On en parle, mais qui sait vraiment ce qui se cache derrière le concept de low-tech ? Une note rapide de l’institut Paris Region permet de le savoir, exemples à l’appui. Il s’agit, en résumé, de faire preuve de « techno-discernement », de refuser les technos inutiles, et de revenir à l’essentiel. Finalement, a-t-on (vraiment) besoin d’un drone-parapluie ou d’un réfrigérateur connecté ?
Les « low-tech », ou conceptions basse technologie, « gagnent en notoriété », souligne l’Institut Paris Region en préambule de cette note rapide, intitulée « Les low-tech, des innovations pour la résilience des territoires ». « De nombreuses initiatives dessinent des alternatives crédibles au tout-technologique et s’inscrivent dans l’ambition de transformation écologique », est-il rappelé. Autant de démarches « utiles, sobres, et adaptées au contexte local, qui constituent aussi un formidable levier de développement ».
Green-tech, smart tech et deep-tech
La high-tech, sous ses différentes formes : green-tech, smart-tech, deep-tech est souvent perçue comme vectrice de solutions aux grands défis environnementaux, économiques et sociaux. « Mais nous oublions que ces innovations sont complexes, énergivores, et reposent sur une consommation accrue de ressources déjà rares », posent en préambule Christina Lopez et Odile Soulard, économistes au sein de l’Institut Paris Region, respectivement au sein des départements environnement et économie. D’où l’intérêt de technologies « plus adaptées, fortement ancrées sur les usages : les low-tech ».

De la taille d’une carte de crédit, en open source, l’ordinateur minimaliste conçu par des professeurs d’informatique de Cambridge ne coûte que 35 euros. © Raspberry PI Foundations
Les auteurs rappellent que les différentes innovations qui caractérisent l’évolution du monde actuel (énergies renouvelables, voiture autonomes, stockage de l’hydrogène, capture et séquestration du CO2, smart grids, nanotechnologies) ont un impact lié à leur usage croissant souvent sous-estimés. « En grande majorité, les hautes technologies accélèrent les extractions de matières, et les pollution induites (eaux, sols, biodiversité, espaces naturels, etc.) et complexifient de plus en plus le recyclage des produits en fin de vie ». « La croissance exponentielle des produits et services technologiques a contribué à déconnecter l’innovation des besoins et des attentes réelles de la population », indiquent-ils. Ainsi, par exemple, en moyenne, 10 % des fonctionnalité des logiciels tels que Microsoft office sont utilisés… Par ailleurs, 20 à 30 % de la population n’a pas accès à ces innovations, voire les refuse.
A-t-on besoin d’un drone-parapluie ?
Ce constat établi, la note rapide de l’Institut Paris Region définit le low-tech comme une démarche évolutive « qui encourage une sobriété de consommation et de production grâce à des technologies simples d’usage ». « Elle ne signifie pas un refus de la technologie mais son utilisation juste et suffisante pour réduire l’impact environnemental ». Citant l’ingénieur spécialiste de l’épuisement des ressources Philippe Bihouix, les auteurs de cette étude décrivent les trois questions autour desquelles la démarche low-tech s’articule :
- le besoin : les dégâts environnementaux « valent-ils » l’utilité de l’objet ou du service rendu ? A-t-on besoin d’un drone parapluie, d’un ventilateur connecté à son smartphone, d’un robot pour garer les voitures à l’aéroport, d’un réfrigérateur connecté ?
- la durée de vie des produits : un produit est-il jetable ? Quelle est la part des ressources renouvelables ou pas dans sa fabrication ? La part des ressources locales ?
- la valeur socioéconomique des modes de production : doit-on poursuivre la course à l’effet d’échelle ou vaudrait-il mieux développer des ateliers et des entreprises à taille humaine ? « Il existe à cet égard, des similitudes entre le low-tech et les mouvements open source, fab labs et fab city. Ils convergent dans l’enjeu de réappropriation des techniques et des outils de production », soulignent-ils.
« L’increvable », un lave-linge conçu pour durer
« Un produit low-tech est simple, sobre et maîtrisable localement, sinon pour la fabrication, du moins pour la réparation et le recyclage. Accessible en termes de coût et de savoir-faire, il répond durablement aux besoins courants et essentiels en matière d’énergie, d’alimentation, de santé, de logement, de transport », est-il défini.
A titre d’exemples, le lave-linge « L’increvable », de Christopher Santerre, designer industriel, doté d’une promesse de durée de vie de 50 ans, est cité. L’appareil a été en outre conçu pour pouvoir être réparé simplement.
De même, l’ordinateur minimaliste conçu par des professeurs d’informatique de Cambridge est mis en avant. De la taille d’une carte de crédit, en open source, il ne coûte que 35 euros. Il peut être transformé en console de jeux, station météo, serveur web et appareil photo. Avec 25 millions d’exemplaires vendus, il est le troisième modèle d’ordinateur le plus vendu de tous les temps.
Dans le domaine de l’habitat, la note rapide évoque le Manifeste pour une frugalité heureuse & créative, qui a déjà recueilli plus de 6 800 signatures. Ce collectif promeut les démarches low dans l’habitat grâce à la redécouverte de matériaux traditionnels, et la mise au point de systèmes constructifs innovants. « Les matériaux biosourcés (bois, paille, chanvre, miscanthus, lin, etc.) et géosourcés (terre crue, pierre sèche) sont au cœur de ses approches, car leur processus de fabrication nécessite peu d’énergie, indique la note. Les techniques sont appropriables. Le Collect’IF Paille propose des formations en autoconstruction. Plusieurs chantiers sont en cours en Île-de-France pour expérimenter la terre crue. Les constructions utilisant du bois restent majoritaires. L’entreprise AgilCare innove dans ce domaine avec une nouvelle génération de bâtiments bois, préfabriqués, écoconçus, évolutifs, déplaçables, et sans générer de déchets ».
Le low-tech concerne également la mobilité : La société K-Ryole propose, par exemple, des remorques électriques pour vélo qui permettent de transporter jusqu’à 250 kg, pratique, plus écologique et économique.

L’Atelier paysan accompagne les agriculteurs dans la conception et la fabrication de machines et de bâtiments adaptés à une agroécologie paysanne. © AtelierPaysan
L’agriculture n’est pas en reste, avec la diffusion des savoir-faire paysans d’auto-construction d’outils, à l’image de l’Atelier paysan, une coopérative qui accompagne les agriculteurs dans la conception et la fabrication de machines et de bâtiments adaptés à une agroécologie paysanne.
« Faire preuve de techno-discernement »
Les économistes de l’Institut Paris Region invitent à « faire preuve de techno-discernement ». « Il ne s’agit pas de remettre en cause les processus de créativité, l’esprit d’innovation et de découverte, ni les moyens de recherche et développement. Il s’agit plutôt de porter un regard nouveau sur l’innovation, de changer de perspective et de réserver la high-tech aux usages indispensables », soulignent-ils.
« Plus largement, estiment-ils, l’entreprise dans son modèle économique, devrait évoluer d’une logique de vente vers une réflexion sur l’usage, de valeurs purement financières à un questionnement sur le sens socio-économique de son offre. Des changements qui impliquent une redéfinition de la valeur « utile » des offres et leur reconnaissance par les consommateurs et les acteurs publics. »
A l’exemple de la société californienne Patagonia, fabricant de matériel d’alpinisme et de vêtements outdoor, qui s’implique par exemple fortement dans la R&D en éco-conception. « ‘Elle aide ses clients à conserver le plus longtemps leurs vêtements en proposant des ateliers de réparation et des formations en ligne sous forme de tutoriels. De même, Danone a adopté une approche low-tech dans le cadre de sa stratégie internationale dans les pays émergents. Un partenariat a ainsi été conclu avec la Grameen Bank pour créer Grameen Danone Foods, qui fabrique des produits laitiers localement et à prix abordable au Bangladesh », indique l’Institut.
Alors que la démarche low-tech est vecteur de liens sociaux, les auteurs estiment que « pour le succès de cette dynamique encore émergente, et pourtant stratégique, l’engagement des pouvoirs publics est primordial, notamment pour faciliter l’émergence et le développement d’écosystèmes territoriaux associant entreprises, clients, employés et territoires ».
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