L’immobilier durable : comment faire plus et mieux qu’un simple greenwashing ?

Géraldine Ajax, directrice de la marque du promoteur immobilier Quartus, Céline Tignol, directrice de la direction Immobilier du Groupe RATP, Estelle Sabatier, directrice publics, communication, évènements et numérique au Pavillon de l’Arsenal et Vianney Delourme, cofondateur d’Enlarge your Paris, ont échangé leur vision des exigences d’un immobilier plus durable lors de la dernière matinée des assises du Grand Paris qui s’est tenue le 13 juin dernier à la Sorbonne.

Comment faire plus et mieux qu’un simple greenwashing (dans l’immobilier) ? Géraldine Ajax a ouvert cette table ronde des Assises du Grand Paris en remettant en cause la pertinence de son intitulé. « Très sincèrement, je pense qu’on n’en est plus là du tout depuis même pas mal de temps », a fait valoir la directrice de la marque de Quartus.

« Si j’étais moi-même un peu provocatrice, je rappellerais que l’immobilier, c’est presque le produit le plus décarboné par définition », a-t-elle étayé, évoquant notamment les exigences élevées de la réglementation environnementale RE2020. « Les attentes de nos clients d’une part, et de nos investisseurs d’autre part, nous ont obligé à nous mobiliser sur ces sujets depuis longtemps », estime-t-elle.

Géraldine Ajax, directrice de la marque Quartus. © David Arous / Jgp

« Etre un promoteur immobilier, c’est comprendre les aspirations de ses clients et d’essayer d’y répondre au mieux », considère Quartus, qui a réalisé récemment une étude pour mieux connaître ces attentes. Les réponses d’un échantillon de 1 500 personnes, analysées avec l’aide d’un bureau de tendance, rappellent le paradoxe d’une société où une grande majorité de personnes réside en ville, mais exprime un certain désamour pour le milieu urbain, révélé notamment par la pandémie, qui a placé la qualité de l’habitat et de son environnement au premier plan des préoccupations.

« Quand on nous dit subitement que l’on n’a plus accès aux soins, à la culture, aux mobilités, le logement devient extrêmement prégnant et entre ceux qui étaient bien logés et ceux qui étaient mal logés, je pense que tout le monde n’a pas du tout vécu le confinement de la même manière », a rappelé Géraldine Ajax.

Les risques sur la santé et la qualité de vie en ville liés à l’augmentation de la pollution et des températures, avec la multiplication des périodes caniculaires, ressortent de l’enquête comme des éléments constitutifs d’un sentiment d’éco-anxiété à la prégnance croissante. 67 % des 18-24 ans se déclarent atteints d’éco-anxiété, indique cette étude, qui reflète par ailleurs le constat largement partagé d’une croissance des inégalités de conditions de vie et d’habitat liées largement à la hausse continue des prix du logement qui a caractérisé les dernières décennies en zones tendues.

Montée en puissance du télétravail

« Le pouvoir d’achat d’un jeune actif entre 2000 et 2021 est passé de 20 mètres carrés à onze mètres carrés. En Ile-de-France, trois jeunes actifs sur dix continuent d’habiter chez leurs parents », a également souligné Géraldine Ajax, citant l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur).

Face à des prix trop élevés, les plus jeunes indiquent qu’ils peuvent être séduits par de nouvelles formes d’accès à la propriété, indique encore l’étude de Quartus. Elle reflète aussi la place déterminante qu’a pris l’habitat compte tenu des évolutions liées à la montée en puissance du télétravail.

L’importance nouvelle du rapport qu’établissent les habitants entre leur logement et leur santé, le souhait de disposer d’un habitat évolutif, modulaire, entouré de verdure, figurent parmi les éléments centraux de cette étude, qui place le retour de la nature en ville en première position des attentes des personnes interrogées.

« 47 % affirment être prêts à habiter dans un logement plus petit à partir du moment où ils disposent d’une surface extérieure plus grande », a également indiqué Géraldine Ajax. Pour autant, une majorité de sondés indique qu’elle ne souhaite pas partager avec ses voisins autre chose qu’un jardin, et peu rêvent de cuisine ou d’une salle commune mutualisées.

La directrice de la marque de Quartus a exprimé par ailleurs sa conviction d’un avenir dans lequel la construction neuve allait se réduire au profit de la transformation du bâti existant, de la régénération urbaine. Elle a évoqué l’ancien hôpital Saint-Vincent de Paul, opéré par Quartus avec les architectes Anne Lacaton & Jean-Philippe Vassal, dans lequel la transformation d’une maternité en logements s’effectue en conservant 80 % du bâtiment existant. Quartus, dont quatre opérations sur cinq ont lieu sur des fonciers déjà artificialisés, a pour objectif de réaliser 30 % de son activité dans des opérations de régénération urbaine.

Enfin Géraldine Ajax s’est félicitée qu’à l’heure de l’application progressive de la directive européenne sur le reporting extra-financier (Corporate sustainability reporting directive, CSRD), les exigences des investisseurs pour un verdissement des projets qu’ils soutiennent constituent des incitations puissantes à une transition écologique réelle.

Un investissement d’un milliard d’euros pour la RATP

Céline Tignol, directrice de la direction Immobilier du Groupe RATP, a rappelé en préambule l’impérieuse nécessité pour un opérateur qui possède un stock de fonciers considérable, nécessaire au bon fonctionnement du réseau de transport parisien, de réduire les émissions du parc existant. « La RATP détient de l’immobilier tertiaire, des centres-bus, des garages, des datacenters, des centres médicaux, soit une grande diversité de patrimoine, conçu parfois il y a des décennies, à une époque où la réglementation n’était pas celle d’aujourd’hui ». La Régie a donc initié un vaste diagnostic de la performance énergétique de son parc, préalable à la définition d’une stratégie d’intervention, fixant les opérations prioritaires. Soit un investissement global évalué à un milliard d’euros.

Céline Tignol, directrice de la direction Immobilier du Groupe RATP. © David Arous / Jgp

« Au regard des exigences du décret tertiaire, un tiers du parc de la RATP passe l’échéance 2030, 10 % seulement de notre parc l’échéance 2050. Ce qui signifie que nous allons devoir investir dans les 20 prochaines années sur 90 % de notre empreinte tertiaire industrielle », a souligné Céline Tignol. En rappelant que le système de financement du transport public demeurait particulièrement contraint. « Notre ambition, bien sûr, c’est d’essayer de traiter tous les sujets, incluant la sobriété en eau, ou la poursuite de l’électrification des véhicules », a-t-elle indiqué. Dans un parc qui ne pose pas de difficultés opérationnelles le plus souvent. « Certains peuvent se demander pourquoi, quand on est très content d’un atelier de maintenance, d’un centre bus, il est nécessaire de réinvestir des dizaines de millions d’euros pour le transformer ».

La Régie participe aux réflexions en cours sur le financement de l’immobilier, dont le modèle passé ne permet pas de prendre en charge les exigences de verdissement et de performance énergétique. La RATP se dote par ailleurs d’un budget carbone, permettant de valoriser chaque tonne de carbone évitée. « Ce sont des sujets que nous partageons avec la SNCF par exemple, qui n’a pas de modèle pour financer les projets de renaturation des fonciers dont elle dispose le long de ses voies ferrées », a indiqué Céline Tignol.

« La RATP s’inscrit pleinement dans la logique de transformation de l’existant, de la ville sur la ville », a repris la directrice de la direction Immobilier du Groupe RATP, décrivant la mixité fonctionnelle des nouveaux montages, favorisant les superpositions au sein de programmes complexes, permettant de moderniser l’outil industriel en répondant aussi aux besoins de logements, notamment sociaux. En répondant également à l’impératif de lutte contre les îlots de chaleur, de désimperméabilisation et de protection de la biodiversité.

Le pavillon de l’Arsenal rejoint Iniative house Europe

Estelle Sabatier, directrice publics, communication, évènements et numérique au Pavillon de l’Arsenal a décrit comment son institution était engagée pour faire partager au plus grand nombre les nouveaux enjeux de l’architecture, « avec un fil rouge écologique qui ne cesse de s’affirmer », évoquant l’exposition en cours au Pavillon sur les Natures urbaines. « Les institutions culturelles doivent participer de cette acculturation positive mais surtout nécessaire aux questions environnementales. C’est ce que l’on essaye de faire sous la férule de Marion Waller, en gardant une très haute qualité scientifique dans nos contenus à dimension professionnelle ». « Notre rôle est de pousser tout le monde à la meilleure qualité architecturale mais aussi environnementale ».

Estelle Sabatier, directrice publics, communication, évènements et numérique au Pavillon de l’Arsenal © David Arous / Jgp

Vianney Delourme, cofondateur du média culturel Enlarge your Paris. © David Arous / Jgp

Estelle Sabatier a indiqué que le Pavillon avait récemment rejoint l’initiative House Europe, mouvement citoyen qui porte une proposition de loi européenne visant à favoriser la rénovation sur la démolition. « Le but, c’est que cette initiative citoyenne parvienne à récolter plus d’un million de signatures pour ensuite espérer porter le projet de loi devant le Parlement européen », a-t-elle souligné.

Nouvelles urbanités

Vianney Delourme a abordé le sujet de la décarbonation de l’immobilier en évoquant celui, émergent, de l’habitabilité, celle du Grand Paris en l’occurrence, un des sujets traités par le collectif des nouvelles urbanités auquel le cofondateur du média culturel Enlarge your Paris appartient. « Dans ce collectif travaillent des architectes, des promoteurs, des aménageurs, des scientifiques, des notaires, un journaliste. Cela permet de sortir de la logique projet où chacun a son cadre et son périmètre. Ses membres fondateurs sont l’Atelier parisien d’urbanisme, Aurore, La banque des territoires, ou encore Cheuvreux, notaire, la Cité anthopocène et les architectes d’Encore heureux, de Yes we camp et de Plateau urbain ».

« Ce qui nous intéresse, c’est de réfléchir à la question de savoir comment les lieux déjà construits, dans lesquels on habite, peuvent être renouvelés, comment on peut les faire vivre différemment selon les générations, les enjeux, les possibilités, l’argent, le climat », a poursuivi Vianney Delourme. Avant de rappeler l’urgence d’une accélération de la transition, alors que les prévisions de hausse de la température à l’échelle du siècle sont particulièrement alarmantes.

 

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