La dernière livraison des Cahiers de l’Institut Paris Region, largement consacrée à la crise pandémique, analyse les vulnérabilités propres aux métropoles. Ses auteurs invitent à plus d’anticipation, face aux risques sanitaires, mais aussi climatiques ou liés aux crues.
Après « Les Villes changent le monde », « Le Sport rythme la ville » et « Aux Actes citoyens », la dernière livraison des Cahiers de l’Institut Paris Region consacre ses 208 pages à la vulnérabilité des grandes cités, dans un ouvrage intitulé « Fragiles métropoles, le temps des épreuves ».
Orchestré par deux experts de l’Institut, Ludovic Faytre, urbaniste, spécialiste de la crue centennale et autres risques naturels et technologiques majeurs, et Tanguy Le Goff, politiste, ces cahiers, co-édités, c’est une première, avec les PUF, cherchent à identifier les vulnérabilités propres aux métropoles et singulièrement à celle du Grand Paris. « On parle souvent de l’attractivité, voire de la résilience des métropoles, plus rarement de ce qui les rend fragiles », soulignent les deux auteurs, qui citent la taille, la densité, la dépendance énergétique ou alimentaire de l’agglomération parisienne, comme autant de facteurs de fragilité.
« Le premier pas vers la résilience est d’accepter sa vulnérabilité », souligne Ludovic Faytre, ce que Patrick Boucheron, historien, auteur de l’histoire mondiale de la France, dit autrement en ouverture de l’ouvrage : « Pourquoi ne voit-on pas ce que l’on a sous les yeux ? interroge-t-il. Qu’est-ce qui fait que l’on ne voit pas ce qui est évident ? Notre principale vulnérabilité, c’est que nous avions oublié que nous étions vulnérables ».
En écho à cette affirmation, Freddy Vinet, professeur à l’université Paul-Valéry de Montpellier, spécialiste de la gestion des catastrophes et des risques naturels, rappelle dans un article comparant la pandémie actuelle et la grippe espagnole de 1918-1919, que celle-ci est sortie de la mémoire collective. Alors que ce fléau a provoqué 50 millions de morts. Mais dans les années qui le suivirent, on préféra célébrer la victoire militaire.
Les analogies entre les pandémies, à un siècle d’intervalle, sont nombreuses. La grippe espagnole, par exemple, pose les mêmes questions relatives « aux arbitrages de gestion de crise, en particulier entre la nécessité de maintenir la vie sociale et économique et les impératifs sanitaires ». Les inégalités socio-économiques devant l’épidémie figurent également parmi ces similitudes. L’augmentation de la mortalité provoquée par la grippe espagnole a surtout atteint la domesticité, qui vit dans les conditions difficiles. De même que les décès liés à la grippe sont nombreux chez les jeunes ouvriers du textile des Cévennes, « qui travaillent près de dix heures par jour dans des conditions d’humidité, de grande promiscuité et de stress ». Pas de confinement possible au début du XXe siècle, rappelle Freddy Vinet : on est en guerre et les réfrigérateurs sont très peu répandus, tout comme l’eau courante.
Et en 1918, la connaissance de la grippe « n’est qu’un épais brouillard : le virus n’est pas identifié et les traitements efficaces inexistants ». Le port du masque se répand alors aux Etats-Unis et au Japon, mais reste confidentiel en France note encore l’historien. L’épidémie s’éteindra au bout d’un peu plus d’un an, grâce à l’immunité collective.
Une pandémie révélatrice d’inégalités
Le Covid a joué les révélateurs, montrent à maints égards ces cahiers stimulants : « On a vécu à marée basse… Ce qui était invisible est devenu visible. Ceux qui sont là, ceux qui étaient dans la rue, l’étaient parce qu’ils n’avaient pas d’autre endroit pour vivre au quotidien ou parce qu’ils travaillaient pour les autres », rappelle Patrick Boucheron.
« Les inégalités de santé resteront comme la grande gifle que nous avons tous reçue, confirment Aurélien Rousseau et Luc Ginot, respectivement ancien directeur général et directeur de la santé publique de l’ARS Ile-de-France, dans un article sur le système de santé face à la pandémie. Nous avons redécouvert que réduire la morbidité et la mortalité passait d’abord par la prise en compte des contextes de vie ».
Plaine Commune, Est Ensemble et Roissy-Pays de France connaissent une surmortalité, de même que les habitants de communes telles que Sarcelles, Fleury-Mérogis, Savigny-le-Temple ou Grigny, indique également un article de Catherine Mangeney socio-démographe, Valérie Féron, statisticienne et Sabine Host, experte en environnement-santé à l’Observatoire régional de la Santé (ORS) d’Ile-de-France. Ces territoires cumulent un moindre dépistage, un taux de positivité supérieur, une couverture vaccinale et un accès aux soins moins bons qu’ailleurs.
La ville comme lieu de promiscuité propice à la contagion est une antienne de l’épidémiologie historique, poursuit l’ouvrage. Lors des épidémies de peste, jusqu’au XVIIIe siècle, la population fuit dans les campagnes pour échapper à la maladie. Toutefois, « ce n’est pas la densité qui, en elle-même, serait pathogène, mais la manière dont les individus vivent en espace urbain dense », soulignent Ludovic Faytre et Tanguy Le Goff.
L’OCDE, dont Laurent Perrin, architecte-urbaniste à l’Institut Paris Region, relaie les constats dans un article intitulé : « La crise sanitaire aura-t-elle raison des métropoles ? », ne dit pas autre chose : « le problème sanitaire n’est pas lié à la densité urbaine, mais plutôt aux inégalités structurelles et à la qualité de l’urbanisation », estime l’Organisation de coopération et de développement économiques. « Le retour à une plus grande proximité spatiale occasionné par les confinements et d’autres couvre-feux offre l’occasion de passer d’un objectif d’accroissement de la mobilité à celui d’une amélioration de l’accessibilité, si l’on repense l’espace public, la planification et l’aménagement urbain », considère également l’institution.
Des facteurs d’optimisme
Ces Cahiers de l’Institut Paris Region contiennent aussi nombre de facteurs invitant à l’optimisme, à l’instar de l’article que le directeur de l’Institut Fouad Awada consacre à l’explosion du port de Beyrouth : « concrètement, un an après l’explosion, dans ce pays où les citoyens ont appris depuis bien longtemps à ne pas compter sur le gouvernement, on est frappé de constater que toutes les habitudes des quartiers directement affectés ont été (plus ou moins bien) réparées, que la vie est revenue dans 80 % d’entre elles, que l’hôpital fonctionne à nouveau et que l’espace public est redevenu relativement propre. L’effort de solidarité, l’urbanisme tactique, ou plutôt le BTP tactique auront donc payé pour réparer une grande partie des dégâts physiques », ajoute Fouad Awada.
De même, citant Johannes Krause, qui a séquencé le génome de Yersinia Pestis en 2017, Patrick Boucheron indique que « les séquenceurs d’aujourd’hui calculent 150 millions de fois plus vite qu’il y a dix ans ». « Dans ce que nous vivons aujourd’hui, souligne l’historien, il y a donc d’un côté des choses à la fois très archaïques, avec des mesures comme le confinement, semblable à ce qui s’est fait à Dubrovnik en 1377 pour limiter la contagion de la peste, et d’un autre côté, les preuves que nous avons avancé d’une manière fulgurante d’un point de vue scientifique ».
Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’université de Genève (Suisse), compare, dans un article intitulé « La coûteuse stratégie du vivre avec », les performances face au Covid des différentes stratégies déployées, en occident d’une part, et en orient d’autre part.
Alors qu’en avril 2021, date de rédaction de cet article, 130 millions de cas avaient été rapportés et trois millions de décès causés par la pandémie, quels sont les pays qui s’en sortent le mieux ? (*), interroge le professeur. Ce dernier rappelle que trois stratégies ont émergé : le vivre-avec, encore appelé mitigation et la suppression, stratégie de circulation minimale du virus, qui, poussée à son extrême, aboutit à l’élimination (stratégie zéro Covid).
La plupart des pays occidentaux ont emprunté la stratégie du vivre-avec : gérer le flux de patients en acceptant la morbidité qui en résulte, en tentant de les réduire par des mesures comme les gestes barrières et en mettant en œuvre des mesures plus fortes seulement en cas de menace imminente de saturation du système de santé. Cela aboutit à une mortalité voisine ou inférieure à 100 cas pour 100 000 habitants (Allemagne 93, France 145, Etats-Unis 169, début avril), soit cinq fois le seuil fixé pour se qualifier comme champion, avec par ailleurs une performance économique moindre.
« En plus de s’enfoncer dans une récession économique et d’afficher un bilan sanitaire catastrophique, les pays ayant choisi la stratégie de mitigation ont connu de longues périodes de confinement, de couvre-feu, et de mise à l’arrêt prolongée de leur vie sociale, culturelle, sportive et festive », souligne l’universitaire.
« Les pays « champions » ont tous adopté soit une stratégie de circulation minimale du virus (suppression), soit de zéro Covid (élimination). Ceux ayant choisi une stratégie de suppression (Japon, Corée du Sud, Finlande, Norvège, nombreux pays d’Afrique subsaharienne ou d’Asie, comme le Pakistan ou le Népal), se caractérisent par une mortalité 10 à 40 fois moindre que celle des pays ayant choisi de vivre-avec », est-il également constaté. Les pays ayant choisi le zéro Covid (Nouvelle-Zélande, Taïwan, Vietnam) ont des taux de mortalité de 10 à 100 fois inférieurs. Et ces pays ont enregistré les meilleures performances économiques en 2020. Cela indépendamment des politiques de vaccination, l’Angleterre ou les Etats-Unis, qui figurent parmi les pays les moins performants de la planète face au Covid, affichant parmi les meilleurs taux de couverture vaccinale.
Les stratégies de circulation minimale allient quatre piliers, est-il rappelé : le contrôle sanitaire strict aux frontières, la recherche rétrospective des chaînes de transmission, le recours aux traces digitales et l’isolement efficace des personnes infectées ou la quarantaine des personnes susceptibles de l’être, ainsi que le reconfinement local et bref des zones qui connaissent des clusters de contamination.
Face à ces différences de stratégies, et de résultats, Antoine Flahault s’interroge : « Au-delà du moindre degré de préparation, cela tient-il à une culture plus individualiste en occident, et plus collective en orient ? Est-ce lié à notre histoire politique ? Des anthropologues, des sociologues, des politistes et des historiens devront se pencher sur ces questions conclut-il, pour tenter d’apporter des clés de lecture à cette incroyable énigme du XXIe siècle ».
* ceux parvenus à une mortalité cumulée inférieure à 20 décès pour 100 000 habitants depuis le début de la pandémie, alors qu’ils ont réalisé 10 000 tests PCR par million d’habitants.
35 métiers ont été retenus dans la définition des travailleurs de premières lignes, notamment dans la santé, l’aide à la personne, l’alimentation, l’entretien des locaux, le transport, la logistique ou la sécurité, indiquent les auteurs de « Les premières lignes sous les projecteurs » (*). En Ile-de-France, 765 000 personnes exercent l’un de ces métiers, soit 14 % des actifs. Moins diplômés, ces travailleurs sont, pour une part élevée, des employés ou ouvriers, avec une faible proportion de cadres (un sur dix). Près d’un sur trois est immigré, et cette proportion est plus forte encore parmi les agents de propreté (trois actifs sur quatre) et les aides à domicile (plus d’une sur deux). Ces travailleurs ont aussi des revenus inférieurs de 22 % à la moyenne.* Pascale Leroi, économiste-urbaniste, Anne-Claire Davy, socioloque-urbaniste, Sandrine Beaufils, démographe, et Maylis Telle-Lamberton, épidémiologiste, ORS Ile-de-France, Institut Paris Region.