Ricardo Esteban – Capitaine culturel

« Capitaine » successif des bateaux culturels La Guinguette pirate, le Batofar et Petit Bain (Paris 13e arr.), Ricardo Esteban s’apprête aujourd’hui à lancer une nouvelle aventure : l’Odyssée. Avec toujours, comme unique boussole, la quête de sens.

Sur le pont de Petit Bain, « caisse à savons » flottante et lieu de concerts notoire, le « capitaine » contemple la Seine : ballet de péniches, reflets des nuages, lumière mouvante. « C’est beau, hein ! », s’émeut-il. Ce paysage, Quai de la Gare, Paris 13e, ce fils d’émigrés espagnols le connaît sur le bout des doigts. « J’ai passé 26 ans de ma vie, la moitié, sur ce quai. Mon CV s’aligne sur 800 m linéaire », s’amuse-t-il. Au mitan des années 1990, l’homme a ouvert, à quelques mètres, la Guinguette pirate, l’un des premiers bateaux-concerts parisiens, puis le Batofar, bateau feu pour baliser les bancs de sables mouvants, reconverti en spot rouge flamboyant des nuits électro.

Ricardo Esteban. © DR

Rien, pourtant, ne le prédisposait à prendre la barre de ces établissements culturels flottants. Doué en dessin, il intègre, fin des eighties, le « monde merveilleux de la pub » où il débride sa créativité pour Norauto ou le PMU. En marge, l’homme traîne avec une bande d’artistes, de doux-dingues, peuple du squat La Forge (Paris 20e). Ensemble, ils imaginent le havre de leurs idéaux : un bateau d’artistes. Bénévolement, ils dressent les plans avec un architecte, gribouillent le logo et rêvent d’une guinguette éphémère pour financer l’aventure. Un jour, un « contact » met sa jonque chinoise à leur disposition. Ports de Paris leur octroie un anneau sur un spot désert, aujourd’hui truffé de bars-péniches et de terrasses : Quai de la Gare.

Faire sa fête à la Seine

Pour la Guinguette pirate, c’est le top départ musical. D’emblée, sa coque frétille aux sons d’Higelin, Louise Attaque, etc. Et ses programmes se voient illustrés par des inconnus nommés Marjane Satrapi, Manu Larcenet ou Johann Sfar, potes de galère dans la pub. Mais les contraintes s’accumulent : « fermetures administratives » pour problèmes de sécurité, retours annuels à la mer pour carénage, le bois s’accommodant mal à l’eau douce… Changement de bateau quand le propriétaire veut reprendre sa jonque. Ricardo Esteban et son associé Mona ouvrent en 1999 le Batofar, temple de la techno, avant une rupture entre les deux acolytes.

Le moment pour lui de tenter l’aventure solo. « Mon équipage rêvait d’un lieu bien à lui, dit-il. Je suis resté sur l’idée d’un bateau car, au moindre coup de Trafalgar – politique, économique – tu peux larguer les amarres. » Avec deux architectes, il conçoit Petit Bain. Un lieu de concerts ? Pas que. D’emblée, il donne à sa coopérative (une Scic), aujourd’hui 25 moussaillons, une vocation sociale. Ainsi, cette entreprise d’insertion accueille des salariés aux itinéraires cabossés, pour les former aux métiers du spectacle.

Et puis, bouleversé par le sort des réfugiés, Ricardo Esteban aide comme il peut : Petit Bain devient une plateforme d’accueil pour SOS Méditerranée, organise des concerts dans des centres d’accueil et veut monter des équipements culturels d’urgence dans les camps (bibliothèques, concerts, etc). Financement ? Des taxes solidaires sur l’achat des billets de Petit Bain et ses partenaires. « Ma boussole ? Le sens », martèle cet amoureux de l’eau depuis l’enfance, lorsqu’il rêvait d’un tour du monde à la voile.

Et le voici avec son enthousiasme de gosse, en train de plonger dans un nouveau défi : via L’Odyssée, l’entrepreneur veut faire sa fête à la Seine avec, en septembre, une manifestation populaire dédiée aux voies fluviales franciliennes. Au menu ? Courses nautiques, guinguettes, championnats de bistrotiers, guirlande de lampions géante, de Champigny (Val-de-Marne) à Chatou (Yvelines)… Il y voit une correspondance avec le lien qu’il souhaite re-tisser entre les communes du 93, et les quartiers huppés de Paris. Son credo ? « Repenser » ce fleuve. E

n parallèle, l’Odyssée propose aux jeunes des quartiers, à un public en réinsertion sociale, de s’investir dans des chantiers navals éphémères. A l’heure actuelle, deux embarcations, dessinées par des architectes, ont ainsi été réalisées. De quoi acquérir des compétences dans les métiers du fleuve et de la voile. Et de conclure : « Le Batofar faisait 50 m de long et 250 t, Petit Bain, 40 m et 470 t. Ces nouveaux esquifs ? 3 m pour 50 kg. Je me dirige vers davantage de légèreté. »

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