Stéphane Troussel, la Seine-Saint-Denis et la politique au cœur

Dans un ouvrage paru le 20 octobre 2022, le président de la Seine-Saint-Denis livre un vibrant plaidoyer en faveur de ce département, miroir grossissant des inégalités et des effets des crises qui traversent le pays, mais aussi un territoire « jeune, populaire et divers », entré dans une ère inédite de transformations. En creux, le portrait d’un homme qui n’a « jamais envisagé [son] engagement politique indépendamment de ce territoire ».

« Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, moi si ! » C’est en substance ce qu’a déclaré – « avec fierté » – Stéphane Troussel lorsqu’il est devenu président (PS) du département de la Seine-Saint-Denis en 2012. Un moment qu’il évoque dix ans plus tard dans l’ouvrage « Seine-Saint-Denis, la République au défi », paru le 20 octobre 2022 (*). Ce livre d’entretien avec le politologue Madani Cheurfa s’ouvre avec la remémoration d’un autre souvenir, celui du 10 mai 1981, jour de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République. « Plus qu’une date », c’est le moment où celui qui n’est « alors âgé que de 11 ans […] commence à comprendre ce qu’est la gauche ».

L’ouvrage de Stéphane Troussel est paru le 20 octobre. © DR

La première partie de l’ouvrage revient ainsi sur la construction politique du futur président de la Seine-Saint-Denis, dont il est un pur produit : né à Saint-Denis, il grandit à La Courneuve avec comme figures repères essentiellement des femmes, à commencer par sa grand-mère maternelle et sa mère, à qui le livre est dédié, mais aussi sa tante, sa « marraine républicaine », disparue prématurément d’un cancer, ou encore son institutrice de CP et sa professeure de français au collège. Il raconte comment, au tournant des années 1980/1990, il prend peu à peu ses distances avec le PC, un parti qui à l’époque lui semble se replier sur lui-même, qui « n’était plus en phase avec ceux qu’il prétendait représenter ». C’est donc sous l’étiquette du Parti socialiste qu’il se présente aux élections municipales de La Courneuve en 1995, une forme de « coming-out politique […] pas simple à assumer » lorsqu’on est issu d’une famille communiste. De cette filiation politique, il garde cependant « le meilleur : « J’y ai gagné des valeurs de solidarité, de justice et de combativité qui irriguent l’histoire et l’âme de notre département ».

« Miroir grossissant des inégalités »

Un département en faveur duquel son livre est un vibrant plaidoyer. Stéphane Troussel en souligne les spécificités et les contradictions : « Il s’agit d’un département particulièrement pauvre au cœur d’une région particulièrement riche, pour ne pas dire la plus riche et la plus puissante de France sur le plan économique, et peut-être même d’Europe ». Et de pointer que « la Seine-Saint-Denis, c’est un tiers de besoins en plus qu’ailleurs, mais un tiers de moyens en moins ». Un département où « l’État n’a pas su y tenir sa promesse ».

Stéphane Troussel. © Jgp

Si ce premier constat peut paraître sombre, ce n’est que pour mieux ensuite insister sur les ressources et les richesses du territoire, à commencer par les acteurs locaux et les collectivités territoriales qui « agissent et se réinventent chaque jour ». Education, santé, jeunesse, immigration, prise en charge des personnes âgées, emploi, logement, sécurité, citoyenneté… Stéphane Troussel passe toutes les grandes questions de la société française à travers le filtre séquano-dionysien, « miroir grossissant des inégalités et des effets des crises sociales, économiques, sanitaires, migratoires et écologiques », où la République, écrit-il, « trouve son grand emplacement ».

Département « jeune, populaire et divers », la Seine-Saint-Denis est aussi un territoire économique très dynamique, fait-il valoir, qui « va connaître en une dizaine d’années une transformation comme on en a rarement vu. Il suffit de faire la liste : le métro du Grand Paris express, les Jeux olympiques et paralympiques, la rénovation urbaine et les grands équipements publics, le campus Condorcet à Aubervilliers, le CHU Grand Paris-Nord et la DGSI à Saint-Ouen, les grandes directions du ministère de l’Intérieur à Saint-Denis, la rénovation et la desserte par le métro du musée de l’air du Bourget… »

Une « nouvelle centralité » du Grand Paris

Stéphane Troussel en est certain, du fait de ces grandes transformations à l’œuvre, l’attractivité de la Seine-Saint-Denis va continuer de croître et les équilibres urbains, démographiques et économiques vont se modifier. Elle « va être à l’échelle du Grand Paris une nouvelle centralité, son cœur battant », estime-t-il. Et d’ajouter : « Sur le plan géographique, on constate que Paris est de dimension modeste comparé aux métropoles européennes comme Berlin ou Londres, avec pour conséquences le renchérissement du foncier, l’incapacité des familles populaires et modestes à s’y loger, la volonté de trouver de l’espace, du frais et du vert hors d’espaces urbains très denses. Tout cela fait que la population parisienne va au mieux stagner, voire diminuer. A l’échelle du Grand Paris, j’ai la conviction que la Seine-Saint-Denis en profitera très largement dans les 20 ans à venir ».

L’élu donne aussi sa vision de l’action publique de proximité, qui ne signifie pas, selon lui, une délégation entière des responsabilités aux collectivités locales. « En homme de gauche, je suis profondément décentralisateur, et donc sincèrement attaché au bloc des lois fondatrices de 1982-1983, puis de 1986. Mais depuis, force est de constater que les étapes suivantes ont surtout consisté en des transferts de compétences et de charges d’un État désireux avant tout de réduire le périmètre de l’action publique. Ces transferts, associés à une perte d’autonomie fiscale et financière des collectivités locales et à la réduction des moyens ont, inévitablement, aggravé les inégalités territoriales. Ne pas voir que les villes de Sevran, de Clichy-sous-Bois, de Puteaux ou de Neuilly-sur-Seine ne sont pas à armes égales pour l’entretien de leurs bâtiments scolaires est un déni de réalité qui désespère les familles qui ne se sentent pas traitées de manière égalitaire dans la République ».

Celui qui n’a « jamais envisagé [son] engagement politique indépendamment de ce territoire » où il a « toute [son] histoire personnelle », confie qu’il « mesure aussi la responsabilité particulière [qu’il a] comme président d’un département si symbolique ». La Seine-Saint-Denis concentre les « défis que notre société doit affronter et résoudre », écrit Stéphane Troussel en conclusion. « Elle est un laboratoire in vivo de la crise démocratique, du retrait civique et du décrochage politique des catégories populaires. Tout se joue ici plus qu’ailleurs, mais tout se joue pour l’ensemble du pays. C’est la raison pour laquelle nous devons réussir. » C’est tout le bien qu’on lui souhaite.

 

* Seine-Saint-Denis, la République au défi, Editions de l’Aube, collection Paroles d’acteurs, 184 pages, 15 euros.

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