P. Mansat : « Nous avons ouvert les portes dans de nombreux domaines »

Adjoint aux relations avec les collectivités territoriales d’Ile-de-France tout au long des deux mandats de Bertrand Delanoë, Pierre Mansat, qui quittera dans quelques jours la direction de la mission métropole de la ville de Paris, décrit le chemin parcouru depuis 2001.

Vous avez découvert, dès 1995, l’absence de réflexion sur le Grand Paris ?

Quand en 2001, après son élection, Bertrand Delanoë me propose d’être adjoint avec cette question-là dans mon paquetage, je réalise à quel point les relations entre Paris et sa banlieue ne fonctionnent pas. Il n’y a pas de réflexion partagée sur la notion de métropole.

Bertrand Delanoë vous accorde une confiance totale ?

De 2001 à 2014, j’aurai cette responsabilité des relations avec les collectivités territoriales d’Ile-de-France, dans une relation avec Bertrand Delanoë que je trouve exceptionnelle. La confiance se construit petit à petit et, d’une certaine manière, une fois que l’on est d’accord, il me donne carte blanche. Je veux rétablir une vérité : Bertrand Delanoë porte la nécessité de changer le mode de gouvernement de l’agglomération, et pas seulement celle d’améliorer les relations entre Paris et ses voisins. Il choisit la stratégie des petits pas.

Pierre Mansat. © JGP

Des élus de gauche sont les pionniers du Grand Paris ?

De gauche, mais pas uniquement. Dès 2001, une quinzaine de maires modernisateurs sont là, Laurent Lafon, Philippe Laurent, Jacques JP Martin Yann Joubert, Alain Outreman ou Daniel Breuiller figurent parmi eux. On discute, on déjeune ensemble avec des maires communistes tels que Jack Ralite, Jacqueline Rouillon, Jean-Pierre Brard. Au sein de Paris métropole, les équilibres pencheront longtemps à gauche, c’est vrai, jusqu’à ce que Nicolas Sarkozy demande à ses amis d’y entrer.

Le Grand Paris actuel est né le 5 décembre 2001, à la maison de la RATP ?

Dès 2001, le 5 décembre, Bertrand Delanoë invite tous les maires de la petite couronne, les conseillers généraux et l’exécutif régional à la maison de la RATP. Personne ne pose encore la question du Grand Paris à cette époque, mis à part Jean-Paul Huchon qui la pose de façon scandaleuse, puisqu’il me dit : « tu veux faire le gross Paris ». On parle alors de Paris et sa banlieue comme si la banlieue était uniforme. Alors que la France est couverte d’intercommunalités, seule l’agglomération ne l’est pas, et Paris demeure politiquement isolée.

Vous êtes chargé de commencer par rétablir le dialogue avec les voisins de Paris ?

Pour établir la confiance, on entame un dialogue bilatéral ou multilatéral, selon les cas. Paris signe des protocoles d’accord avec des communes, avec des départements. Une conférence interdépartementale est créée avec le Val-de-Marne, ou alors des chartes multilatérales sont signées, autour des bois de Vincennes ou de Boulogne par exemple. Nous ouvrons le débat sur les canaux de l’Ourcq et Saint-Denis, qui sont propriété de Paris. Nous avons ouvert les portes dans de nombreux domaines. On change le mode de gouvernance des grands syndicats, le SIAAP par exemple, qui a toujours été présidé par un élu parisien depuis sa création, est confié à un élu de banlieue, car ces derniers sont majoritaires. La conférence métropolitaine est créée en juillet 2006, scène politique innovante, elle se transforme en Paris métropole en juin 2009, avec 222 collectivités adhérentes. Un ovni politique dans le paysage institutionnel français, toujours présent avec le Forum métropolitain du Grand Paris.

Nicolas Sarkozy va donner au Grand Paris un nouvel essor ?

Nicolas Sarkozy donne un coup de pied dans la fourmilière. Il essaie de s’installer, à l’image d’un coucou, dans un projet politique déjà émergent. Avec une dimension politique forte. A ce moment-là, le président de la République a une obsession : regagner Paris. Il se demande donc comment l’enserrer pour le conquérir aux municipales de 2008. Il nomme Christian Blanc au gouvernement. Et lance la consultation internationale des architectes sur les métropoles post-Kyoto, qui deviendra l’Atelier international du Grand Paris. C’est la première fois que l’on prend en compte la question de la transition écologique et de la crise climatique à cette échelle.

Pierre Mansat, alors adjoint aux relations avec les collectivités territoriales, avec Bertrand Delanoë, alors maire de Paris. © PM

Avec Angela Davis, à Pittsburgh. © PM

Avec Aurélien Rousseau, son premier chef de cabinet. © PM

Manifestation pour les « sans-papiers ». © PM

Assises de la métropole. 25 juin 2008.

Comment Paris réagit alors face aux ambitions de Christian Blanc qui veut doper l’attractivité de l’agglomération ?

Bertrand Delanoë recommandera constamment la prudence. La volonté de Nicolas Sarkozy de reconquérir Paris passe par l’affirmation, plus ou moins directe, selon laquelle Paris n’est pas suffisamment ambitieuse. On discutera avec Christian Blanc, comme tous les élus. Si certains déploraient publiquement le retour de l’Etat, tous faisaient la queue devant son bureau pour discuter de leur avenir. Christian Blanc lance notamment, à cette époque, quelque chose de très intéressant : les contrats de développement territorial. Il oblige les communes, qui n’avaient jamais dialogué, à construire des projets par bassins. Et ça marche. Il lance aussi l’idée du métro en rocade. Nicolas Sarkozy, Christian Blanc puis Maurice Leroy auront joué un rôle essentiel dans la montée en puissance politique du sujet.

François Hollande fait sienne l’idée du Grand Paris ?

Quand François Hollande prononce son discours à la mairie de Paris, le jour de son investiture, il dit qu’il fera le Grand Paris selon ce que proposeront les élus. Or il se trouve que les élus sont incapables de se mettre d’accord sur une proposition. C’est l’échec de 2012-2013. En réalité, le monde entier cherche des modèles de gestion métropolitaine. Or il n’y en a quasiment pas. Madrid a sans doute un système à la bonne échelle, comme Londres, mais dans une confrontation permanente entre le Grand Londres et les boroughs, très puissants, tout comme l’Etat, plus puissant qu’ici. New York ne dispose pas d’organisation institutionnelle métropolitaine. Milan a échoué dans cette direction. Barcelone a construit une institution mais celle-ci n’a pas fonctionné. Idem à Turin. Montréal a fusionné les communes dans une métropole, mais les communes les plus aisées ont quitté l’institution… Les métropoles asiatiques ou sud-américaines rencontrent les mêmes problèmes. Il faut essayer d’inventer quelque chose.

Vous êtes opposé à une métropole dite « intégrée » ? 

Je n’ai pas la solution mais, ce qui est sûr, c’est que la métropole intégrée – ce que le géographe Philippe Estèbe appelle la métropole Gargantua, qui prétend tout gérer à une échelle de 7 voire 9 millions d’habitants – ne fonctionne pas. Il faut se déporter, et travailler sur des concepts tels que l’interterritorialité, sur lesquels travaillent des gens comme Martin Vanier (Acadie) depuis longtemps. Une institution « supra » ne correspond pas à l’évolution de la société française, et à ses aspirations à la décentralisation. Et ce n’est pas non plus un syndicat mixte qui peut mener les grandes politiques de développement économique, de transition énergétique ou de politiques agricole. Je suis assez d’accord avec ce que propose Jean-Louis Missika à ce sujet. Même s’il ne dit pas assez qu’il faut qu’un pouvoir décisionnel demeure, à un moment, sur la base d’une convergence qui ne s’impose pas d’en haut. Ce qui, il est vrai, paraît difficile à imaginer. Il y avait cette idée dans la conférence territoriale de l’action publique (CTAP). Hélas, aujourd’hui, Valérie Pécresse en fait un lieu de promotion de sa politique.

Vous vous êtes constamment battu pour réduire les inégalités territoriales ?

Les inégalités au sein de l’Ile-de-France sont inouïes. Il faut une réforme radicale de la fiscalité à l’échelle du Grand Paris. Nous n’avancerons pas sans une transformation profonde.  Les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), en 2017, ont rapporté 1,4 milliard d’euros à Paris, 170 millions en Seine-Saint-Denis. Cela ne peut plus durer. L’attractivité parisienne est aussi le résultat du travail des 800 000 Grandparisiens qui viennent travailler chaque jour à Paris. L’absence des aéroports dans le périmètre actuel de la métropole démontre que la question essentielle n’est pas le périmètre. Aujourd’hui, une partie de la classe politique grandparisienne n’arrive pas à s’acculturer à ce qu’est une métropole. Et oublie que l’on est dans une métropole de rang mondial, aussi bien dans le domaine matériel qu’immatériel.

Quel regard portez-vous sur le pouvoir actuel ?

On a prêté à Emmanuel Macron, à partir de quelques déclarations, une volonté de réforme puissante. En réalité, il n’a aucune connaissance du Grand Paris, cela ne l’intéresse pas du tout, c’est le néant complet. J’ai peur qu’une fois de plus, comme en 2014, le Grand Paris ne figure pas parmi les questions de la campagne des municipales de 2020.

Sur la métropole du Grand Paris qui va fêter ses trois ans ?

On a fait un pas dans la bonne direction, grâce à Patrick Ollier et à la gouvernance partagée mise en place avec Anne Hidalgo, que je remercie de m’avoir permis de poursuivre cette mission à ses côtés. Avant la métropole, on était dans un morcellement politique complet. Aujourd’hui ça discute, ça produit des documents stratégiques très intéressants. Le plan climat air énergie métropolitain (PCAEM) est étonnement fort, alors que tous les partis politiques n’étaient pas sensibilisés de la même façon à la question environnementale. De même, le préambule du schéma de cohérence territoriale (Scot), en cours d’élaboration, dit des choses très puissantes. « Inventons la métropole » a permis de valoriser des villes qui n’en auraient pas bénéficié. Mais la métropole est prisonnière de sa conception politique de fond, qui la maintient dans un entre-deux entre la métropole intégrée et la métropole fédérée. L’absence de lien organique entre la métropole et les territoires en est l’illustration.

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