Th. Lajoie : « Accélérer, innover, regrouper »

Changement de statut, croissance record de l’activité, plan stratégique, Thierry Lajoie se livre à un bilan d’étape. Le président de Grand Paris aménagement en profite pour dire tout le bien qu’il pense de la mise à l’échelle des opérateurs de l’aménagement francilien. Il revient également sur l’esprit des contrats d’intérêt national et la nécessité d’équilibrer davantage les opérations d’aménagement.

Vous êtes sur le point d’être reconduit à la tête de Grand Paris aménagement dont le premier conseil d’administration renouvelé vient de se réunir le 29 février 2016. Qu’est-ce que cela change dans les faits ?

Un décret du 31 juillet 2015 a transformé l’Agence foncière et technique de la région parisienne (AFTRP) en Grand Paris aménagement. Il s’agit de la première pierre d’une transformation qui se poursuivra jusqu’au 1er janvier 2017, date de notre regroupement effectif avec les EPA de Plaine de France et d’Orly Rungis-Seine Amont (EPA Orsa). Le conseil d’administration de Grand Paris aménagement demeure composé à parité de représentants de l’Etat et des collectivités locales.

Lajoie©jgp

Thierry Lajoie, PDG de Grand Paris Aménagement.

Mais je suis très heureux d’y accueillir des personnalités très éminentes et diverses, représentant tous les territoires franciliens. Je suis par exemple honoré que l’ancien ministre Didier Bariani, vice-président de la région Ile-de-France en charge du Grand Paris, devienne mon vice-président aux côtés du préfet secrétaire général aux affaires régionales Yannick Imbert ; que le vice-président de la région en charge du logement et de la ville, Geoffroy Didier, siège personnellement au conseil ; ou que les présidents de conseils départementaux Stéphane Troussel pour la Seine-Saint-Denis, Christian Favier dans le Val-de-Marne, François Durovray en Essonne et Arnaud Bazin du Val d’Oise, aient choisi de siéger personnellement parmi nous. Sans compter les parisiens Jean-Louis Missika ou Jacques Baudrier, et d’autres encore, élus de proximité. Et puis nous accueillons des représentants de l’Etablissement public foncier d’Ile-de-France (Epfif), de la Société du Grand Paris (SGP) ou de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) : c’est important pour nous.

Pourquoi une telle recomposition ?

Nous disposons désormais d’un conseil d’administration rehaussé pour assurer la gouvernance d’un établissement public en croissance. A cette occasion, le président de la République a bien voulu me renouveler sa confiance et le gouvernement a décidé de reconduire mon mandat de président-directeur général, que j’assume depuis juin 2013. Je prends cette reconduction comme la reconnaissance par le gouvernement du travail accompli par tous les collaborateurs de Grand Paris aménagement pendant ces trois années. Cette transformation est avant tout le fruit de l’effort de nos 146 collaborateurs, qui se consacrent avec beaucoup de savoir-faire, de compétence et d’engagement à l’aménagement foncier et urbain en Ile-de-France.

A la faveur de notre croissance, interne et externe, à venir, je vais fixer pour objectif de multiplier ce chiffre par trois dans les cinq ans qui viennent.

Quel bilan d’étape tirez-vous des trois années écoulées ?

En matière d’aménagement, trois ans pour un bilan, c’est court. Disons que ces trois années auront été marquées par une croissance forte de notre activité, et une augmentation concomitante de notre performance. En trois ans, notre portefeuille d’affaires a été renouvelé – il compte désormais 60 opérations d’aménagement. En concession de collectivités locales – je ne parle pas des opérations dont nous prenons l’initiative au nom de l’Etat -, nous sommes devenus aménageur à Rubelles, à Poissy, au Trilport, à Villiers-sur-Marne, au Vésinet, à Neuilly-sur-Marne, à Saint-Maur des Fossés et à Puiseux en France. Autant de nouvelles collectivités qui nous ont fait confiance, dans des contextes urbains très différents. Ces huit nouvelles opérations d’aménagement représentent la reconstitution d’un stock d’opérations futures que l’on peut évaluer à peu près à 500 millions d’euros. Si bien qu’au cours de ces trois années, notre chiffre d’affaires à terminaison a été porté à 1,2 milliard d’euros. C’est le début d’un processus puisque à la faveur de notre croissance, interne et externe, à venir, je vais fixer pour objectif de multiplier ce chiffre par trois dans les cinq ans qui viennent.

De nouveau, en 2015, nos opérations ont généré plus de 4 000 logements futurs, en actes et promesses de vente. Ce qui est la deuxième année consécutive de record d’activité pour l’ex-AFTRP. Par ailleurs, les logements autorisés, dont les permis de construire ont été déposés en 2015 dans nos opérations d’aménagement, ont crû de 40 %, par rapport à 2014 qui avait elle-même été une année de croissance. Nous progressons.

Votre chiffre d’affaires croît également ?

Nous avons conforté en 2015 un chiffre d’affaires annuel d’un montant supérieur à 100 millions d’euros. Ce montant est constitué de deux parts inégales : 80 % est issu de la cession de charges foncières et d’honoraires d’études et de prestations, et 20 % de participations à nos opérations, particulièrement en provenance de l’Agence nationale pour la renouvellement urbain (Anru) au titre des programmes de renouvellement urbain (PRU) dont nous avons la charge.

La première part de notre chiffre d’affaires, celle qui est commerciale, est en progression de 5 % en 2015 sur 2014. Et notre business modèle, qui repose sur l’absence de toute subvention de fonctionnement par les puissances publiques, s’en trouve renforcé. Notre résultat net, de 1,3 million d’euros, est positif et supérieur à la prévision ; le résultat opérationnel, lui, est en croissance de 10 %. J’ajouterais que l’excédent brut d’exploitation, révélateur de la réalité de la performance de l’établissement, qui était négatif il y a trois ans, est de nouveau positif, à plus de 2 millions d’euros en 2015. Ce qui donne un chiffre d’affaires par salarié passé en trois années de 570 000 à 740 000 euros. Et une valeur ajoutée par salarié passée, dans le même temps, de 85 000 à 120 000 euros. Nous démontrons qu’un aménageur public, opérateur de l’Etat, peut être compétitif.

Nous évoluons dans un contexte de reprise de l’activité de l’aménagement, de l’immobilier et de la construction, reprise dont nous figurons à la fois parmi les moteurs et les bénéficiaires.

Comment expliquez vous cette croissance record de votre activité ?

Je mets en œuvre une stratégie, décidée par l’Etat, de contribution de l’Etablissement public à la relance de l’aménagement opérationnel en Ile-de-France. Et comme nous améliorons à la fois notre compétitivité et la qualité de nos interventions sur les territoires, ces derniers sont de plus en plus nombreux à nous faire confiance, à travers des concessions aux termes de procédures de mise en concurrence, comme quand nous agissons en initiative propre. Par ailleurs, nous évoluons dans un contexte de reprise de l’activité de l’aménagement, de l’immobilier et de la construction, reprise dont nous figurons à la fois parmi les moteurs et les bénéficiaires. La production de logements augmente en particulier sous l’effet du dispositif de défiscalisation amélioré dit « Pinel », ainsi que de taux d’emprunt bas.

Vous souhaitez intensifier votre effort ?

La reprise constatée mérite d’être soutenue. 2015 a par exemple été la première année depuis longtemps où, en France, il s’est vendu plus de logements neufs que l’on en a produit. Cela signifie qu’il faut que nous accélérions encore la production si l’on veut que le nombre de logements construits soit à la hauteur de la reprise qui s’enclenche. Nous devons également continuer à rapprocher dans nos opérations les offres immobilières des besoins – et des capacités – des habitants, qui sont nos « clients » finaux.

Autre illustration : la production immobilière tertiaire a souffert des effets néfastes du calcul sur certains territoires de la redevance pour création de bureaux, de commerce et d’entrepôts (RCBCE). Le gouvernement a entendu la demande que les professionnels et nous-mêmes portaient à ce sujet, et a réformé la RCBCE. Cela va nous permettre de relancer une part de l’activité d’aménagement économique et d’immobilier tertiaire qui était freinée – nos chiffres s’en étaient d’ailleurs ressentis ces dernières années.

J’entends que nous continuions à favoriser un urbanisme de projet au détriment d’un urbanisme de procédure, à réduire le temps de l’aménagement, à associer davantage les acteurs économiques publics et privés dès l’amont des projets.

Quelle est votre stratégie pour l’avenir ?

Je citerais trois axes de progrès pour la période qui vient : le premier consiste, nous en avons parlé, à accélérer encore la production. Cela passe en particulier par le déploiement du dispositif de contrat d’intérêt national (CIN) décidé par le Premier ministre dans le cadre du Comité interministériel (CIM) Grand Paris du 15 octobre dernier, et inspiré de la proposition contenue dans le rapport de préfiguration de Grand Paris aménagement que j’ai remis au gouvernement le 7 septembre dernier. Nous sommes mobilisés auprès du préfet de Région, Jean-François Carenco, sur plusieurs territoires, et prêts à prendre dans ce cadre partenarial l’initiative d’opérations nouvelles, ou à intervenir auprès d’opérateurs locaux, là où les territoires le souhaitent. L’Ile-de-France a besoin pour son attractivité et son développement, d’opérations d’aménagement à l’échelle de ses ambitions – et des besoins des franciliens.

Deuxièmement, il nous faut innover davantage. Dans les modalités de nos interventions, d’abord : j’entends que nous continuions à favoriser un urbanisme de projet au détriment d’un urbanisme de procédure, à réduire le temps de l’aménagement, à associer davantage les acteurs économiques publics et privés dès l’amont des projets, voire à coproduire ceux-ci ensemble. Innover, c’est aussi insérer toujours davantage dans nos opérations les nouveaux services et les nouveaux usages, l’économie de la fonctionnalité et collaborative, l’intelligence et les technologies, l’ingénierie, le développement durable démonstrateurs de savoir-faire nouveaux, notamment français, et même franciliens. Les établissements publics d’aménagement comme les entreprises publiques locales, nos camarades de la Société du Grand Paris dans le déploiement du réseau de transports qui constituera l’armature nouvelle du territoire, nos amis parisiens à travers le concours « Réinventer Paris », tous empruntent cette voie.

Notre troisième axe de progrès réside dans la réussite de notre regroupement, avec les établissements publics d’aménagement Plaine de France et Orly Rungis Seine-Amont, au bénéfice de nouvelles dynamiques pour les territoires que ceux-ci servent déjà activement. Nous y travaillons dur avec mes collègues directeurs généraux des deux EPA, et avec la petite centaine de salariés qui va nous rejoindre dans ce cadre. Accélérer, innover, regrouper. C’est le programme de l’année à venir, un programme d’actions.

Thierry Lajoie lors du Mipim 2015.

Thierry Lajoie lors du Simi 2015. © Jgp

Quels sont les engagements concrets de l’Etat contenus dans les contrats d’intérêt national ?

Le contrat d’intérêt national repose sur un principe simple : l’union fait la force. Et sur un constat partagé : du Sdrif aux CDT, des PLH au SRHH et aux futurs documents programmatiques de la métropole du Grand Paris et de ses EPT, nous ne manquons pas de documents directeurs. En revanche, la mise en œuvre des projets qui en découlent gagnerait parfois à ce que les acteurs agissent en ordre moins dispersé. Pour accélérer, débloquer, faciliter, amorcer, conclure, il faut s’unir. C’est vrai pour le monde public (l’Etat, les collectivités et leurs opérateurs respectifs, les propriétaires fonciers ou parties prenantes à l’acte d’aménager, dans les domaines, urbains, fonciers, des transports, financiers, culturels, environnementaux…) comme pour la sphère privée, et pour les deux ensemble.

La vocation du CIN, c’est viser un projet ou inventorier des secteurs de projets, organiser la gouvernance de leur mise en œuvre, s’entendre sur des objectifs opérationnels et les conditions de leur atteinte, et s’engager à y parvenir. Puisque c’est une convention de mise en œuvre de projets sur un territoire circonscrit, entre l’Etat et des collectivités, associant de grands acteurs économiques publics et privés, il en décrit les moyens qui y sont nécessaires : des règles à mobiliser (une révision de PLU, une procédure d’OIN, de PIL, de PIIE…), des financements de droit commun ou dédiés (apports de foncier, aide aux maires bâtisseurs, prêts de la Caisse des dépôts, garanties d’emprunt, prise en charge d’infrastructures et d’équipements publics…), et des outils pour agir, comme les EPL mais aussi Grand Paris aménagement et les EPA, quand cela s’avère utile.

Le CIN touche donc les opérations d’aménagement, mais aussi les préalables nécessaires à leur mise en œuvre. La quinzaine de CIN prescrits par le CIM du 15 octobre sont en cours d’élaboration, dans des discussions pilotées par les préfets. Ils auront tous des utilités différentes mais seront tous utiles aux projets. Et à chaque fois, l’Etat y apportera sa part.

Jean-François Carenco, préfet d'Ile-de-France, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement, et Thierry Lajoie lors des voeux de Grand Paris aménagement en janvier 2016.

Jean-François Carenco, préfet d’Ile-de-France, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement, et Thierry Lajoie lors des voeux de Grand Paris aménagement en janvier 2016. © JGP

Vous avez des exemples ?

Grand Paris aménagement assiste effectivement les préfets dans l’élaboration de plusieurs CIN avec les territoires. Le préfet Carenco a indiqué que les premiers CIN seront conclus pour le prochain CIM du Grand Paris, puis d’autres pour l’été. Quel effort de développement économique, d’amélioration des transports et de mutation urbaine pour mener à bien une dizaine de projets structurant la Porte sud du Grand Paris, avec notamment le département de l’Essonne, les nouveaux EPCI Grand Paris Sud Seine Essonne Sénart et Cœur d’Essonne ? Comment donner davantage de cohérence et d’élan aux projets de la Porte nord du Grand Paris, ce corridor aéroportuaire du Bourget à Roissy, où voisinent la Seine-Saint-Denis métropolitaine et le Val d’Oise en développement ? Comment réussir le grand projet des Ardoines, à Vitry dans le Val-de-Marne ? Ou dénouer à Charenton-le-Pont le secteur Val-de-Marnais mitoyen de la future ZAC parisienne de Bercy-Charenton, pour être à la hauteur de celle-ci et couturer, enfin, ces deux villes ? Comment restructurer le quartier du Pavé-Blanc, à Clamart dans les Hauts-de-Seine, fracturé par des lignes à haute tension ? Comment favoriser le superbe projet de la forêt de Pierrelaye, dans le Val d’Oise, et veiller ensuite à une urbanisation harmonieuse de ses franges ?

A chaque fois, l’on se trouve dans des contextes et des objets différents, mais l’on est toujours dans le besoin de la coproduction urbaine entre des acteurs qui doivent ensemble se retrousser les manches pour y arriver. Cela n’emporte pas que Grand Paris aménagement en soit l’aménageur, ou le seul aménageur. Le principe de la coproduction urbaine, ce n’est ni l’hégémonie ni l’exclusivité.

Grand Paris aménagement est à la disposition de la métropole du Grand Paris.

La métropole du Grand Paris ne vient pas bousculer ce dispositif ?

J’espère qu’elle viendra l’enrichir. Pour sa part, Grand Paris aménagement est à la disposition de la métropole du Grand Paris, comme l’y engage la loi Maptam qui ouvre la faculté de la mise à disposition des établissements publics de l’Etat à la nouvelle métropole. Le président Patrick Ollier le sait. Mais il ne revient pas à Grand Paris aménagement d’en juger, c’est à la métropole de décider de ses modalités d’action et des outils qu’elle entend y associer, en accord avec l’Etat quand celui-ci est concerné.

De son côté, Grand Paris aménagement est attaché au périmètre historique de son intervention, qui s’étend à toute l’Ile-de-France. Nous réalisons la majorité de nos opérations en dehors du périmètre métropolitain au sens auquel le législateur l’a défini. Nous sommes un outil de la diversité, de la couture, de la subsidiarité, de la solidarité des territoires. Dans toute l’Ile-de-France, et à la disposition de la métropole comme, déjà, d’EPT et de communes qui la composent.

Quel regard portez-vous sur le rapprochement des outils d’aménagement des départements des Yvelines et des Hauts-de-Seine ?

Les présidents Devedjian et Bédier ont indiqué vouloir regrouper leurs entreprises publiques locales d’aménagement départementales, et y intégrer des SEM municipales. Je n’ai évidemment pas à me prononcer sur leurs projets institutionnels. Mais s’agissant des outils d’aménagement, je dis qu’ils ont raison. Comment d’ailleurs pourrais-je dire autre chose, sauf à me déjuger, alors que je plaide, depuis longtemps, pour que les outils d’aménagement franciliens, aujourd’hui trop émiettés, atteignent une taille critique, une robustesse financière, une capacité à lever de la dette, une mutualisation de fonctions et de moyens, utiles à leur performance et par conséquent aux projets des territoires ? Je suis très attentif à la proximité locale des outils et de leur gouvernance.

Mais dans un contexte où, par exemple, le nombre de ZAC va diminuant en Ile-de-France (une centaine par an créées au début des années 1990, une cinquantaine par an au début des années 2000, 25 par an depuis la crise immobilière de 2008), dans un contexte aussi où l’Etat comme les collectivités sont engagés dans un effort de redressement de leurs comptes, l’avenir est aux regroupements. La Cour des comptes l’observait très justement dans un rapport de février 2014 sur les outils de l’aménagement francilien. C’est une des raisons fortes qui a conduit l’Etat à engager en 2014 le regroupement de ses propres outils, en décidant la création de Grand Paris aménagement, issu de la transformation de l’AFTRP et de son rapprochement avec les EPA Plaine de France et ORSA. Je ne peux donc voir dans ce projet annoncé par des départements qu’un hommage à l’action de l’Etat.

Nous sommes d’abord un opérateur qui agit pour les collectivités et au service des collectivités.

Il existe une défiance vis-à-vis d’un Grand Paris aménagement qui signerait le retour d’un urbanisme d’Etat. Qu’en pensez-vous ?

Grand Paris Aménagement c’est, aujourd’hui, huit opérations en initiative à la demande de l’Etat, huit PRU, et… 44 opérations en concession des collectivités locales, au terme de procédures de mise en concurrence. Nous sommes donc d’abord un opérateur qui agit pour les collectivités et au service des collectivités. Nous ne choisissons pas nos donneurs d’ordre, ce sont nos donneurs d’ordre qui nous choisissent. De quel urbanisme d’Etat peut-on dès lors parler ? Cela n’a pas de sens.

Ce qui est vrai en revanche, c’est que l’Etat nous demande, aujourd’hui, de porter des valeurs dans l’acte d’aménager : intensification et réparation urbaines, durabilité et soutenabilité, mixités fonctionnelles et sociales, participation et cohésion des habitants… Nous sommes très fiers de porter ces valeurs dans nos réalisations, aussi bien quand nous agissons en compte propre que pour le compte de collectivités. Les aménagements qui ont souvent mal vieilli, qui sont parfois l’objet de la politique de la ville aujourd’hui, ne respectaient pas toujours ces valeurs : urbanisme de dalle plutôt que de rue, en extension urbaine plutôt qu’en recyclage de la ville, monofonctionnel et de ségrégation sociale et des flux plutôt que plurifonctionnel et de cohésion sociale et des fonctions, minéral plutôt que végétal… Ces oppositions ne sont généralement pas des oppositions entre l’Etat et les collectivités, ni à de rares exceptions près entre la droite et la gauche, pas davantage entre le public et le privé, mais entre des moments différents de l’urbanisme. C’est ma conviction.

Aujourd’hui, l’heure est au sur-mesure, qui redonne une place centrale au Vivant, à l’humain, à la nature. C’est une démarche de pragmatisme et d’humilité, qui se méfie des grandes théories urbaines définitives dont on a pu constater les échecs. De surcroît, méthodologiquement, l’aménagement urbain est passé du « top down » au « bottom up », de l’imposition à la concertation. C’est ainsi que nous faisons et nous le faisons plutôt bien.

On vous reproche une aversion personnelle pour les hippodromes ?

Cela ne peut être qu’une boutade, une « petite phrase » comme disent les journalistes. Ma fonction m’interdit de polémiquer, et je ne m’attarde pas sur les procès d’intention. Le seul hippodrome dont j’aie moi-même parlé depuis trois années que je préside l’ex-AFTRP, c’est l’ancien hippodrome de Ris-Orangis, en Essonne, qui est désaffecté et sur lequel un très beau projet de grand stade de rugby est porté par le mouvement sportif soutenu par les élus, et par nous-mêmes.

Le Journal du Grand Paris : ZAC Ris-Orangis © AUC/CAECE

ZAC de Ris-Orangis. © AUC/CAECE

Je n’ai jamais parlé d’aucun autre hippodrome. Quant aux idées, intéressantes ou moins pertinentes, avancées ou combattues à Saint-Cloud ou ailleurs par les uns ou les autres, les élus concernés savent que l’Etat a pris acte de la position qu’ils ont exprimée à leur sujet, et que j’y ai personnellement pris ma part.

Votre rapport préconise de veiller davantage à équilibrer les opérations d’aménagement, c’est la quadrature du cercle en zone dense de l’Ile-de-France ?

Oui, c’est difficile. Le foncier et sa transformation coûtent chers, les équipements induits par l’arrivée de nouveaux habitants aussi, les normes et les procédures n’aident pas toujours, et le malthusianisme local peut parfois compliquer l’équation… Pourtant, il faut bien relever le défi de la construction. C’est ce que j’ai tenté d’expliquer dans le rapport de préfiguration de Grand Paris aménagement. D’abord, en posant qu’il existe des dépenses d’infrastructures primaires et de voiries structurantes, à la charge des puissances publiques, au premier rang desquelles l’Etat, qui ne peuvent pas relever des bilans financiers des opérations d’aménagement, et qui sont cependant un préalable indispensable à ces opérations d’aménagement.

Plus on refait la ville sur la ville, plus ces questions de sols et d’infrastructures, imposées par les usages précédents des emprises foncières, se posent comme préalable à des opérations d’aménagement.

Avez vous des exemples ?

La restructuration du carrefour Pleyel demande par exemple la construction d’un échangeur routier et d’un pont ferroviaire dont l’opération d’aménagement ne peut prendre en charge la dépense pourtant essentielle au projet de Plaine Commune. Le déplacement d’un dépôt pétrolier et la reconfiguration d’une centrale thermique à charbon sont nécessaires à la restructuration des Ardoines, à Vitry dans le Val-de-Marne, mais ce n’est pas supportable par le bilan de l’opération d’aménagement seul. Ici l’enfouissement de lignes à haute tension, là la requalification d’une ancienne route nationale, sont nécessaires pour un aménagement urbain, mais ne peuvent être financés par les recettes de cet aménagement, issues de la cession des charges foncières, d’un montant inférieur.

Plus on refait la ville sur la ville, plus ces questions de sols et d’infrastructures, imposées par les usages précédents des emprises foncières, se posent comme préalable à des opérations d’aménagement. J’ai confiance dans la capacité des puissances publiques, qui en ont conscience, à ordonner ces priorités là.

Vous préconisez également des opérations d’aménagement plus équilibrées ?

Oui, c’est le deuxième point que j’ai mis en exergue : les équipements publics de proximité, comme les écoles, les crèches, les installations sportives, les jardins publics, dont le besoin est engendré par une nouvelle opération d’aménagement, doivent le plus possible être financés par cette opération d’aménagement, plutôt que par une subvention de la collectivité locale, donc par l’impôt. Les budgets d’investissement et de fonctionnement des collectivités sont contraints, et la pression fiscale sur les entreprises comme sur les ménages est maximale. Doit-on en déduire que ne pas construire est la bonne solution, parce que cela ne génère pas de dépenses induites pour des habitants nouveaux ? Ca ne peut être la bonne réponse !

Donc les opérations d’aménagement doivent essayer de dégager des marges permettant de concourir davantage au financement, voire de financer totalement, ces équipements qu’elles engendrent. Evidemment, c’est difficile, cela exige une ingénierie particulière de l’opération d’aménagement. Mais le métier de l’aménageur, c’est la complexité. Pas la facilité. Cela demande de travailler les échelles, les intensités, les programmations, les innovations, les partenariats, permettant de concilier la qualité de vie d’un futur quartier avec les recettes que sa conception et sa réalisation permettront. Il y a des endroits où des choses sont possibles, d’autres où elles ne le sont pas. Quand on promeut un aménagement durable et contextuel, on croit au génie du lieu. On doit savoir s’y adapter.

Quand vous vous développez, ce qui est le cas de Grand Paris aménagement, les résultats des opérations antérieures sont insuffisants pour financer l’amorçage des opérations suivantes.

Vous préconisez aussi un recours accru à la dette ?

C’est le troisième sujet, bien distinct des deux autres : comment financer l’amorçage des opérations d’aménagement ? Chronologiquement, une opération d’aménagement, c’est d’abord des dépenses (des études, des acquisitions foncières, des travaux) et ensuite des recettes (issue de la cession de charges foncières à des promoteurs, des bailleurs ou des investisseurs). Bref, l’aménageur a besoin d’argent pour des dépenses au début de l’opération, qui sera remboursé par des recettes à la fin de l’opération, parfois longtemps après. Autrement dit, il faut satisfaire un besoin en fonds de roulement de l’opération. Dans l’idéal, le résultat excédentaire des opérations précédentes peut y pourvoir – d’où, au passage, la pertinence de sociétés d’aménagement à la bonne taille critique.

Mais quand vous vous développez, ce qui est le cas de Grand Paris aménagement, les résultats des opérations antérieures sont insuffisants pour financer l’amorçage des opérations suivantes, plus nombreuses. Du coup, le besoin en fonds de roulement ne peut être financé que par des dotations budgétaires, ou par le recours à la dette, en empruntant.

L’Etat l’a bien compris, qui nous a autorisé en 2015 à lever autour de 55 millions d’euros (c’est un montant par ailleurs prudent qui préserve le ratio de notre endettement sur nos fonds propres) pour amorcer de nouvelles opérations d’aménagement, en initiative à la demande de l’Etat ou en concession de collectivités locales. Et l’extension des prêts Gaïa Grand Paris de la Caisse des dépôts, décidé à la fin de 2015 par le gouvernement sous l’impulsion du préfet Jean-François Carenco et du directeur général Pierre-René Lemas, est une décision qui va permettre d’y contribuer. Nous pouvons tous nous en réjouir.

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