Bernard Landau – Architecte multicartes

Condisciple de Roland Castro aux Beaux-Arts, en 68, adjoint d’Elisabeth Borne à la direction de l’urbanisme de Paris, successivement trotskyste puis socialiste, Bernard Landau est la mémoire vibrante d’un demi-siècle d’architecture parisienne.

« C’était Paul Chemetov », dit-il en raccrochant son portable. L’architecte du ministère des Finances à Bercy souhaitait obtenir les lumières de Bernard Landau au sujet du local situé dans les parties communes d’un immeuble, au cœur d’un projet de recyclage urbain. « Les architectes voyers servent d’abord à ça », confie-t-il, dans un sourire généreux, la voix profonde et chantante. Celui qui fit valoir ses droits à la retraite de directeur adjoint de l’urbanisme de la ville de Paris en 2014 n’a jamais vraiment cessé de travailler.

On peut croiser le fondateur de l’association La Seine n’est pas à vendre (Spav) aux conférences sur le PLU bioclimatique de Paris, qu’il suit à la trace. Il se définit lui-même comme un lanceur d’alertes. Jean-Louis Missika en a fait les frais, l’ancien adjoint à l’urbanisme d’Anne Hidalgo ayant dû annuler plusieurs programmes de l’appel à projets urbains innovants « Réinventer la Seine », après que la Spav en ait pointé les risques ou les incohérences.

Bernard Landau. © Jgp

Bernard Landau était présent il y a quelques semaines au cimetière du Père Lachaise, avec le tout Paris de l’urbanisme et de l’architecture pour les obsèques de Roland Castro. L’inventeur de Banlieues 89, qui présida son jury de diplôme en 1973, fut son aîné aux Beaux-Arts. « C’était bon enfant », se souvient-il à propos de mai 1968, en décrivant la tentative infructueuse de Roland Castro de s’échapper, à un feu rouge, du fourgon de police dans lequel plusieurs architectes en herbe avaient été embarqués lors d’une occupation symbolique du CNPF (ex-Medef).

Un conteur hors-pair

S’il fut d’abord membre de la Ligue communiste révolutionnaire, ce cofondateur du Collectif des architectes communaux (CAC), fils d’un père russe et d’une mère polonaise, ne fait preuve d’aucun sectarisme. Ainsi loue-t-il l’énergie avec laquelle Jacques Chirac, alors jeune maire de Paris, entreprit de transformer la ville. Architecte voyer au sein de la Capitale dès 1983, il a effectué toute sa carrière à l’hôtel de ville. Au service des estimations d’abord, pendant de celui des domaines, puis a œuvré 15 années durant sur les nombreuses transformations de l’espace public parisien réalisées à cette époque. Bernard Landau est ensuite directeur de cabinet de Jean-Pierre Caffet, adjoint à l’urbanisme de Bertrand Delanoë, en 2001. Il intègre en 2002 la sous-direction de la coopération territoriale, au côté de Pierre Mansat, avec un certain Aurélien Rousseau, aujourd’hui directeur de cabinet de la Première ministre. « Mansat était l’élu le plus intéressant à mes yeux », dit-il. Il rejoint lui-même Elisabeth Borne, lorsque celle-ci est directrice de l’urbanisme sous la deuxième mandature de Bertrand Delanoë.

Celui qui prépare aujourd’hui un ouvrage collectif sur le Grand Paris est un conteur hors-pair pour narrer les grandes étapes d’un parcours professionnel aux mille facettes, comme pour se remémorer l’enfance. « Ils y sont tous passés, des deux côtés », indique-t-il pour résumer le tribut que les familles de ses deux parents ont payé au nazisme. En 1942, c’est par le retour d’une lettre, mentionnant « NPAI » (« n’habite plus à l’adresse indiquée »), que son père apprendra l’extermination d’une partie de sa famille. Sa fille, comédienne et auteure, a fait de cette histoire tragique une pièce de théâtre. Il évoque la famille d’agriculteurs qui a accueilli ses parents en Lozère, pour les cacher sous l’occupation allemande. Il cite la mémoire de ce fonctionnaire de Mende, qui prévint son père d’une prochaine rafle, lui sauvant la vie. « Mon père, comme beaucoup de juifs d’Europe de l’Est, avait une passion pour la France, qu’il nous a inculquée », dit-il.

D’abord médecin généraliste en Lozère, son père migre à Romainville. Les Landau vivent dans une  belle maison, en cœur de ville. L’été, il apprend la voile dans la baie de Saint-Brieuc. « Mon père a eu la bonne idée de nous inscrire au lycée Albert Schweitzer du Raincy », poursuit-il. Le bâtiment, sur pilotis, s’étire le long d’un parc. Il lui vaudra ses premiers dessins d’architecture.

Il raconte un temps où les architectes de la ville de Paris pouvaient mener de front des projets en libéral, ce qu’il fit à Calais ou à Nantes. Dans son appartement du boulevard Arago, dans l’entrée duquel trônent ses guitares, il sort avec gourmandise les référentiels sur le mobilier urbain, qu’il a coordonnés, ou les mémoires d’Haussmann, rééditées avec Françoise Choay en 2001. « J’essaie d’être utile à ceux que j’aime », conclut-il, pour résumer le sens qu’il donne désormais à sa vie.

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