Quel niveau d’investissement pour atteindre la neutralité carbone ?

Alors que les montants consacrés par le plan de relance gouvernemental à la transition énergétique devraient permettre d’atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone pour les deux années à venir, l’Institute for climate economics (I4CE) et The Shift project travaillent à évaluer les montants nécessaires pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Et considèrent qu’il faudra poursuivre l’effort.

« Il faut s’assurer dès maintenant que nous nous mettons sur une trajectoire bas carbone », remarque d’entrée Benoît Leguet, directeur général de l’I4CE. L’institut qu’il dirige – association fondée par la Caisse des dépôts et l’Agence française de développement – avait publié, en juillet 2020, un « plan de financement de la transition » qui avait pour but d’inspirer le volet climat du futur plan de relance du gouvernement. Et comme « l’investissement d’aujourd’hui, ce sont les émissions de demain », relève-t-il, les dépenses prévues dans ce cadre devaient, selon ce plan, être orientées au maximum de manière vertueuse pour l’environnement.

Depuis 2012, l’I4CE réalise un panorama des investissements bas carbone en France. En 2018, 46 milliards d’euros, sur un total de 400 milliards d’euros d’investissement global, étaient identifiés comme tels. Il s’agissait notamment de développer la mobilité « propre », la rénovation énergétique des bâtiments, l’efficacité énergétique de l’industrie ou les énergies renouvelables. L’association a traduit la stratégie nationale bas carbone (SNBC) – avec l’hypothèse que celle-ci mène à la neutralité carbone en 2050 – et la programmation pluriannuelle de l’énergie en chronique d’investissement. Ceci afin de comparer si le niveau actuel répondait à celui nécessaire. Or, « nous avons constaté qu’il manquait de l’ordre de 15 à 18 milliards d’euros publics et privés d’ici à 2023 ».

Benoît Leguet, directeur général de l’I4CE. © I4CE

Parmi les 100 milliards d’euros du plan de relance du gouvernement, 30 milliards sont présentés comme fléchés vers la transition énergétique. Selon les critères de l’I4CE, quelque 18 milliards sont considérés comme bas carbone. « Avec le plan de relance, la France rattrape donc son retard sur la SNBC, mais elle ne fait que ça », conclut Benoît Leguet. « Ce plan est présenté comme un effort exceptionnel pour le climat sur deux ans, or ces investissements vont être nécessaires sur 30 ans, avec des périodes – notamment au début pour accélérer – pendant lesquelles il va falloir y aller beaucoup plus fort, d’autant que l’impact sur le climat de ces financements prendra du temps », abonde Yannick Saleman, chef de projet emploi, finance, macroéconomie de The Shift project. De plus, avec le rehaussement récent des objectifs européens à 2030, la SNBC devrait, elle aussi, être révisée à la hausse. L’effort va donc devoir se poursuivre et… augmenter.

Transformer l’économie française

Evaluer le montant nécessaire pour atteindre la neutralité carbone, le think tank français The Shift project s’y attelle au travers de la création d’un « plan de transformation de l’économie française en faveur du climat et de la résilience ». Ce travail, qui doit aboutir courant 2021, a fait l’objet d’un point d’étape en octobre 2020. « Cette transformation de toute l’économie nécessite un changement systémique », explique Yannick Saleman. Chaque secteur est donc analysé afin de déterminer, par exemple, combien de mètres carrés doivent être rénovés et selon quelles normes, quelle répartition modale des transports, etc. et à quelle vitesse doivent s’opérer les changements. Une fois ces éléments déterminés, l’aspect financier sera abordé pour évaluer les montants nécessaires aux transformations. « L’objectif est de déterminer les bons ordres de grandeur pour évaluer le coût de la transformation de l’économie d’ici à 2050 et limiter la hausse des températures à 2° », précise le chef de projet. L’I4CE estime par exemple que 90 milliards d’euros par an seront nécessaires pour répondre à la SNBC sur 2024-2028. « Les coûts vont baisser pour certains équipements mais le nombre de projets à financer va augmenter et l’effet volume va l’emporter sur l’effet prix », fait valoir Benoît Leguet.

« Comment soutient-on l’investissement ? », s’interroge-t-il en conséquence. Notamment celui des collectivités locales, premier investisseur public, qui sont contraintes sur leur budget de fonctionnement et qui ont besoin de capacité d’ingénierie pour être en capacité d’utiliser les sommes débloquées par l’Etat. De même pour les ménages, en matière de rénovation énergétique, qui nécessitent un accompagnement pour faire des choix réellement utiles pour le climat. Benoît Leguet soulève d’autres interrogations : « Aujourd’hui, avec la crise sanitaire, nous sommes dans le quoi qu’il en coûte, mais en 2030 ? Aujourd’hui, la relance est alimentée par de l’argent européen, mais en 2030 ? ».

Cohérence et accompagnement

De plus, pour garantir l’efficacité des investissements, il s’avère nécessaire qu’il y ait une cohérence d’ensemble et des mesures d’accompagnement. « Pour s’assurer que les projets carbone soient intéressants financièrement, il y a deux leviers : la fiscalité ou les rendre obligatoires, indique le directeur général de l’I4CE. Nous croyons aux signaux prix », tels que les bonus-malus, la fin des aides aux véhicules thermiques ou les zones à faibles émissions. Des mesures qui ont, d’après lui, des effets sur les constructeurs. Les bonus-malus constituent notamment « un signal sur l’investissement et pas sur l’usage, avec un dispositif plus transparent – les malus financent les bonus –, ce qui constitue un antidote à l’effet taxe carbone ».

Yannick Saleman, chef de projet emploi, finance, macroéconomie de The Shift project. © The Shift project

S’agissant de l’industrie automobile, il serait ainsi logique, selon Yannick Saleman, de soutenir à la fois la production locale de batteries et la recherche visant à faire baisser la consommation d’énergie des véhicules, tout en fixant des limites de poids. L’Etat a donc un rôle-clé à jouer au-delà du financement, en orientant le marché par les normes. Il doit en effet y avoir une stratégie climat des finances publiques qui doit provoquer un effet levier sur le privé.

Mobiliser l’épargne des Français, notamment l’assurance vie, ou supprimer les investissements climat des objectifs de Maastricht, propose Yannick Saleman comme autres pistes. Celui-ci considère que la Banque centrale européenne doit « financer de manière massive la transition », avec la même urgence que celle qui prévaut en cette période de crise sanitaire.

Mesurer l’impact

De plus, « il est nécessaire de déterminer comment on met ça en œuvre et comment on en mesure l’impact », fait-il valoir, indiquant que les milliards annoncés ne sont pas toujours utilisés, notamment du fait de blocages institutionnels. « Ce n’est pas parce que l’argent est annoncé qu’il est décaissé », confirme Benoît Leguet, dont l’institut travaille sur l’évaluation de l’impact sur le climat des budgets de l’Etat et des collectivités. Une démarche qui doit permettre de juger du caractère vertueux des investissements publics et ainsi disposer d’informations pour les « verdir ».

Pour le privé, un système d’évaluation des investissements pro- et anti-climat permettrait de « contraindre drastiquement le financement des seconds, ce qui ne rendrait plus rentable les énergies fossiles, ajoute le chef de projet de The Shift project. Aujourd’hui, les sommes consacrées à la transition énergétique sont visibles mais pas celles qui vont encore aux énergies fossiles, or il y en a davantage dirigées vers ces dernières qu’il y a cinq ans », selon Yannick Saleman, qui s’étonne, par exemple, que l’installation de chaudières à gaz soit encore aidée. De même pour le soutien à l’aéronautique sans condition environnementale forte. « Sur 100 milliards d’euros du plan de relance, 70 milliards ne sont pas consacrés à la décarbonation, voire vont à l’encontre de cet objectif », déplore-t-il.

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