Gouvernance de l’Ile-de-France, révolution dans l’aménagement à l’heure du zéro artificialisation nette, mobilités, rééquilibrage… Valérie Pécresse, qui vient de dévoiler la totalité de son programme en vue des élections régionales, fait le bilan de sa gestion passée et ouvre des perspectives pour un prochain mandat.
Quel bilan tirez-vous de la construction métropolitaine ?
Je n’ai pas changé d’avis depuis mon élection, même si mes relations avec Patrick Ollier sont excellentes et que nous avons ensemble mené à bien un certain nombre de projets. Nous venons de signer une convention de partenariat avec la Métropole. Je pense également au fonds Résilience, créé par la Région, qui nous a permis de venir en aide à 7 000 TPE et PME franciliennes touchées par la crise pandémique.
Mais je pense que ce dont les Franciliens ont besoin, c’est de moins de contraintes administratives, moins de bureaucratie, et donc moins d’interlocuteurs. Autrement dit, plus on peut leur simplifier la vie, mieux c’est. Et cela ne se conjugue pas avec cinq niveaux d’administration territoriale. La métropole du Grand Paris s’étend en outre sur un périmètre trop petit pour pouvoir incarner réellement le Grand Paris, qui est à l’échelle de l’Ile-de-France, avec Roissy, Saclay, Disneyland, Evry ou Cergy-Pontoise…
Pourquoi estimez-vous qu’il s’agit aussi d’une question écologique ?
Nous avons besoin, dans une vision écologique des métropoles du futur, d’inclure dans leur périmètre les poumons verts, les forêts et les champs. Ma conviction s’est renforcée au fil des années : le bon périmètre de la Métropole est celui de la région. Nous aurions donc tout à gagner à créer une Région-métropole simplifiée. En 2016, on pouvait encore penser qu’il existait une logique à créer un périmètre sur la zone ultra-dense. Parce que séparer les zones urbaines et rurales était à la mode.
Depuis, il y a eu les gilets jaunes, la crise de la péri-urbanité, ce monde rural, situé à 50 km des villes, qui se sent complètement oublié, défavorisé, délaissé. A l’heure où tout le monde parle de l’écologie, de vivre à la campagne près de Paris et d’aspiration au télétravail, il me paraît encore plus absurde d’enfermer l’identité métropolitaine dans l’A86.
Quel regard portez-vous sur la proposition de loi de deux députés LREM visant à transformer la Métropole en un pôle métropolitain ?
S’il s’agit de transformer la Métropole en une structure encore plus complexe, autant la garder ! Ce que je crois, c’est qu’il faudrait au contraire penser la Région comme une collectivité dotée d’un statut ad hoc, dotée de deux assemblées : une assemblée politique, et une qui pourrait réunir les 130 maires, correspondant à Paris et à la petite couronne, en y ajoutant les présidents d’intercommunalités, pour intégrer les maires de la grande couronne, sans pour autant compter 1 270 élus. Les länders allemands fonctionnent sur ce modèle-là.
En réalité, il y aura beaucoup moins de difficultés à bâtir une métropole au niveau régional, qu’à vouloir la bâtir au niveau de Paris et de la petite couronne. Dans ce périmètre, la puissance de Paris écrase tout. Alors qu’au niveau de la Région, on peut réussir à mettre en place une vraie péréquation. Rappelons que Paris ne représente qu’un sixième de la Région en termes d’habitants, même si elle pèse lourd en termes financiers ou démographiques.
Quid des Départements ?
A partir du moment où l’on attribue à la Région des responsabilités stratégiques, économiques, de formation, d’emploi, d’infrastructures et d’aménagement du territoire, on peut parfaitement conserver des départements qui mutualiseraient des compétences de proximité ou sociales. Cela est tout à fait possible.
A l’heure du zéro artificialisation nette (ZAN), construire des logements ne s’apparente-t-il pas à résoudre la quadrature du cercle ?
Je suis favorable au ZAN, mais je suis également favorable à ce que l’on construise plus en Ile-de-France. Je me mets donc à moi-même, vous le voyez, une forte contrainte. Ce qui m’inquiète, ce n’est pas tant le ZAN que les plans locaux d’urbanisme (PLU), dans lesquels sont fixées des limites de hauteur très faibles, pour des immeubles très bas. Or on ne peut conjuguer des immeubles de très faibles hauteurs et le refus de l’étalement urbain. C’est impossible. Je ne vais pas demander que l’on revienne aux tours. Mais il me semble qu’une ville comme Paris, qui est une ville très dense, en réalité, n’en souffre pas, dès lors que l’on construit du beau, accompagné de suffisamment d’espaces verts, de balcons. Rien n’est moins dense que l’urbanisme de dalle, tout béton, des années 1970. On peut créer des quartiers villages, avec des rues, qui auront une vraie densité de population, tout en étant extrêmement agréables à vivre.
Quelle forme prend votre soutien aux maires bâtisseurs ?
Nous consacrons, avec l’Etat, 40 millions d’euros sur deux ans à la dépollution des friches industrielles, afin que l’on puisse reconstruire dessus. Je pense qu’il existe, avec la montée en puissance du télétravail, des quartiers entiers de bureaux à reconquérir pour le logement. C’est ce que l’on a fait à Vélizy-Villacoublay, où je suis élue et où nous avons récupéré tout un quartier de bureaux, en perte de vitesse, pour en faire le huitième quartier de la ville. On peut reproduire cet exemple dans de nombreuses villes en Ile-de-France.
Mais il faut absolument construire plus, parce que nous sommes dans une région du mal logement, ce que la crise du Covid a encore aggravé. Et si l’on veut offrir des parcours résidentiels à toutes les catégories sociales, il faut construire toute la gamme de logements : social, intermédiaire, libre, ainsi que de l’accession sociale à la propriété. C’est aussi pour ces raisons que nous allons lancer des logements en bail réel solidaire (BRS), ce qui nous permettra de loger beaucoup plus de Franciliens à des conditions abordables.
Pourquoi, en matière de mobilité, régénération du réseau existant et création de nouvelles lignes ne s’opposent-ils pas selon vous ?
Parce qu’Ile-de-France mobilités (IDFM) est en charge autant de la régénération que de la création et la prolongation des lignes, de métro, de tramway ou de bus. IDFM est également le maître d’ouvrage de l’extension d’Eole jusqu’à Mantes-la-Jolie. Je n’oppose donc jamais la rénovation de l’existant, qui est absolument essentielle, à la construction de nouvelles lignes.
J’ajouterais que le Grand Paris express est indispensable pour les trajets de banlieues à banlieues. Qui plus est avec une mairie de Paris qui veut interdire la traversée de Paris et supprimer une voie sur le boulevard périphérique. L’Ile-de-France n’est pas prête à supporter une telle décision. Surtout si la mairie de Paris piétonnise le centre de la Capitale. Cela conduirait à la thrombose et à l’aggravation dramatique de la pollution de l’air. C’est la raison pour laquelle nous proposons la tenue d’un référendum à ce sujet à l’automne.
Quelles sont vos propositions en matière de mobilité durable ?
Il faut agir dans deux directions : doubler le réseau de transports en commun, c’est ce que je vais faire lors de mon prochain mandat et aider tous les Franciliens qui possèdent des véhicules thermiques anciens, à changer pour des véhicules propres. C’est la raison pour laquelle je propose une aide de 6 000 euros. Il faut par ailleurs tripler l’usage du vélo, conformément à l’objectif que je me suis fixée il y a quelques années, et que je vais accélérer avec la réalisation du RER vélo.
Quelle est votre vision de la gouvernance du Grand Paris express ?
Je pense qu’à terme, l’exploitation du Grand Paris express devrait être confiée dans son ensemble à Ile-de-France mobilités. Pour l’instant, je vois que l’on ne lui concède que ce qui n’est pas rentable, en réservant à la RATP la gestion de l’infrastructure. Je ne suis pas certaine que cela tienne dans la durée. Si l’on veut que la concurrence soit bénéfique, il faut qu’arrivent sur les lignes du Grand Paris express des nouvelles compagnies de transport. Or qui viendra si c’est la RATP qui exploite l’infrastructure ?
J’ai un peu peur que l’on aille à reculons vers l’ouverture à la concurrence des lignes du Grand Paris express. Il me paraîtrait plus logique que, comme à Londres ou au Japon, l’autorité organisatrice devienne gestionnaire de l’infrastructure, et puisse passer des appels d’offres de délégation de service public pour les nouvelles lignes, comme cela se fait d’ailleurs dans les autres régions.
Partagez-vous la lassitude des maires face à la multiplication des appels à projets lancés par l’Etat ?
Je considère, là encore que, quand l’Etat lance, au plan national, un appel à projets d’un montant de 17 millions d’euros sur les jardins partagés, je me dis au secours, l’enfer bureaucratique est pavé de bonnes intentions. En réalité, ces appels à projets devraient être décentralisés, et laissés à la main des Régions. D’autant qu’ils font souvent doublons avec les nôtres. Cet appel à projets sur les jardins doublonnent avec le budget participatif environnemental, que nous avons lancé il y a deux ans, et qui représente 800 millions d’euros par an.
Je crois qu’il faut que l’Etat arrête d’essayer de faire ce que les Régions font mieux que lui, et qu’il se concentre sur le développement des filières industrielles majeures et des grands projets d’innovation structurant pour un territoire. Les Régions seront beaucoup plus agiles, de leur côté, dans la relation entre entreprises territoires et emploi. C’est pourquoi je plaide pour un transfert aux conseils régionaux de la tutelle de Pôle emploi et de l’intégralité de la formation professionnelle des demandeurs d’emplois.
De la même façon, je plaide pour une territorialisation beaucoup plus forte des aides, notamment pour les territoires qui connaissent des restructurations industrielles, ou pour les territoires qui souhaiteraient accueillir des activités industrielles. Choose Paris Region fonctionne formidablement et nous travaillons en très bonne intelligence avec Business France. Mais pendant des années, les deux structures se sont fait concurrence. L’Etat devrait donc apprendre à lâcher davantage prise dans le domaine économique, et à laisser les Régions s’occuper de la micro-économie. Même si je sais que l’Etat est souvent blessé de voir que les Régions sont plus agiles que lui, dans bien des domaines. C’est regrettable, car nous devrions tous tirer dans le même sens, celui de l’intérêt général.
Comment concilier une « écologie positive, non-punitive », avec la nécessaire accélération de la transition écologique ?
La question peut se résumer à celle de savoir si l’on croit ou non au progrès, en sachant que l’Ile-de-France ne supporterait pas la décroissance. Quand je vois M. Bayou et Mme Autain venir créer une ZAD sur la ligne 17 du Grand Paris express, dans le Val d’Oise, je me dis qu’ils n’ont pas compris à quel point cette ligne était indispensable économiquement et socialement pour tout l’est du Val d’Oise. Elle va permettre à des territoires extrêmement pauvres d’être raccordés à des bassins d’emplois tels que ceux de Saint-Denis, de Roissy ou de Paris, alors qu’il n’existe, pour l’instant, d’autres façons de les rejoindre qu’en voiture.
Cette écologie qui consiste à être contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre nous conduira à l’appauvrissement et à la détresse sociale. Quand je vois les Verts et les Insoumis refuser de voter le plan de sauvetage de la filière automobile, et notamment le soutien à la reconversion du site du Flins, alors que le sort de 2 000 ouvriers, et de toute la sous-traitance automobile dans la Vallée de Seine est en jeu, je me dis qu’ils ont oublié l’urgence sociale, empêchés qu’ils sont par leur idéologie de porter le progrès social.
Même chose pour la zone à faibles émissions (ZFE) : j’y suis favorable, car il faut réduire la pollution en Ile-de-France. Sauf que moi, je ne me bats pas contre la voiture mais contre la pollution. Quand je vois que 90 % du parc automobile de Seine-Saint-Denis va devoir partir à la casse, d’ici à 2024, je me dis que si l’on n’aide pas les particuliers, les artisans et les commerçants immédiatement à changer leur véhicule, nous n’y arriverons pas.
Comment votre objectif de réduction des inégalités s’est-il traduit lors du mandat qui s’achève ?
Nous avons rééquilibré les dépenses de la Région entre Paris, la petite et la grande couronne, au profit de ces dernières. Avant, les trains profitaient toujours en priorité à Paris. Moi, je les ai orientés en priorité dans les secteurs où les gens passent le plus de temps dans les transports en commun. La ligne R jusqu’à Nemours, la ligne P, que nous allons électrifier, les nouvelles lignes de RER pour la banlieue, la mise en place de Transiliens sur toutes les lignes. Nous avons commandé et nous aurons livré d’ici la fin de l’année 650 rames neuves. Cela signifie que nous aurons renouvelé près de 60 % du parc existant. Le reste, nous le réaliserons dans le prochain mandat.