sait comment il est né, on en connaît tous l’intérêt, en tout cas tous ceux qui se sont impliqués dans sa construction. Mais le citoyen a besoin de décryptage. Il ne sait pas réellement, aujourd’hui, s’il s’agit d’un projet de transport, d’un projet institutionnel, ou de logement. Il ne sait pas s’il s’agit d’un projet d’aménagement, d’un projet économique porté par un certain nombre de sociétés qui en portent la marque. Le citoyen ignore s’il s’agit d’un territoire en particulier, parce que désormais, tout le monde se revendique du Grand Paris… C’est pourquoi il existe aujourd’hui, avec le Grand Paris, un effet marque, et en même temps un effet processus, une dimension projet qui nécessitent d’être expliqués.

Vous faites de la pédagogie ?

Il faut expliquer que l’on évolue, en Ile-de-France, dans un territoire qui est déjà très aménagé. Ce n’est d’ailleurs pas propre à l’Ile-de-France, mais à l’ensemble du pays et d’une manière générale, à tous les pays occidentaux. On possède un niveau de sophistication, un niveau d’aménagement, un niveau de richesse et de confort élevé, même s’il existe des secteurs, des territoires de très grand inconfort. La question des déséquilibres territoriaux est un sujet qui nous occupe beaucoup et qui nécessite beaucoup d’analyse et de pédagogie. Par ailleurs, le haut niveau d’aménagement général du territoire doit nous obliger collectivement à comprendre que tout nouveau projet, c’est du plus. Dès lors, nous sommes face à une succession de projets qu’il faut arriver à décrypter. J’utilise le terme de recyclage pour expliquer que les divers opérateurs interviennent sur de l’existant. Il ne faut donc pas oublier les habitants. Ce sont eux qui vont profiter, à terme, des projets du Grand Paris, mais c’est également eux qui vont subir les travaux occasionnés par ces projets. Les habitants savent, si la communication a été bien faite, que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Mais en même temps, ils ont besoin de comprendre par quel processus passe la réalisation des projets. C’est une condition importante pour leur permettre d’exprimer leur avis mais également pour  vivre aussi sereinement que possible la période des travaux. Il y a donc une question d’acceptation sociale des projets d’aménagement du Grand Paris.

Vous travaillez pour la Région et pour le Grand Paris, n’est-ce pas contradictoire ?

Absolument pas, les choses sont totalement imbriquées. Le nouveau Grand Paris par exemple est la fusion, après des débats politiques et techniques complexes, entre le Grand Paris Express qui est porté par la Société du Grand Paris et le plan de mobilisation pour les transports, porté par la Région. Des évolutions législatives récentes ont permis de remettre les dossiers dans le bon ordre. En effet, la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, qui a créé la Société du Grand Paris, ne l’avait pas placé sous l’autorité du STIF. Désormais l’autorité organisatrice des transports qu’est le STIF, peut pleinement exercer son rôle d’organisateur vis-à-vis de la SGP comme elle le fait vis-à-vis de la RATP ou de la SNCF, afin que l’ensemble des transports collectifs, à terme, soit fonctionnel. Lorsque les réseaux ne sont pas coordonnés, vous obtenez des hauteurs de quai qui ne sont pas adaptées, ou des gares mal positionnée dans l’urbain, ce qui est inutilement coûteux… Autre exemple, la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris prévoyait que les Contrats de Développement Territorial (CDT) échappaient au Schéma directeur de la région Ile-de-France. La loi Duflot a rétabli la hiérarchie des normes. Elle n’a pas supprimé les CDT, qui constituent et favorisent de vraies dynamiques locales. Mais certains CDT ont pu parfois prévoir une production excessive de bureaux, sans vue d’ensemble. Or le Schéma directeur de la région Ile-de-France (Sdrif) constitue bien le document de référence principal. Les contrats de développement territorial et leurs projets de territoire doivent désormais être compatibles avec le schéma directeur et non l’inverse… La coordination d’ensemble, qu’il s’agisse de réseaux ou d’aménagement est un art à cultiver dans des régions comme l’Ile de France.

Quelles sont vos principales missions, au-delà du Grand Paris ?

Les évolutions législatives font qu’il existe aujourd’hui un grand nombre de schémas, environnementaux, économiques, transports, habitat etc… L’IAU travaille à la mise en coordination et perspective d’ensemble et s’attaque à l’évaluation de ces schémas, autant qu’à la prospective et à la formation. Nous essayons de répondre à la question de savoir de quoi demain sera fait, aussi bien au plan économique qu’au plan des mobilités, qu’au plan sociétal. Et puis nous disposons de bases de données gigantesque sur I’Ile-de-France que nous actualisons et analysons sans cesse. Nous disposons d’un réseau informatique qui est absolument énorme et d’une médiathèque avec une collection extraordinaire de documents sur la construction de l’Ile-de-France. On sait à peu près tout sur l’île-de-France, c’est un peu prétentieux mais c’est vrai. L’enjeu c’est de partager cette connaissance, au mieux.

Quel regard portez-vous sur la région ?

L’Ile-de-France est comme vous le savez une région très composite et complexe, avec un hypercentre, et quel hypercentre, puisque c’est la capitale de notre pays. La petite couronne constitue à elle seule un territoire très varié également. Et puis, bien entendu, on s’intéresse à l’ensemble des territoires  de la grand couronne, avec, là aussi, des différences réelles et des similitudes comme par exemple, la Seine-et-Marne et les Yvelines. Nous décryptons ces différences, ces variations et essayons de révéler les dynamiques de tous les territoires.

Comment analysez–vous la crise du logement que connaît l’Ile-de-France ?

Une des premières difficultés à construire réside dans le cout du foncier, forcément élevé dans une région capitale. Les prix sont également élevés à Londres, à New York, ou Tokyo. Mais les délais de réalisation sont sans doute très longs en Ile-de-France où, pour construire se succèdent différentes étapes, conception, obtention du permis de construire,  délais de recours, avant que ne débutent les différentes phases de la construction… Lorsque vous êtes dans une région capitale de 12 millions d’habitants, auxquels s’ajoutent les flux de touristes, il n’est pas toujours simple d’acheminer des granulats et d’évacuer des gravats, de creuser des trous… Il existe aussi un coût induit, qui requiert une acceptation sociale et la réalisation et le financement d’équipements et de services. La Région aide les communes en la matière, puisque de mémoire, elle a dû investir 200 millions d’euros sur la période qui vient de s’écouler, uniquement dans l’accompagnement en matière d’équipement des maires bâtisseurs. Par ailleurs, comme je l’ai exprimé plus tôt, la question des processus est essentielle pour arriver à construire mieux et plus. Je pense que c’est le sens à donner au futur SRHH et au plan de mobilisation pour le logement et l’aménagement, souhaités par les pouvoirs publics

Quels sont vos différents outils ?

Les Visiaus constituent un outil très apprécié de nos partenaires. Ils permettent de tout savoir sur l’habitat francilien, sur les équipements culturels, l’environnement, l’énergie  et les réseaux de transport. Avec le « Mos », nous faisons de l’analyse de « l’ortho-photo ». C’est un travail qui est actualisé tous les quatre ans. Il s’agit d’une photo aérienne qui a été prise de façon orthogonale par rapport au sol régional, ce qui permet de ne pas introduire de biais dans son interprétation. On interprète cette photo du territoire notamment pour constater l’évolution de l’usage du sol. Cet outil nous a ainsi permis de nous rendre compte d’un inversement de tendance en la matière, avec un ralentissement très net du mitage des terres agricoles. Nous réalisons par ailleurs des cartes interactives, à l’instar de la wikimap’Projets, ouverte le mois dernier. Nous avons repéré les quelque 1600 projets en cours en Île-de-France, de toutes sortes : projet d’écoles, d’aménagement, de jardin, bref tout ce qui se prépare et qui se réalisera. Vous pouvez y accéder en cliquant sur la zone de la carte qui vous intéresse, ou effectuer une recherche par mot clé. Chacun peut également alimenter cette carte en y entrant des informations. Il se trouve que cet outil permet de combattre la pensée « décliniste », selon laquelle cela ferait dix ans qu’il ne se passe rien en Île-de-France, qu’il ne s’y construirait rien, que l’on serait en retard par rapport à Londres. Et bien en réalité, et la wikimap’ le démontre, beaucoup de projets sont en cours en Île-de-France, la moitié dans le périmètre de la future métropole  et l’autre moitié dans le reste de la région. L’abécédaire de la future métropole du Grand Paris, dont nous venons de réaliser le carnet 2 avec l’Atelier parisien d’urbanisme, (Apur), sous l’égide de la mission de préfiguration de la métropole du Grand Paris permet également d’éclairer les savoirs. Nous y recensons de multiples projets qui se développent.  Cet abécédaire montre bien qu’il se passe des choses, dans un monde en pleine transformation et avec des sujets comme l’économie circulaire, l’économie solidaire, l’économie du tourisme ou de la culture. Nous essayons de comprendre le fonctionnement des territoires qui vont connaître un développement, ceux qui portent des projets qui peuvent provoquer de la controverse entre le développement économique et les enjeux environnementaux…

Comment êtes-vous organisés ?

En plus de nos services ressources, nous disposons d’un département mobilité et transport, d’un département environnement urbain et rural, d’un département démographie, d’un département de l’habitat etc…. L’IAU, c’est aussi une mission étude et sécurité, l’Institut régional de développement du sport, l’Observatoire régional de santé, le département économie et le département urbanisme et aménagement du territoire…. Nous sommes dotés d’un pôle planification qui s’occupe notamment du Schéma directeur de la région Ile-de-France (Sdrif), mais qui assure également la coordination de ce schéma avec les autres schémas, je pense au Schéma régional de développement économique et d’innovation (SRDEI), ou au schéma régional de cohérence écologique. Nous avons également un pôle gouvernance qui traite de toutes les questions institutionnelles, des questions liées à la fiscalité locale, de toutes les questions de compétences des différents niveaux de collectivités territoriales et des évolutions qui seront issues du PJL NOTRe. L’aménagement c’est un petit peu comme la médecine, il existe une spécialisation accrue des domaines, la technicité est de plus en plus importante mais il ne faut jamais perdre la vue d’ensemble. Si je prends, par exemple, les sujets environnementaux, le sujet énergétique  ou celui de la biodiversité, ils nécessitent tous des compétences spécialisées. Même la question de l’habitat est de plus en plus complexe. Même chose sur les questions de planification, de gouvernance, ou sur les questions internationales, pour lesquelles on a besoin de compétences extrêmement pointues. Nous sommes donc organisés en équipe de projets, légères et agiles, de 3 à 5 personnes maximum, qui mobilisent ensuite dans nos départements les compétences spécifiques en fonction de la commande à laquelle nous répondons, ou en fonction de la prospective que nous menons.

Quels types de missions effectuez-vous à l’étranger ?

Nous effectuons des comparaisons internationales sur différentes politiques publiques et sur des questions institutionnelles. Nous menons actuellement des missions au Vietnam, au Chili, au Brésil ou en Éthiopie. On joue dans ces pays un rôle de bureau d’étude, on élabore des schémas pour le compte de diverses institutions étrangères. Nous sommes reconnus comme ayant une vraie compétence en matière de planification et de schéma, puisque cette fonction fait partie de notre ADN, depuis notre création. Ce qui intéresse ces pays étrangers, c’est notre capacité à gérer toutes sortes de données, démographiques, économiques, géographiques, et de faire de la prospective sur cette base, de bâtir des scénarios, afin de permettre aux élus locaux et nationaux de choisir. Nous pouvons également faire du conseil sur le plan réglementaire voire éventuellement jusqu’au plan programmatique. Nous avons actuellement une partie des équipes de l’IAU qui est au Vietnam, une partie de l’équipe qui travaille sur Addis-Abeba, une autre qui effectue une mission sur l’Amérique du sud, et nous avons une vraie envie aussi d’aller voir vers l’Afrique.

Quelle est l’actualité de l’Institut ?

Mercredi 11 février 2015 nous porterons à l’Assemblée nationale un débat sur la notion du Bassin de vie. Nous invitons tous les élus franciliens à venir discuter de ce « terme » présent dans le projet de loi NOTRe. Nos travaux sur le sujet feront l’objet d’un cahier Coupes et découpes territoriales Quelle réalité du Bassin de vie ? dont les premiers articles sont déjà sur notre site. Ainsi nous continuons à mener notre mission d’éclairer le débat. Tous nos travaux sont en ligne car nous mettons à la disposition de tout citoyen des outils de compréhension du monde dans lequel il vit et des enjeux à venir. Nous revendiquons ce rôle de support du débat citoyen. Notre programme de travail 2015 est vertigineux mais nous aurons une véritable satisfaction à la fin de cette année si la connaissance des différents territoires qui composent l’Ile-de-France  est mieux partagée tant par les habitants, que par les décideurs et si les dynamiques, que nous observons, deviennent un bien commun.

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