L’Etablissement public foncier d’Ile-de-France est en passe de parvenir à maintenir, pour 2020, ses objectifs de cessions et d’acquisitions, malgré la pandémie. Gilles Bouvelot, son directeur général, revient sur les enjeux de transition écologique, les tensions sur le foncier en petite couronne, ou l’aménagement autour des futures gares du Grand Paris express. Il décrit également la mobilisation de l’établissement contre l’habitat dégradé.
L’EPF Ile-de-France atteindra-t-il ses objectifs de cessions et d’acquisitions cette année ?
Nous allons, malgré la pandémie, atteindre nos objectifs pour 2020. Il est clair que cette année aura été particulière, avec la conjonction de l’impact du cycle électoral – avec des élections municipales dont les deux tours ont été séparés de trois mois – et celui de la crise sanitaire. Tout cela a retardé la mise en place des équipes municipales dans de nombreuses communes. Mais, nous étions déjà organisés pour le télétravail, avec une forte dématérialisation de nos process, nous permettant de poursuivre l’activité juridique et administrative durant le confinement. Et nous avons pu, dès le mois de mai, reprendre fortement le travail in situ, que ce soit les visites de chantiers, de sites, les prises de possession, autant de rendez-vous indispensables à l’avancement de nos programmes. Je tiens à saluer à ce sujet la mobilisation des équipes de l’établissement, qui a permis de rattraper le retard pris durant le premier confinement, et qui devrait aboutir à une réalisation de notre budget à 100 %, autant pour les acquisitions que les cessions, malgré le nouveau confinement.
Constatez-vous des remises en question profondes ou des annulations de certains projets par les municipalités nouvellement élues ?
Aucune annulation de projet n’a été relevée à ce jour. En revanche, les équipes municipales qui demandent à réexaminer des dossiers ne sont pas rares. D’autres, à l’inverse, se montrent résolues à lancer des projets très rapidement pour participer à la relance économique et profitent de la fenêtre de tir qui est rouverte, par exemple pour lancer des procédures de déclaration d’utilité publique (DUP). Ces deux tendances se compensent globalement à mon avis.
En matière de développement, le partenariat avec les collectivités locales s’essouffle-t-il ?
Non. Nous continuons à recevoir des demandes de conventions émanant des collectivités territoriales. 2019 a constitué à ce sujet une année record en nombre de conventions signées, correspondant à 18 mois d’activité moyenne pour l’EPF, de nombreuses villes ayant anticipé la période électorale, peu propice à la réunion des conseils municipaux. Aujourd’hui, les discussions pour étendre des périmètres existants, ou préparer de nouvelles conventions, ont repris. Les élus franciliens demeurent animés par la volonté de réaliser des projets. Même si la manière avec laquelle ils sont élaborés, de même que leur nature, va très clairement évoluer.
Quels sont les nouveaux déploiements (innovation, filiales) de l’EPF Ile-de-France ?
L’EPF Ile-de-France compte aujourd’hui quatre filiales. Deux effectuent des réserves foncières et des portages de long terme. L’une, historique, avec Plaine commune et l’autre avec la Banque des territoires, sur un périmètre qui englobe la totalité de la région Ile-de-France et qui intervient notamment sur le périmètre des futures gares du Grand Paris express. Deux autres filiales, une, déjà constituée, la Sifae (Société immobilière et foncière Action Logement – EPF Ile-de-France) et l’Acif (Agir pour les copropriétés Ile-de-France), en cours de constitution, sont dédiées à la lutte contre l’habitat indigne. Pour lutter contre les marchands de sommeil, elles ont pour vocation l’acquisition de biens en amont, pour les remettre ensuite sur le marché classique de la propriété. La Sifae, qui lie l’EPF à Action logement, vise le tissu pavillonnaire avec un budget de 40 millions d’euros, tandis que l’Acif, créée avec CDC Habitat social, cible les copropriétés dégradées.
L’équipe de la Sifae est en train d’être constituée, quand débutera son activité opérationnelle ?
Les équipes de la Sifae sont en cours de constitution, sous la houlette de sa directrice Léa Makarem et la structure va connaître une montée en puissance progressive dans les semaines et les mois qui viennent. Mais l’EPF Ile-de-France avait en quelque sorte anticipé, en procédant à l’acquisition d’un certain nombre de pavillons, sur ses fonds propres, dans trois communes à titre de préfiguration : Aulnay-Sous-Bois, Clichy-sous-Bois et Montfermeil.
La Foncière publique Ile-de-France, présidée par Nathalie Tessier, vient pour sa part de réaliser sa première acquisition à Aulnay-sous-Bois. Cette filiale mène des actions de portage à très long terme, des réserves foncières, pour des projets qui ne sont pas encore forcément connus, ce qui complète l’intervention de l’EPF qui cède le foncier sur le court et le moyen terme. La Foncière publique Ile-de-France a vocation à prendre des positions autour des futures gares du Grand Paris express, afin d’enrayer les mouvements spéculatifs qui déjà se font jour.
Constatez-vous d’importants mouvements spéculatifs autour des gares du Grand Paris express ?
Les promoteurs travaillent sur des temporalités de court-terme. La pression sur le foncier s’exerce aujourd’hui autour des gares existantes et dans l’ensemble de la petite couronne, où il existe une compétition relativement forte entre opérateurs qui aboutit dans certains cas à des surenchères. La demande demeure, même légèrement réduite par la crise, mais comme l’offre reste inférieure, les prix n’ont pas baissé pour l’heure. Nous avons vocation, là où nous intervenons, à réguler ces phénomènes en cédant nos fonciers sans enchère, à prix fixe, pour éviter toute forme de spéculation susceptible d’obérer les projets futurs et, avec eux, le développement urbain souhaité par les collectivités. Par notre action, nous créons les conditions pour que les projets soient choisis en fonction de leur qualité intrinsèque, et non seulement en fonction d’éléments financiers.
Quel est votre engagement dans la transition écologique ?
Pour nous, la transition écologique n’est pas vécue comme une contrainte mais comme un atout. Il s’agit de trouver le juste équilibre entre les aspirations fortes de nos concitoyens pour la nature dans la ville et la nécessité de construire encore afin de répondre aux besoins qui persistent, notamment en Ile-de-France. Il faut donc travailler sur tout ce qui rend la ville à la fois résiliente et désirable. Nous avons, dans cet esprit, beaucoup investi dans des opérations exemplaires ou expérimentales. Nous souhaitons désormais capitaliser sur l’expérience ainsi acquise et massifier cette démarche, en inscrivant notre action dans l’objectif de zéro artificialisation nette. Cela passe par l’insertion d’îlots de fraîcheur au sein des projets, ce que nous appelons la « charge foncière verte » par un effort pour réduire le bilan carbone global de nos opérations, grâce en particulier aux matériaux biosourcés. Nous ne visons pas, en l’occurrence, à créer de nouvelles normes, mais à parvenir par la pédagogie et l’expertise, à des projets exemplaires qui soient aussi des démonstrateurs, crédibilisant le fait que le recyclage de la ville sur elle-même peut être une solution pour accompagner leur développement sans artificialisation nette des sols. Les différents acteurs de l’immobilier, les aménageurs publics et privés, tout comme les opérateurs fonciers que nous sommes doivent s’engager dans un usage sobre et économe du foncier.
En dépit du confinement, les Orcod-IN (opération d’intérêt national de requalification des copropriétés dégradées) continuent-elles d’avancer selon le calendrier prévu ?
Ces opérations avancent. Nous avons rencontré, certes, des difficultés à visiter les logements concernés durant le confinement. Mais là aussi, le retard est rattrapé. L’opération d’aménagement de Clichy-sous-Bois, conduite avec Grand Paris aménagement, est désormais bien engagée. Des démolitions sont en cours, des constructions sont lancées. Celle de Grigny est au stade de la scission des copropriétés et de maîtrise massive de lots. Le projet urbain devrait être prochainement validé. L’opération de Mantes-la-Jolie est en phase de démarrage. Nous procédons actuellement aux premières acquisitions avec notre partenaire l’Epamsa (Etablissement public d’aménagement du Mantois Seine Amont). Enfin, une quatrième Orcod-IN, à Villepinte, a fait l’objet d’études de préfiguration et est en phase de consultation.
Quelles sont ses particularités et est-ce la dernière ?
700 logements en copropriétés sont concernés, avec un centre commercial en mauvais état, des équipements et voiries à refaire, des démolitions à envisager, soit une configuration relativement classique. Il s’agit d’une véritable opération de rénovation urbaine, et pas seulement d’une opération immobilière. C’est ce qui justifie que cette opération soit classée prioritaire. Villepinte a donc une taille moindre que Clichy-sous-Bois et Grigny, mais les problématiques y sont en tous points similaires, d’habitat indigne et dégradé, de marchands de sommeil, de carence de copropriété et de déshérence commerciale, etc… Car l’intérêt national n’est pas qu’une question de taille, mais de nature des difficultés. Les études ont montré qu’il n’y aurait pas d’autre site relevant des mêmes problématiques, donc l’Orcod-IN de Villepinte, si elle est retenue, devrait être la quatrième et dernière opération d’intérêt national en Ile-de-France.
En quoi consiste le centre de ressources des copropriétés dégradées de l’EPF Ile-de-France ?
L’EPF Ile-de-France pilote donc les trois premières Orcod-IN de France. D’autres seront créées en région, notamment dans le sud de la France et des Orcod de droit commun verront aussi le jour. L’idée est de partager notre expérience avec nos collègues, notamment dans la mise en œuvre des procédures, nombreuses et complexes, ainsi que les méthodes de travail ad hoc que nous avons mis en place. Cela passe par exemple par la diffusion de cahiers des charges et d’outils méthodologiques.
Pour conclure, je dirais que l’EPF Ile-de-France innove en matière de transition écologique et énergétique, mais aussi dans la réparation de la ville, avec les Orcod-IN. Tout cela en maintenant, malgré la crise sanitaire, un volume d’activité en croissance.