Th. Dallard : « 20 milliards d’euros de travaux auront été engagés fin 2019 »

Dans une interview exclusive au Journal du Grand Paris, Thierry Dallard détaille les conclusions de l’audit présenté mardi 25 juin 2019 aux membres du conseil de surveillance. Il confirme la réalisation de l’interopérabilité des lignes 15 est et sud à Champigny. Le président du directoire de la Société du Grand Paris revient sur le recours à la conception-réalisation pour les lignes 15 est et 15 ouest, et sur l’état d’avancement du projet.

– Quels étaient la genèse et l’objectif de l’audit sur le Grand Paris express réalisé par PwC, que vous venez de présenter au conseil de surveillance de la Société du Grand Paris ?

Thierry Dallard, président du directoire de la Société du Grand Paris. © Jgp

Cet audit résulte d’une demande formulée par les élus avant mon accession à la présidence du directoire de la Société du Grand Paris. Je comptais commander également un audit, considérant qu’il est normal qu’un nouveau président s’enquiert de disposer d’un tel état des lieux. Avec deux objectifs principaux : établir un référentiel commun, qui ne soit pas pollué par des polémiques risquant de perturber la marche opérationnelle de l’entreprise. C’était aussi pour moi une façon de construire une série d’indicateurs, afin de procéder à des points réguliers sur l’exécution des différentes mesures mises en œuvre. Tous les trimestres, tous les ans, ou tous les trois ans selon les sujets, des rendez-vous permettront de mesurer l’évolution du projet au regard de ces indicateurs. Sur ces sujets, un film vaut mieux qu’une photo.

– L’audit confirme le sous-dimensionnement des effectifs de la SGP ?

90 % des difficultés soulignées par cet audit, la grande majorité des obstacles que nous devons résoudre et des risques auxquels nous sommes exposés ont en effet pour fait générateur le sous-dimensionnement des effectifs de la SGP au cours des huit dernières années. Que ce soit au sujet du nombre d’interfaces, à propos de la multiplicité des assistants à maîtrise d’ouvrage et globalement du nombre de prestataires extérieurs trop élevé.

– Ce déficit est en passe d’être résorbé ?

Un plan de recrutement a été rendu possible, en effet, par la décision d’Edouard Philippe de supprimer le plafond de 200 agents qui nous était imposé jusque-là. Dès lors, le suivi des recrutements va constituer un indicateur majeur. Nous avons d’ailleurs déjà mis en place ce suivi, dont l’audit ne vient que confirmer le bien-fondé : tous les trimestres, nous réalisons un point avec les élus et l’ensemble des membres du conseil de surveillance sur l’état de nos recrutements et plus globalement sur l’avancement du projet.

Aujourd’hui, nous avons recruté 100 des 200 personnes que nous souhaitons engager au cours de l’année 2019. Mais je suis prudent : les 100 premiers ont été possibles grâce au vivier de candidats que l’on avait déjà identifiés car ils gravitaient déjà autour de la SGP. Nous sommes arrivés aujourd’hui au bout de ce vivier. C’est pourquoi nous nous sommes attachés, depuis le printemps, les services de chasseurs de tête, qui vont démultiplier notre capacité à aller chercher de nouveaux talents.

– Ces rendez-vous réguliers permettront également de contrôler le respect des calendriers ?

Nous sommes actuellement en train de vivre une montée en charge inédite de nos chantiers, le nombre de tunneliers passant de 4 à 15 à la fin de l’année en cours. Beaucoup n’ont pas encore compris que le projet était en train de se faire. 20 milliards d’euros de travaux auront été engagés d’ici à la fin de l’année. Dans un an, à l’été 2020, les tunneliers auront atteint leur vitesse de croisière. On pourra alors constater si leur rythme d’avancement prévisionnel est respecté. Je m’inscris dans la continuité de ce que j’ai dit il y a un an, lorsque je suis arrivé : il faut pouvoir régulièrement, sur la base de ces indicateurs, être en capacité de vérifier, en toute transparence avec le conseil de surveillance et les élus locaux concernés, que l’on se situe bien dans les clous, ou si un plan B doit être prévu. J’ai voulu cette méthode et c’est ce que nous mettons en œuvre.

Edouard Philippe. © Jgp

– Le rapport d’audit insiste sur la nécessité d’une vision globale, notamment entre la construction et l’exploitation, alors même que le ou les exploitants du Grand Paris express ne sont pas encore connus ?

Si 90 % de nos difficultés provenaient du sous-dimensionnement de la SGP, les 10 % restantes sont consubstantielles au découpage prévu par la loi, qui a réparti les rôles entre la SGP pour la construction, la RATP-GI pour la maintenance des infrastructures tandis qu’Ile-de-France mobilités (IDFM) est chargé de choisir un ou plusieurs exploitants. Ces interfaces, qui constituent autant de zones de risques, sont sources de mauvaise transmission de l’information et créent des problèmes d’arbitrage. Une difficulté dont tout le monde est conscient depuis plusieurs années, c’est que, dès lors que vous dissociez les responsabilités, entre la maintenance d’un côté et la construction de l’autre, il n’est pas possible d’optimiser le coût complet. Est-ce que j’investis davantage pour dépenser moins en maintenance, ou bien doit-on faire l’inverse ? Personne ne peut se poser la question, faire la somme des deux, à la recherche de l’optimum.

Nous nous efforçons donc de faire en sorte que les équipes se rapprochent. Certains problèmes sont aussi liés au fait que nous ne connaissons pas encore l’exploitant à l’inverse de nombreux projets de transports. Pour y faire face, nous étudions avec IDF mobilités, la possibilité d’initier un dialogue avec les exploitants autorisés à concourir, durant le processus d’appel d’offres, avant même que le lauréat définitif soit désigné, à l’image de ce qui prévaut dans le cadre d’un dialogue compétitif.

– L’audit de PwC confirme l’opportunité que représente le recours à la conception-réalisation, dès lors que les projets sont parfaitement définis en amont ?

La conception-réalisation nous pousse à être vertueux, parce que l’on ne peut pas lancer une telle procédure alors que des sujets demeurent à traiter. Autrement dit, le rapport approuve le choix de la conception-réalisation pour les lignes 15 est et 15 ouest sans en masquer les enjeux : le recours à ce régime exige que le programme soit parfaitement défini en amont. Nous allons définir et affiner le programme de ces deux lignes en étroite collaboration avec tous les élus locaux. Nous avons déjà un certain nombre d’études mais de nombreux aspects demeurent à régler, en matière de génie civil, concernant les modes de construction, les cadences, les méthodes. L’intérêt de faire appel à un concepteur-constructeur réside dans le fait que l’on peut ainsi connaître et dialoguer avec le constructeur très tôt, dans une phase d’optimisation de la conception. Nous attendons donc beaucoup des entreprises, en termes de créativité, d’innovation, au sujet des modes de construction. Il existe, par exemple, de réelles optimisations techniques possibles en modifiant très légèrement, de quelques mètres parfois, les tracés.

– Certains architectes craignent que le recours à la conception-réalisation conduise à une révision des plans déjà dessinés ?

Nous allons évidemment capitaliser sur l’existant. Je distinguerais en l’occurrence ce qui est du domaine des gares de ce qui relève du génie civil en général. Concernant les gares à proprement parler, l’objectif est là de capitaliser sur tout le travail effectué, non pas simplement pour ce qui concerne les plans d’architectes, mais aussi en matière de concertation avec les élus. Comme je viens de le dire et comme je l’ai souligné à l’occasion de la conférence de ligne de la 15 ouest : il n’est pas question d’engager un appel d’offres si l’on n’a pas convergé collectivement sur un programme avec les élus.

Gare des Ardoines

La gare des Ardoines. © SGP/Valode et Pistre

– Cet audit liste-t-il des économies réalisables ?

Ce n’est pas sa vocation. Le seul plan d’économie, c’est celui que j’ai proposé au Premier ministre à la fin de l’année dernière, qui dit qu’il n’existe pas de plan structurel, listant les économies comme on dévoile le palmarès du festival de Cannes. Il est normal de rechercher des économies, non pas d’ailleurs pour rendre leur produit, mais pour abonder des réserves mobilisables en cas d’aléas. Nous devons notamment constituer des provisions pour des aléas non identifiés.

Je pense que nous ne sommes pas au bout de nos peines, compte tenu des nombreuses difficultés techniques qu’il nous reste à résoudre. Ces optimisations, que l’on doit réaliser en permanence, ont donc vocation à alimenter ces provisions. Le projet demeure inchangé, de même que son coût, mais plus l’on dégage de marges de manœuvre, en étant plus astucieux, et plus on se place en capacité d’affronter ces imprévus.

– Vous avez lancé, au cours de l’année écoulée, trois émissions obligataires couronnées de succès ? 

C’est l’autre sujet de ces 12 derniers mois. Le modèle de la Société du Grand Paris repose sur une logique d’endettement à long terme, conjointement à des ressources fiscales affectées à l’entreprise. Rappelons qu’en 2019, nous allons dépenser 3,8 milliards d’euros, alors que nos recettes issues de la fiscalité ne s’élèvent qu’à 800 millions d’euros environ. L’emprunt est donc indispensable à la tenue du rythme de construction du métro automatique. C’est le rythme des chantiers qui fixe le rythme de l’endettement de l’entreprise alors que, dans un fonctionnement budgétaire classique, ce sont les ressources annuelles disponibles qui définissent la capacité d’un maitre d’ouvrage à réaliser le chantier.

Or, nous devons aller vite, d’abord pour limiter les nuisances au maximum dans un environnement urbain très contraint. Ensuite, pour offrir dès que possible des mobilités nouvelles aux millions de Franciliens qui les attendent. Enfin, pour bénéficier des considérables retombées liées à la mise en service du réseau puisque, je le rappelle, à terme le Grand Paris express va générer une augmentation du PIB de la France d’environ 10 milliards d’euros par an.

– Pour revenir aux obligations, pouvez-vous détailler les financements actuels de la SGP ? 

Jusqu’en 2018, la Caisse des dépôts et la Banque européenne d’investissement étaient nos seuls prêteurs. Pour la première fois à l’automne dernier, nous avons lancé une émission obligataire, sous la forme de green bonds. Il s’agit d’obligations adossées à un projet respectant un certain nombre d’exigences en matière de protection de la biodiversité, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de reconstruction de la ville sur la ville, bref, qui s’inscrit résolument dans une logique de développement durable. Cette première levée de fonds a été un succès. Nous avons levé 1,7 milliard d’euros sur 10 ans. Cette opération a été renouvelée au mois de mars sur 15 ans, et au mois de mai sur 31 ans. Chaque fois, la demande a été deux fois supérieure à ce que nous souhaitions emprunter. Cela passe relativement aperçu, mais si ce modèle économique n’avait pas fonctionné, on ne dépenserait qu’un cinquième de notre budget.

– L’interopérabilité des lignes 15 est et sud à Champigny est confirmée ? 

Le conseil de surveillance de la SGP a en effet suivi la recommandation du directoire de maintenir l’interopérabilité entre les lignes 15 est et sud à Champigny, en séparant bien les choses entre le chantier, les infrastructures, et la politique d’exploitation. C’est la concertation approfondie que nous avons organisée avec tous les acteurs concernés, en nous appuyant sur quatre experts et un garant indépendant, qui a permis d’objectiver tous les paramètres : la robustesse, les chantiers, l’accessibilité et le coût.

Ripage du pont-rail de Champigny, hiver 2017 © Jgp

Ce sujet est relativement complexe. Et rares sont ceux qui en ont fait le tour complet, même chez les professionnels. Il s’agit d’une combinaison entre une rocade et deux fourches. Un premier enjeu lié à l’interopérabilité est relatif à la robustesse du réseau. Nous avons donc souhaité approfondir cette question avec nos partenaires, notamment Ile-de-France mobilités. L’autre sujet de préoccupation provient du fait qu’en échangeant avec les collectivités locales, je me suis aperçu que tout le monde n’avait pas la même interprétation de ce qu’était l’interopérabilité. Que tout le monde n’avait pas compris quelles seraient ses conséquences en termes de chantier.

Comme nous devons aller vite, afin de tenir le calendrier de 2030, il fallait à tout prix que ces questions soient traitées et purgées avant le lancement de l’appel d’offres. Il y avait aussi, dans ce dossier, une économie potentielle de l’ordre de 130 millions d’euros à la clé. Mais très vite également, la complexité politique du sujet s’est révélée au moins aussi grande que la complexité technique et que la question des économies. Aujourd’hui, chacun est parfaitement au courant, je dirais même conscient, des conséquences de l’interopérabilité, notamment les chantiers et les nuisances liés à la réalisation des ouvrages nécessaires et les possibles complexités futures d’exploitation.

Les experts ont confirmé que le sujet de la robustesse du réseau de la ligne 15 méritait un travail s’appuyant sur la mise en service et surtout sur la présence d’un exploitant. La SGP va réaliser l’installation, mais les sujets d’exploitation et de robustesse demeurent sur la table. A IDF mobilités de les apprécier.

– En quoi l’interopérabilité a-t-elle un impact sur la robustesse du réseau ?

Aujourd’hui, le retour d’expérience que nous avons en Ile-de-France en matière de lignes automatiques est constitué de la ligne 14, qui s’étend sur une quinzaine de kilomètres, portée demain à 34 km. Les experts considèrent qu’il s’agit déjà d’une étape importante. La ligne 15, c’est 75 km de linéaire et une forme en rocade. Or plus la distance et plus le nombre de gares sont élevés, plus la probabilité d’aléas est grande. Sur une ligne classique, de bout en bout, on sait assez facilement réguler ces aléas à partir des deux terminus. Concrètement, on enlève des trains ou on en ajoute. Sur une rocade, il n’existe pas d’endroits naturels où opérer. Cela constitue un facteur de complexité supplémentaire.

– Y aura-t-il bien une gare du Grand Paris express à La Défense ?

Certains articles ont créé le doute pour faire le buzz en tordant des propos. Je le dis, je le répète : il y aura une gare à La Défense. Le projet de gare actuel est d’une immense complexité. Nous devons donc étudier toutes les variantes possibles car l’objectif, c’est bien que toute la ligne soit mise en service en 2030. Pour sécuriser ce calendrier, nous examinons actuellement un autre site, au sud du centre commercial des 4 Temps, évitant les contraintes techniques que suppose un passage sous le centre commercial. Nous espérons obtenir une meilleure visibilité sur la faisabilité de cette construction à la fin de l’année en cours. L’objectif étant de pouvoir l’intégrer dans le premier appel d’offres de conception-réalisation.

Le parvis de La Défense. © Jgp

– Vous avez avancé sur l’unification de la gestion des gares, concernant leur maintenance d’une part et leur exploitation de l’autre ?

C’était un des angles morts pointés par Gilles Carrez dans son rapport de l’été dernier, à la fois d’un point de vue législatif et financier. Ce rapport avait pointé le fait que dans la loi de 2010, la RATP était désignée comme mainteneur de l’infrastructure du réseau mais pas de celle des gares. Et par interprétation globale de la loi, on en concluait que cela revenait à la SGP. Deuxième sujet, financier celui-là, les recettes programmées pour la SGP étaient prévues pour financer la construction du réseau, mais pas pour prendre en charge ses coûts de maintenance. Il existait, en quelque sorte, un trou dans la raquette juridique et financier.

Nous avions déjà convenu, avec IDF mobilités, qu’il faudrait un seul opérateur pour la maintenance et l’exploitation des gares. Nous avions envisagé de régler cela par voie de convention. Par contre, en effet, un amendement parlementaire à la loi d’orientation des mobilités (LOM), qui vient d’être adoptée à l’Assemblée nationale, règle ces trois sujets à la fois. Il prévoit que l’ensemble représenté à la fois par la maintenance de l’infrastructure et des gares sera confié soit à la RATP soit à IDF mobilités. IDF mobilités, dans son cahier des charges, prochainement émis pour gérer l’appel d’offres de l’exploitant du réseau y intégrera la maintenance des gares. Il reprend donc à sa charge le financement de la maintenance des gares.

Steffie, premier tunnelier de la ligne 15 sud. © Jgp

– Quel bilan tirez-vous, après un an à la tête de la SGP ?

Enormément de travaux ont été engagés. Je ne reviens pas sur la réorganisation de l’entreprise, l’ouverture de méthodes nouvelles comme la conception-réalisation, le recrutement de nouveaux cadres dirigeants pour le comex, l’ouverture de certains sujets sensibles comme La Défense, l’interopérabilité ou le viaduc de la ligne 18. Je citerais aussi la réussite des émissions obligataires, qui viennent confirmer le modèle de la SGP. Je me félicite aussi d’un enthousiasme qui demeure intact au sein de la société. J’ai l’intime conviction que ce projet va encore rencontrer des crises de natures très différentes, que l’on ne franchira que si tout le monde travaille ensemble et dans le même sens. Le calendrier peut être tenu. Nous ne serons peut-être pas au rendez-vous à chaque fois. Mais j’ai la conviction que l’on doit être solidaire pour franchir les obstacles et les crises qui ne manqueront pas de survenir.

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