Me Chassaing : « L’innovation dans l’immobilier doit concilier rapidité et efficacité »

Pascal Chassaing formule une série de propositions visant à accélérer la construction de logements dans la région. Le président de la chambre interdépartementale des notaires de Paris, qui regroupe 1 300 notaires, prône une approche plus globale, plus transparente et innovante de la production de logements en Ile-de-France.

Quel regard portez-vous sur la stratégie logement annoncée par le gouvernement, reposant en particulier sur un choc d’offre foncier ?

Il y a un problème de choc de l’offre de logement en Ile-de-France. Ceci en raison d’un déséquilibre entre l’offre et la demande. La demande de logement est très forte, liée au dynamisme démographique de l’Ile-de-France, et plus encore à la progression également très forte du nombre de ménages de petite taille liée à la transformation des cellules familiales. Le nombre de ménages en Ile-de-France augmente donc beaucoup plus que la population. Pendant fort longtemps, le rythme de la construction de logements en Ile-de-France a été beaucoup trop bas. Certes, depuis deux ans, nous notons un redressement. Mais il demeure insuffisant.

Me Pascal Chassaing, président de la chambre Interdépartementale des notaires de Paris, qui regroupe 1 300 notaires. © DR

A quoi ce faible niveau de construction est-il dû, selon vous ?

Il est d’abord lié au coût des terrains, qui a progressé de 70 % depuis 15 ans. Cela provient aussi de la rétention des terrains à bâtir, notamment en raison des réticences des propriétaires à payer des plus-values ou des droits fiscaux importants lors de la vente, mais aussi en raison de la volonté des collectivités publiques de valoriser leur foncier à un niveau correspondant à la valeur de marché de celui-ci. Cela provient également de la durée de conception et de gestion des opérations, beaucoup trop longue et incertaine… La volonté des pouvoirs publics de recentrer la construction neuve au cœur de l’agglomération ne pourra qu’accroître cette difficulté dès lors que le pilotage des projets ne sera pas amélioré comme il doit l’être impérativement.

Quelles solutions préconisez-vous ?

Si l’on veut libérer du foncier, il y a une priorité massive que le gouvernement semble avoir prise en compte dans le projet de loi logement, c’est l’exonération des plus-values en cas de vente de terrains, par les particuliers comme par les entreprises, pour les cessions de terrains effectuées dans un but de construire. Cette exonération temporaire doit être très significative, quel que soit l’objet social ou non social de la construction. Le changement de législation en 2011 avec le passage de 15 à 22 ans de la durée d’exonération s’est traduit par une rétention très forte des terrains.

Vous militez également pour la baisse des droits de partage ?

Le droit de partage a été très fortement accru en 2011 puisqu’il représente depuis cette période 2 % de la valeur des biens. Le partage intervient principalement en cas de divorce ou de succession. Les redevables sont très souvent dans l’impossibilité de le payer. Cela entraîne la multiplication des indivisions et également un phénomène de rétention des terrains. Je suis persuadé que le retour des droits de partage à un niveau acceptable – par exemple 1 % -, n’entraînerait aucune dépense fiscale car beaucoup d’indivisions valorisées se dénoueraient et au contraire libérerait beaucoup de propriétés à l’avenir.

Les dispositifs d’incitation fiscale doivent-ils être maintenus selon vous ?

Nous avons noté le maintien du dispositif « Pinel » dans les zones les plus tendues du pays. Ce dispositif est indispensable car le taux de rendement de l’investissement privé ne justifie en aucune manière une acquisition, que ce soit pour les investisseurs institutionnels qui ont depuis longtemps renoncé, ou pour les particuliers qui sont fiscalement courtisés depuis 30 ans. Si les taxes foncières doivent continuer à progresser comme elles l’ont fait récemment, si l’impôt sur la fortune immobilière, qui stigmatise la rente foncière, progresse autant que les taxes foncières, le taux de rendement du logement baissera d’autant. Et nous n’évoquons pas les questions relatives au statut du bailleur privé, avec notamment le plafonnement des loyers que l’on envisage d’étendre sur l’ensemble de l’Ile-de-France.

Me Pascal Chassaing lors du Forum économique du Grand Paris consacré à la stratégie logement du gouvernement, le 27 octobre dernier. © Jgp

Dans ce cas, il conviendra, pour équilibrer cette situation, d’accroître les aides à l’investissement neuf. Ne serait-il pas plus logique d’avoir rapidement une vision d’ensemble et de ne pas faire reposer sur les propriétaires, et sur eux seuls, l’équilibre de collectivités territoriales comme les départements sur lesquels reposent des dépenses sociales structurellement très évolutives, que ce soit en raison de la situation de l’emploi ou de la dépendance des personnes âgées ou handicapées ? Ces dernières dépenses ne sauraient être payées comme aujourd’hui par les seuls propriétaires.

Vous approuvez l’annonce d’un allègement normatif ?

Il serait catastrophique de multiplier les normes dans le logement neuf en accroissant les coûts, tout en maintenant le logement ancien dans la situation que l’on connaît, ce qui entraîne des nuisances environnementales très fortes en termes de chauffage, de bruit, de conditions générales de vie et de dangerosité, par exemple. Dans les zones tendues, il me semble par conséquent inévitable, même si c’est très budgétivore, d’instaurer un PTZ élevé dans l’ancien lorsque l’acquéreur effectue des travaux importants de remise aux normes. Ces travaux rapportent à la collectivité publique. La réhabilitation et la rénovation de l’ancien sont possibles parce que beaucoup de propriétaires ou de propriétaires potentiels peuvent faire l’investissement nécessaire. Mais la fiscalité actuelle s’y oppose et la crainte que l’immobilier devienne la « vache à lait » principale des pouvoirs publics ne peut qu’entraîner le prolongement d’un mouvement de forte défiance.

Selon vous, le logement se caractérise par un nombre excessif d’acteurs ?

Le logement constitue globalement un secteur dont la gestion est extrêmement complexe. Il ne m’appartient pas d’entrer dans les discussions sur la rationalisation de la politique du logement, notamment au niveau régional compte tenu du nombre d’intervenants beaucoup trop élevé, et notamment des intervenants qui peuvent, à un moment ou à un autre, apporter une subvention. Tous les notaires de promoteurs immobiliers connaissent les difficultés qu’il y a pour mobiliser les financements dans ce domaine. Je pense qu’il doit être possible de rationaliser les circuits de décision. En simplifiant les procédures et les normes, ce sera le meilleur moyen d’éviter l’épée de Damoclès des recours contentieux.

Vous militez également pour l’innovation en la matière ?

D’abord dans les modes de la propriété. Il y a longtemps qu’ils se sont diversifiés, pour faciliter l’accès à la propriété. Autant qu’un droit de propriété, il faut reconnaître un droit à l’usage. Il reste un vaste champ pour l’innovation dans ce domaine. Ensuite, en ce qui concerne la vente immobilière elle-même. Elle prend beaucoup trop de temps en France. D’abord parce que nos procédures de vente sont trop lourdes. Ensuite parce que la vente et l’occasion de procéder au contrôle du respect de règles de plus en plus nombreuses. Mais aussi de payer des impôts, de sécuriser les financements…

Je ne crois pas du tout que ces protections soient inutiles. L’accès à la propriété d’un logement doit être protégé. Dix ans après la crise des subprimes, il ne faut pas oublier ce qui en est l’origine : un libéralisme échevelé et destructeur. Un Prix Nobel d’économie américain, Robert Schiller, indique que si les Etats-Unis avaient bénéficié d’un notariat actif, il n’y aurait pas eu dans ce pays de crise des subprimes. Mais l’innovation est possible à champ maintenu et même amélioré de réglementation et de protection utiles. L’innovation est justement faite pour absorber la complexité et les difficultés. Et pour concilier rapidité, efficacité et protection. Nous y sommes prêts.

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