Série Grand Paris Aménagement (5/7) – La péréquation par la prise de risque

L’AFTRP, devenue Grand Paris Aménagement, doit-il investir plus dans les territoires qui en ont le plus besoin ? Certains le pensent et la question a souvent fait débat. Au final, si le rééquilibrage ne constitue pas la vocation originelle de l’établissement, chacun convient que ce dernier opère de facto une correction des déséquilibres, notamment en acceptant d’intervenir là où personne ne se risque.

S’il souligne la qualité de l’intervention de Grand Paris Aménagement et le grand professionnalisme de ses équipes, Stéphane Beaudet, fidèle à son franc-parler, met d’emblée les pieds dans le plat : « la SPLA-IN Porte sud du Grand Paris constitue un outil très intéressant, tout comme Grand Paris Aménagement… dès lors qu’elle accepte de prendre certains risques », résume-t-il. Le maire (SE) d’Évry-Courcouronnes déplore que, trop souvent, l’exigence d’équilibre financier conduise à revoir à la baisse le nombre ou la qualité des équipements publics des projets d’aménagement, sans se soucier excessivement des conséquences qu’emporteront quelques années plus tard un sous-dimensionnement du nombre de classes construites, par exemple.

Stéphane Beaudet, maire d’Evry-Courcouronnes. © Jgp

Pierre Bell-Lloch, maire (PCF) de Vitry-sur-Seine, regrette à son tour que la valeur ajoutée de Grand Paris Aménagement s’arrête au professionnalisme de ses équipes, mais ne réside pas dans une plus forte capacité d’incitations financières en faveur de territoires où certains projets peinent à éclore pour des raisons budgétaires. « Une péréquation accrue permettrait d’inciter la construction vertueuse, indique-t-il, même si ces limites ne proviennent pas de choix de Grand Paris Aménagement, mais de décisions plus globales de l’Etat ». « De plus petits aménageurs vont davantage avoir comme souci de satisfaire les collectivités, tandis que Grand Paris Aménagement répond davantage à des préconisations nationales. Mais sa capacité financière fait qu’il est rare que les collectivités doivent remettre au pot en cours d’opération pour équilibrer un programme », ajoute-t-il.

Pierre Bell-Loch, maire de Vitry-sur-Seine. © DR

Des risques techniques et financiers

« Sur la péréquation, ma logique est assez simple, répond Stéphan de Faÿ, directeur général de Grand Paris Aménagement. Quand tel ou tel maire nous confie un projet, sa volonté est-elle que celui-ci vienne financer celui d’une autre commune ? Et s’il la confiait à Eiffage aménagement, souhaiterait-il que ce dernier finance un autre programme ? Nous ne sommes pas une structure qui distribue des subventions, contrairement au fonds friche ou à l’Anru. Nous n’avons pas le droit de réaliser une opération à perte. Mais le fait de tenir cette exigence va nous permettre de prendre du risque ailleurs. Certains projets sont beaucoup plus risqués que d’autres. Nous ne pratiquons pas une péréquation financière mais une péréquation du risque. Et nous bénéficions en dernier ressort d’une garantie de l’Etat. » « Nous ne réalisons aucun bénéfice, ajoute Stéphan de Faÿ. Nous ne remontons aucun dividende à l’Etat. Les programmes peuvent être subventionnés, notamment dans le cadre d’opération de renouvellement urbain, mais l’établissement lui-même n’est jamais subventionné. »

« Les subventions publiques proviennent de l’impôt. L’Etat et les collectivités sont-elles prêtes à augmenter les impôts ? C’est la question que pose l’hypothèse d’un engagement accru de Grand Paris Aménagement dans les territoires moins prospères. Il n’y a pas d’argent public magique », considère à son tour Thierry Lajoie, président puis directeur général de Grand Paris Aménagement, de 2013 à 2020.

« Toutes les opérations n’ont pas la rentabilité de Paris Nord 2 [ici en photo], mais nous prenions des risques, à la fois financiers et techniques », souligne Bernard de Korsak, président de l’AFTRP de 1997 à 2002. © Grand Paris Aménagement

La vocation première de Grand Paris Aménagement n’est pas le rééquilibrage
« Toutes les opérations n’ont pas la rentabilité de Paris Nord 2, mais nous prenions des risques, à la fois financiers et techniques », souligne Bernard de Korsak, président de l’AFTRP de 1997 à 2002. « La péréquation n’aurait aucune justification, elle friserait l’illégalité », juge quant à lui François Delarue, ingénieur honoraire des ponts, des eaux et des forêts, président de l’AFTRP de 2006 à 2013. « Ce serait un non-sens », poursuit-il, reconnaissant néanmoins qu’implicitement, l’AFTRP fait de la péréquation, « puisque des opérations de renouvellement urbain telles que celle de Clichy-Montfermeil sont au mieux tout juste équilibrées, et donc en partie permises grâce aux bénéfices réalisés ailleurs, puisque l’établissement n’est pas subventionné ».

Carte postale de Clichy-sous-bois, extraite de la collection de Renaud Epstein. © DR

En off, les différents dirigeants de l’établissement affirment donc que Grand Paris Aménagement, comme l’AFTRP, réalise, dans les faits, une péréquation financière entre ses projets, les plus lucratifs permettant de financer ceux qui, au mieux, atteignent l’équilibre. « Mais il ne faut pas tout mélanger, estime Thierry Lajoie. La vocation première de Grand Paris Aménagement n’est pas le rééquilibrage, qui est en revanche celle de l’Anru. »

 

Société du Grand Paris : une fructueuse synergie

La Société du Grand Paris et Grand Paris Aménagement vont partager les appels à manifestation d’intérêt (AMI) qu’ils ont lancés, de référencement des architectes et paysagistes d’une part, et des promoteurs d’autre part.

Lorsqu’on l’interroge sur le regard qu’il porte sur Grand Paris Aménagement, Jean-François Monteils, président du directoire de la Société du Grand Paris, maître d’ouvrage du Grand Paris express, commence par un éloge de son directeur général. « Je connais bien et j’apprécie Stéphan de Faÿ depuis très longtemps, indique l’ancien président de la chambre régionale des comptes de Nouvelle Aquitaine. C’est un très grand professionnel, qui a pour caractéristique d’avoir une véritable vision. Il cumule une formation d’ingénieur avec une grande curiosité intellectuelle et des talents hors pair de manager. »

Jean-François Monteils. © Jgp

Cela dit, le président du directoire de la Société du Grand Paris rappelle tout d’abord que la SGP « souhaite assumer l’intégralité de ses responsabilités, mais ne jamais le faire en prenant la place d’autres qui le feraient aussi bien, voire mieux que nous ». « La loi confère à la SGP les compétences d’un aménageur. L’établissement peut créer des zones d’aménagement concertées et accomplir, autour des gares du futur métro automatique, la totalité des missions d’un établissement public d’aménagement, poursuit-il. Comme mes prédécesseurs, je me suis posé la question de savoir quelle devait être notre stratégie à ce sujet, alors que l’on sait que l’on a intérêt à exercer notre mission, avec des projets immobiliers dans les quartiers de gares, qui ont un impact sur les pôles de développement et intermodaux, observe Jean-François Monteils. On travaille sur ce sujet depuis que la SGP est née. Mais là où l’on a besoin d’une réelle politique d’aménagement, ma première réflexion a consisté à me demander avec qui je pouvais travailler, à chercher quel était l’opérateur dont c’était le cœur de mission. Il m’a semblé intéressant de travailler en synergie avec les opérateurs qui ont mis en œuvre une technicité que nous n’avons pas vocation à développer prioritairement. »

La SGP, Grand Paris Aménagement et l’EPA Orly Rungis Seine Amont ont signé ainsi, fin 2021, une convention de partenariat. « A chaque fois que l’on se trouve dans une zone où il est opportun que l’on partage avec GPA, on le fait. Ceci commence à porter ses fruits », souligne Jean-François Monteils.

AMI de pré-référencement

« Nous avons observé ce que faisait GPA : son référencement des promoteurs soulevait des questions que nous nous posions, pour savoir comment procéder lorsque nous devrons sélectionner les promoteurs avec lesquels nous allons travailler sur nos propres projets immobiliers », reprend le président du directoire de la SGP. Plutôt que de faire son propre référencement de son côté, la SGP s’apprête donc à utiliser celui de Grand Paris Aménagement. « Il y a là encore quelque chose que nous partageons avec Stéphan de Faÿ, analyse Jean-François Monteils. Cela repose sur la conviction que nous appartenons à un même écosystème : celui des opérateurs de l’Etat sur un territoire. On considère que les moyens de l’Etat n’étant pas illimités, il faut les utiliser à bon escient. » De même, GPA pourra utiliser le référentiel élaboré par la SGP pour pré-sélectionner des architectes et des paysagistes. « Il s’agit donc d’un échange de bons procédés, reflet d’une approche moderne de l’action publique », conclut Jean-François Monteils.

 

Une intervention de plus en plus partenariale

Plusieurs élus, représentants différents échelons territoriaux, et un politiste de l’Institut Paris Region livrent leur regard sur l’intervention de Grand Paris Aménagement et son évolution au fil de son histoire.

« Le département du Val-de-Marne connaît de profondes évolutions de son territoire, notamment en matière de mobilités, d’urbanisme et d’activité économique. Or, la pluri-expertise de Grand Paris Aménagement lui permet de répondre à des problématiques de territoire bien différentes à l’échelle d’un département. Nous le voyons dans le Val-de-Marne où Grand Paris Aménagement intervient autant sur des secteurs à lourds enjeux de réhabilitation de logements dans le périmètre de quartiers du NPNRU, comme la ZAC Gagarine d’Ivry-sur-Seine, que sur des requalifications de sites tels que la ZAC Charenton-Bercy où nous ambitionnons d’implanter sur ce secteur, aujourd’hui très enclavé, une zone à forte attractivité économique en créant une continuité urbaine avec le 12e arrondissement de Paris.
L’époque où les zones d’aménagement concertées étaient élaborées en amont avant de confier la concession à une société d’économie mixte ne constitue plus la méthode incontournable pour aménager la ville. La valeur ajoutée de Grand Paris Aménagement, dont je rappelle que 85 % de l’activité sont réalisés dans le secteur concurrentiel, est justement d’amener à notre département une offre complémentaire à celle existante, et adaptable à chaque projet de notre territoire. Cela appelle bien sûr les acteurs comme la Sadev à se réinventer, mais ce challenge des acteurs de l’aménagement historiquement implantés sur ce territoire ne peut être que bénéfique pour la réussite des projets que nous souhaitons porter. L’action de l’EPA Orly Rungis Seine Amont (Orsa) s’est rapprochée de Grand Paris Aménagement depuis sa fédération avec lui en 2017, tout en conservant une gouvernance partagée entre élus du territoire et l’Etat. En tant que président du conseil d’administration de l’EPA Orsa, cette concertation m’apparaît indispensable pour favoriser l’appropriation des projets par les acteurs des territoires sur lesquels l’EPA intervient. Ce faisant, l’EPA Orsa s’est associé dans le cadre d’une fédération avec Grand Paris Aménagement, permettant de répondre à des problématiques de territoires pointues et diversifiées. Le Val-de-Marne, notamment la zone d’intervention de l’OIN Orly Rungis Seine Amont, bénéficie d’une structure mutualisée et agile tout en conservant un outil de proximité, au plus près des enjeux et besoins de ce territoire. Enfin, par ses missions d’ISD (ingénierie stratégique de développement), l’EPA Orsa se distingue en apportant aux collectivités et acteurs locaux un outil d’expérimentation et d’innovation. Cela nous permet de dépasser la démarche d’aménageur classique, en intervenant à tous les niveaux de maturité des opérations.
Grand Paris Aménagement décline aujourd’hui son action à travers une pluralité de métiers et d’expertises indispensables pour répondre aux spécificités des territoires de la Métropole. Je suis convaincu que cette capacité d’adaptation des projets urbains, particulièrement divers dans leurs objets et leur méthode, est la clé de voûte du développement d’acteurs comme Grand Paris Aménagement dans les années à venir. »

© Mairie de Maisons-Alfort

Olivier Capitanio, président du département du Val-de-Marne et de l’EPA Orsa

« Il existe aujourd’hui en Ile-de-France une profusion d’acteurs, les créations de Sociétés publiques locales (SPL), contraintes par la loi, n’ayant pas, par exemple, provoqué l’extinction des SEM préexistantes. La région compte une cinquantaine d’opérateurs communaux et intercommunaux, sept grands opérateurs d’Etat. Mais elle est aussi caractérisée par l’absence d’interlocuteurs métropolitains jouant les ensembliers. L’AFTRP a modifié ses façons de faire à mesure de la montée en puissance du bloc communal. Les intercommunalités ont pris possession de leur compétence en matière d’aménagement, mais n’ont généralement pas créé d’outils d’aménagement spécifiques. Certaines ont vu le jour, à l’instar de la Société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN) Porte sud du Grand Paris, née en décembre 2017. Cela signe une nouvelle manière pour Grand Paris Aménagement de se positionner par rapport aux acteurs locaux. Cela permet également à Grand Paris Aménagement de capter un marché, puisque l’aménageur, qui est à l’accoutumée en situation de concurrence avec d’autres établissements, a conclu avec Grand Paris Sud un pacte foncier, prévoyant que la SPLA-IN soit prioritaire sur les fonciers cédés par Grand Paris Sud. Depuis 2014, on constate un doublement de la production de logements par des opérateurs publics. »

© Jgp

Tanguy Le Goff, politiste au sein de la mission gouvernance de l’Institut Paris Region

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