Comment les grands comptes s’engagent (réellement) pour réduire leur empreinte carbone ? Sophie Mazoué, directrice RSE du Groupe RATP, Jean-Luc Girod, délégué régional Paris et Île-de-France Ouest d’Orange, Marion Lemaire, responsable RSE à la direction régionale Paris d’Enedis et Hélène Milot, directrice Île-de-France d’EDF ont démontré, le 13 juin dernier, lors de la 6e matinée de l’édition 2024 des Assises du Grand Paris, la réalité de leur stratégie de décarbonation.
« L’activité d’exploitation et de gestion d’infrastructures de transports collectifs de la RATP permet de répondre aux deux enjeux majeurs de transition écologique et énergétique et de décarbonation des villes », a souligné Sophie Mazoué, directrice RSE du groupe, en ouverture de la table ronde RSE, organisée le 13 juin dernier dans l’amphithéâtre Descartes de la Sorbonne lors de la 6e matinée des Assises du Grand Paris.
Améliorer la qualité du réseau de transport collectif francilien constitue la meilleure façon de lutter contre l’autosolisme, a-t-il été souligné. « L’énergie représente 99 % de nos émissions au titre du scope 1 et 2, et 44 % au titre du scope 1, 2 et 3, a indiqué Sophie Mazoué. C’est pourquoi si un voyage réalisé en RER ou en métro nécessite 8 à 10 fois moins d’énergie qu’avec un véhicule particulier, deux fois moins pour un bus, nous devons néanmoins travailler sur la performance et la sobriété énergétique de nos modes de transport ».
De récents investissements sur les lignes du métro parisien (14, puis 11 et 4 dans les prochains mois) ont permis par exemple une réduction de 17 % de consommation énergétique par rapport au matériel précédent, grâce à une meilleure performance de la motorisation. Le remplacement des ampoules traditionnelles par des leds, de même que la formation des chauffeurs à l’écoconduite améliorent également la performance énergétique de la Régie, des bus en l’espèce, qui représentent 64 % de ses émissions de gaz à effet de serre. « Le programme bus 2025 est donc pour nous emblématique », a poursuivi Sophie Mazoué. La flotte de 4 700 bus, essentiellement diesel à l’origine, sera à terme composée à 50 % de véhicules électriques et de 50 % au bioGNV, divisant par deux leurs émissions.
Sophie Mazoué a évoqué à ce sujet le règlement CO2 adopté en avril dernier par le Parlement européen, qui, sans modification lors de la clause de revoyure fixée à 2027, imposerait des bus dits « zéro émission » dès 2035, soit des véhicules électriques ou hydrogène, alors même que l’Ile-de-France a investi massivement dans les bus alimentés au bioGNV. « Il va falloir revoir toutes nos infrastructures », a résumé la directrice RSE du groupe RATP, qui a rappelé qu’en toutes hypothèses, la Régie avait d’ores et déjà massivement investi pour le verdissement de sa flotte.
« Nous avons par ailleurs développé une démarche d’achat responsable qui nous permet d’embarquer nos fournisseurs dans la recherche de solutions bas carbone », a-t-elle repris. Dans le cadre de la trajectoire +1,5 °C définie par Climate analytics, qui requiert l’atteinte de la neutralité carbone au plus tard en 2047, et dans laquelle la RATP s’inscrit, cette dernière s’est imposée d’avoir 70 % de ses achats réalisés auprès de fournisseurs qui s’engagent également dans une démarche équivalente.
Enfin la RATP, qui emploie 70 000 personnes dont 45 000 en Ile-de-France, leur a largement présenté la fresque du climat et a créé une Académie de la transition écologique afin de former l’ensemble de ses agents à ces enjeux.
« L’électricité, plus que jamais vital »
« Il faut avoir à l’esprit que l’électricité constitue plus que jamais un bien vital pour nos civilisations, a fait valoir lors de cette même matinée Hélène Milot. On ne peut plus vivre sans électricité, pour se loger, se chauffer, se soigner ». La directrice Ile-de-France d’EDF a rappelé la raison d’être de l’énergéticien : construire un avenir énergétique neutre en CO2 conciliant préservation de la planète, bien-être et développement grâce à l’électricité et à des solutions et services innovants. « Cet engagement figure au cœur de notre activité, c’est réellement ce pourquoi on se lève tous les matins », a-t-elle souligné.
Un engagement qui dépasse la recherche et la fourniture de solutions énergétiques bas carbone et s’étend à des actions de solidarité, de soutien à l’économie sociale et solidaire notamment, encore renforcées dans le cadre de la préparation des Jeux olympiques et paralympiques. EDF place par exemple le sport au cœur de ses modes de recrutement des personnes éloignées de l’emploi, dans les quartiers prioritaires au titre de la politique de la ville, alors que les impératifs de la transition énergétique créent des tensions sur le recrutement.
« Par le sport, on prend confiance en soi, on a envie de se dépasser, on joue collectif. Autant de valeurs qu’EDF recherche chez ses jeunes recrues », a souligné Hélène Milot. EDF a travaillé sur des emplois de chauffagiste, de frigoriste, en identifiant quelles aptitudes sportives correspondaient aux compétences professionnelles recherchées, « autour du sens du collectif, du respect des règles, de la consigne, de l’écoute des autres ».
Passeport pour l’emploi avec Thierry Marx
Hélène Milot, qui a cité par ailleurs le soutien de l’énergéticien à Passeport pour l’emploi, l’association créée par le chef cuisinier Thierry Marx, a décrit comment EDF travaillait avec ses partenaires territoriaux, collectivités, missions locales, chambres consulaires, pour sourcer des entreprises et des ressources humaines locales.
« Pour atteindre la neutralité carbone, il vaut mieux choisir des entreprises implantées à proximité de nos chantiers », a-t-elle souligné, évoquant par ailleurs les exigences que se fixe également l’énergéticien dans le cadre de sa politique d’achat responsable, menée elle aussi en lien avec les acteurs des territoires.
Hélène Milot a illustré l’engagement d’EDF au titre de la RSE par le partenariat en cours avec le théâtre des Amandiers de Nanterre (Hauts-de-Seine), avec lequel des ateliers de lecture ont été développés notamment autour du Petit prince de Saint-Exupéry, pour sensibiliser les habitants du quartier Picasso (qui abrite un site important d’EDF) aux enjeux de la préservation de la planète.
Hélène Milot a également décrit comment EDF travaille avec l’Agence d’innovation et de transformation urbaine, pour mesurer l’impact de ses politiques de RSE, non pas chiffré, « mais plutôt ce qui relève du lien social, du développement d’activités associatives, ou encore de la lutte contre la précarité ».
Pour un numérique de confiance
Jean-luc Girod a rappelé l’engagement de sa société pour atteindre le zéro carbone dès 2040, soit 10 ans avant la date butoir que s’est fixée le secteur.
Le délégué régional Paris et Ile-de-France Ouest d’Orange a décrit l’engagement de l’opérateur dans l’écoconception de ses produits, alors que la dernière box a été conçue en intégralité en vertu de ce principe, ce qui lui a valu d’être distinguée par le prix Footprint progress décerné aux produits et services éco-conçus par Véritas.
Orange développe également une politique de recyclage de ses produits. Ainsi, des linéaires de téléphones recyclés garnissent désormais les rayonnages des boutiques de l’opérateur. Le recyclage concerne aussi ses déchets, alimentaires, mobiliers, désormais inscrits dans des démarches d’économie circulaire. Des « marketplaces » ont été créées pour favoriser le réemploi de matériels, notamment informatique, au sein du groupe international.
« Alors que la consommation de datas a augmenté de 30 % au cours des cinq dernières années, la quantité d’énergie utilisée n’a pas varié », a souligné Jean-Luc Girod. Cela grâce à une politique de R&D qui a permis le dépôt de brevet améliorant par exemple les techniques de refroidissement des baies, ou optimisant, grâce à l’intelligence artificielle, le fonctionnement des réseaux de télécommunication.
Jean-Luc Girod a rappelé que le réseau de fibre consomme trois fois moins d’énergie que celui de cuivre, dont le décommissionnement doit s’achever dès 2030. « On ne mesure par les défis du chantier qui consiste à parvenir à remplacer en 10 ans un réseau que l’on a mis un demi-siècle à déployer », a souligné le délégué régional. La flotte de véhicules d’Orange sera par ailleurs prochainement 100 % électrique.
L’opérateur a dépassé ses objectifs de maîtrise de consommation d’énergie, les flux ayant été réduits de 34 % en 2025, contre un objectif fixé à 30 %. Orange s’emploie à réduire ses émissions au titre du Scope 3, lequel représente 5 fois les Scopes 1 et 2, ce qui suppose des exigences nouvelles et accrues auprès de ses fournisseurs, logisticiens, fabricants.
Réduire l’empreinte de son activité passe également, pour l’opérateur, par une politique de pédagogie sur les usages du numérique. « L’usage de la 4 ou 5G consomme dix fois plus d’énergie que le wifi, et la 5G trois fois moins que la 4G », a souligné Jean-Luc Girod.
Orange promeut également, au titre de sa responsabilité sociale et environnementale, un numérique solidaire, une « confiance numérique », auprès des jeunes comme des séniors, avec les écoles, les associations, les clubs sportifs ou les collectivités territoriales.
La mode donne le ton
Marion Lemaire, responsable RSE à la direction régionale Paris d’Enedis a raconté comment la décarbonation du secteur de l’événementiel, accélérée par la préparation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, est partie d’une demande du secteur de la mode, dont les acteurs, visant à améliorer leur audit, ont souhaité réduire la production de GES de leurs défilés en cessant de recourir à des groupes électrogènes.
L’énergéticien développe des points de raccordement permettant à divers événements, concerts, festivals, mais aussi à des stades ou des stations de ski de s’alimenter en électricité. Depuis trois ans, ses équipes œuvrent pour raccorder les équipements où se dérouleront dans quelques jours les Jeux olympiques et paralympiques. « Nous avons la chance de disposer en France d’une électricité largement décarbonée, permettant aux organisateurs d’événements, en passant à l’électrique, de fournir rapidement une preuve opposable de la décarbonation de leur activité », a-t-elle fait valoir.
90 % de la flotte de véhicules d’Enedis est désormais électrique à Paris. Mais l’énergéticien s’est également intéressé à ses émissions indirectes, celles des travaux de réseaux, dont les chantiers sont progressivement décarbonés, les pelleteuses électrifiées à leur tour. « Nous nous sommes aperçus qu’un tiers de l’empreinte carbone de nos chantiers était généré par les terres que nous excavons pour les remplacer par des terres « neuves », a expliqué Marion Lemaire, conduisant Enedis a travaillé sur un réemploi local des terres excavées. Ce qui nécessite une réorganisation profonde, prévoyant des aires de stockage et de traitement de ces terres, pas forcément prévues par les règlements de voirie en vigueur. « Nous travaillons fort heureusement avec des collectivités territoriales évolutives, ouvertes à l’innovation », s’est félicitée Marion Lemaire.