Architectes, urbanistes, aménageurs, foncières, établissements prêteurs, chercheurs publient le 8 octobre 2020 le premier numéro d’un Journal des nouvelles urbanités. Une publication annuelle présentant une série de réflexions pluridisciplinaires sur la fabrique de la ville, qui formule 14 propositions.
« Face aux urgences — environnementales, sociales, sociétales — nous, acteurs des villes et des territoires, expérimentons et fabriquons de nouvelles urbanités », proclame l’éditorial du numéro 1 du Journal des nouvelles urbanités. Un 48 pages au format berlinois et à la typographie recherchée, en kiosque dès jeudi 8 octobre, foisonnement de réflexions et d’idées, fruit de deux ans de travail d’un collectif d’acteurs et d’opérateurs divers.
« Au quotidien, les Grands Voisins, Shakirail, la Station Gare des Mines, Ground Control, La Cité Fertile, Coco Velten, les Halles du Faubourg, la Padaf, la Friche Lucien, la Grenze, « Des Milliers d’Ici » et tant d’autres, font la démonstration que l’on peut faire de la ville, de la convivialité, de la solidarité, de la mixité fonctionnelle, de l’emploi, des services, du logement, des loisirs, de la culture, de la formation, de la mobilité, du commerce et des espaces publics autrement », poursuivent Vianney Delourme (Enlarge your Paris), Valérie Disdier (Ecole urbaine de Lyon) et Charlotte Girerd (SNCF Immo).
La biennale de Venise comme point de départ
« Nous nous sommes retrouvés en nombre au Pavillon français de la Biennale d’architecture de Venise, en 2018, baptisée « Lieux infinis » et orchestrée par Encore heureux architectes, indique Vianney Delourme, cofondateur avec Renaud Charles d’Enlarge your Paris. Architectes, urbanistes, aménageurs, foncières, établissements prêteurs, chercheurs, nous avons voulu nous interroger ensemble sur la nouvelle façon de fabriquer la ville, et susciter des initiatives », poursuit-il.
Une volonté de ne pas se cantonner à un manifeste théorique, mais à ancrer ses réflexions dans le réel, confirmée par la Banques des territoires, partenaire du projet. « La richesse de notre réflexion collective provient à mon sens de son interdisciplinarité », résume Camille Picard, directrice territoriale Seine-Saint-Denis et Val d’Oise à la Caisse des dépôts. « Nous sommes tous des acteurs de la fabrique de la ville, des opérateurs confrontés au réel. Nous intervenons, par exemple avec SNCF Immo sur le projet Toit temporaire urbain, et travaillons régulièrement avec les notaires de l’étude Cheuvreux. L’Apur est également notre partenaire, tout comme Plateau urbain. Nous nous sommes croisés au hasard de nos missions, et avons souhaité nous réunir pour partager nos questions, nos analyses, nos intuitions », poursuit-elle.
« La Banque des territoires intervient à toutes les échelles, poursuit sa directrice Ile-de-France Marianne Louradour, avec la Métropole, mais aussi au travers de programmes tels que Action cœur de ville ou Petites villes de demain. Nouvelles urbanités est une démarche qui vise à encourager une mutation de la manière de faire la ville, déjà engagée par certains territoires et qui est rendue encore plus nécessaire dans le contexte de crise actuelle. »
Inventer l’après
Au cours des deux dernières années, les membres de ce collectif se sont réunis dans une série de lieux emblématiques de la nouvelle fabrique de la ville, à l’instar de « Vive les Groues », à Nanterre, d’un site d’hébergement d’urgence d’Aurore, des Grands voisins ou de Ground control.
« Nous avons mené un long processus de réflexion, rédigé ce premier journal, il reste désormais à inventer l’étape d’après, afin que tout ce travail, fruit d’une réelle mobilisation de l’ensemble du collectif qui s’est ainsi créé, aille nourrir les territoires », ajoute Camille Picard. « Un voyage à Paris, Lyon et Marseille nous a réuni le week-end dernier, pour aller découvrir une série de sites et d’initiatives remarquables, à l’instar de ce que fait « Yes we camp » à Marseille », indique encore Vianney Delourme. Le Journal des nouvelles urbanités, se divise en trois parties : crises, ressources et outils et s’achève par 14 propositions.
Les 14 propositions
Le Journal des nouvelles urbanités suggère en conclusion « 14 propositions d’actions à mettre en œuvre dans les trois ans » :
1. Avant chaque construction neuve, vérifier si un bâtiment déjà existant peut accueillir les usages attendus soit par de la mutualisation d’espaces, soit par des aménagements.
2. Identifier dans son patrimoine ou sur son territoire trois bâtiments vacants à ouvrir aux projets solidaires.
3. Adopter dans les plans locaux d’urbanisme (PLU) une « destination mixte temporaire à impact social et culturel ».
4. Créer un fonds de garantie pour le financement d’amorçage des projets solidaires.
5. S’engager à réserver 20 % des surfaces d’activités créées à des loyers minorés.
6. Visiter les sites de projet.
7. Faire de la marche collective un outil de diagnostic partagé.
8. Utiliser des outils de concertation permettant d’intégrer les usagers aux décisions d’aménagement sur le temps long, de la conception à l’exploitation.
9. Se former au réemploi, à l’expérimentation et à l’hybridation des usages.
10. Participer à des programmes scientifiques.
11. Recenser et documenter les réalisations dans son territoire.
12. Mesurer et suivre les impacts de ses réalisations.
13. Mettre en commun et diffuser les apprentissages.
14. Faire connaître ces nouveaux modes de fabrication urbaine.
Dominique Alba, Emilie Moreau, Apur ; Raphaële D’armancourt, l’USH ; Nicolas Delon, Encore Heureux architectes ; Nicolas Détrie, Yes We Camp ; Sihem Habchi, Aurore ; Michel Lussault, École Urbaine de Lyon ; Benoît Quignon, SNCF Immobilier de 2016 à 2020 ; ville de Marseille depuis septembre 2020 ; Charlotte Girerd, SNCF Immobilier ; Michèle Raunet, Raphaël Leonetti, Cheuvreux Notaires ; Simon Laisney, Paul Citron, Plateau Urbain ; Marianne Louradour, Camille Picard, Banque des Territoires ; Valérie Disdier, Ecole Urbaine de Lyon ; Vianney Delourme, Renaud Charles, Enlarge Your Paris.
Extraits
« Certes, les fractions les plus denses des métropoles sont devenues des machines à rentes économiques, la gentrification (souvent analysée de manière très superficielle) y est effective, mais cela ne doit pas faire oublier que l’urbanisation du monde est largement une périurbanisation (parfois très lointaine). C’est en périphérie que bon nombre de terriens habitent, travaillent, consomment, créent de nouvelles urbanités, etc. C’est en périphérie que les compositions les plus hybrides entre l’urbain et les systèmes biophysiques s’observent. C’est en périphérie que les problématiques mobilitaires sont les plus aiguisées. La soi-disant « compétition » entre les deux modèles n’est donc ni nouvelle, ni prête d’être close et je préfère quant à moi observer le système urbain dans la variété de ces géo-types et de ces expressions sociales et politiques ».
« Nous avons mis de l’efficacité partout, il est urgent de remettre du bien-être. Nous produisons un système générique d’habitat, d’urbanisme, dans lequel on voudrait penser que les gens vivent de manière spécifique, mais en réalité on leur fabrique un cadre de vie générique qui prépare le terrain aux crises, et dans tous les cas qui les amplifie. Nous avons collectivement mis en place un système très efficace, mais qui ne fabrique plus de valeur urbaine. De cela, nous sommes tous responsables. Et c’est pour ce faire que nous avons créé le groupe des Nouvelles Urbanités : pour poser des questions, pour les partager, essayer d’avancer. Pour poser aussi un regard critique sur la façon dont nous travaillons, dont sont menés les projets d’architecture stérilisés par leur propre système ».
« Si je m’intéresse au modèle économique de l’architecte, celui-ci est payé au pourcentage du marché de travaux, et c’est un signal anti-écologique puisqu’il est ainsi incité à émettre du carbone. Alors que son option pourrait, au cas par cas, être toute autre avec une intervention légère en termes de travaux, associée à une mobilisation lourde des ressources en présence, y compris humaines. Ce qui évidemment ne change rien à la quantité de travail fournie. Pour avancer, il faudrait changer le mode de rémunération, créer des rapports de force différents afin d’aller vers un mieux-disant à la fois écologique et humain ».
« Il faut prioritairement reconnecter le producteur au consommateur car il y a aujourd’hui un très grand problème de confiance : on ne sait pas ce que l’on mange, d’où cela vient, comment c’est produit. Évidemment, on parle beaucoup de local, de bio, de circuit court, mais les limites sont vite atteintes : Nicolas Bricas, chercheur au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) rappelle par exemple que pour nourrir Montpellier, il faudrait que toutes les terres agricoles de l’Hérault y soient dédiées. Pour changer le système, l’essentiel est de lier production et distribution : aujourd’hui nous avons des fermes de masse alors qu’il faudrait des masses de fermes, des groupements d’achats, des moyens de distribution qui permettent au consommateur de redevenir acteur de sa consommation ».
« Nous avons fait le constat très positif que le Grand Paris était relativement marchable — d’ailleurs nous l’avons traversé plusieurs fois à pied en suivant le tracé du métro —, et qu’il était à une taille humaine. Pour autant, dans de nombreux territoires, le piéton fait face à l’héritage d’un XXe siècle qui a organisé la domination de la voiture et de ses infrastructures et parsemé la banlieue de dépôts logistiques, zones commerciales, aéroports, faisceaux ferroviaires et autoroutes, des servitudes indispensables, mais qui, par leur ampleur et leur nature, font qu’à leur abord on ne marche pas ou alors on marche mal et sans plaisir. Du coup, notre conviction est que le projet de métro, c’est-à-dire un transport souterrain, va forcément atténuer toutes ces fractures le long de son tracé, créer des passages et in fine devrait améliorer la place des piétons. C’est une hypothèse que nous avons partagée avec des architectes, philosophes, sociologues et marcheurs, et avec la Société du Grand Paris [structure publique en charge de la construction du métro NDLR], lors d’une conférence organisée en 2019 à la Maison de l’architecture en Île-de-France, et nous travaillons lors d’ateliers in situ, avec des habitants et des chercheurs ».
« À l’instar des tendances que l’on constate en matière de logement, où l’usage classique du droit de propriété est désormais dépassé par de nouvelles formes juridiques (accession progressive à la propriété par des montages en société ou en indivision avec un investisseur, bail réel solidaire sur un foncier détenu par un organise foncier solidaire garant d’une politique publique, etc.), ne pourrait-on pas imaginer un dispositif dans lequel le propriétaire, sans perdre ses droits sur son bien, accepte que « la chose », le « lieu » a une vocation sociale qui le dépasse et qui doit être pérennisée ? Naturellement, il ne s’agit pas de remettre en cause le droit exclusif de tous les propriétaires sur leurs biens ; la propriété privée est un droit fondamental de notre Constitution et doit être protégée en tant que telle. Mais, dans certains cas, ou pour certains types de propriétaires comme les personnes publiques dont les compétences sont ordonnées à la satisfaction de l’intérêt général, on pourrait imaginer de sortir d’une simple logique de contractualisation d’un titre d’occupation, via une obligation réelle qui s’incorporera à la chose au-delà des simples rapports personnels propriétaire/occupant ».