P. Simondon : « L’Etat ne nous laisse d’autre choix que d’augmenter la taxe foncière »

Pour l’adjoint aux finances d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris, c’est le refus du gouvernement de la totalité des mesures envisagées pour éviter d’augmenter la fiscalité, face à l’explosion des prix de l’énergie, qui explique l’annonce par Paris d’une hausse de sept points de la taxe foncière l’an prochain. Les groupes d’opposition dénoncent une mesure qui aurait pu être évitée si la mairie avait entrepris les réformes structurelles qu’ils appellent de leurs vœux.

Qu’est-ce qui explique la hausse de sept points de la taxe foncière que vous venez d’annoncer pour 2023 ?

Aujourd’hui, l’ensemble des communes se demandent comment elles vont parvenir à boucler leur budget. Nous avons subi la crise sanitaire, puis la crise énergétique, l’inflation qui s’étend à tous les produits et nous avons pris des mesures pour garantir le maintien du pouvoir d’achat de nos administrés. Tout cela rend l’équation budgétaire extrêmement compliquée pour toutes les collectivités. J’observe au passage que le gouvernement a déjà effectué plusieurs commentaires sur la situation parisienne, alors qu’il n’a toujours pas dit comment il allait financer l’hôpital, la Justice ou l’Education nationale.

Paul Simondon, adjoint à la maire de Paris en charge des finances, du budget, de la finance verte et des affaires funéraires. © Jgp

Chiffrez-vous le montant de la hausse du prix de l’énergie pour Paris ?

Elle représente 100 millions en 2023. Nous passons de 70 à 170 millions d’euros de dépenses énergétiques. Face à cela, il existait plusieurs solutions. Nous avons balayé la totalité du champ des possibles. La première consistait à obtenir une aide de l’Etat compte tenu de l’ampleur sans précédent de la crise. Mais il faut rappeler que nous n’avons reçu aucun soutien financier durant la crise sanitaire. L’Etat s’est moqué de nous. Paris en l’occurrence a reçu un traitement spécial, avec encore moins d’aides que les autres. Nous n’avons même pas été remboursés pour l’achat de masques, alors que l’Etat s’y était engagé. Coût pour la ville de Paris : 1,2 milliard d’euros.

Concernant la crise énergétique, le gouvernement, contraint et forcé par les parlementaires, a mis en place un filet de sécurité sur l’énergie, réduit à des mesures mal calibrées et imprécises par ses décrets d’application, rendant impossibles toutes projections budgétaires. Nous ne connaîtrons pas les sommes versées à ce titre avant l’été prochain. Nous ne pouvons donc pas en tenir compte dans notre budget primitif pour 2023. Ce filet de sécurité est présenté comme une protection contre l’inflation, mais il est tellement bien pensé que, alors que les prix des produits alimentaires connaissent une très forte augmentation, les cantines des écoles parisiennes ne bénéficieront pas de cette aide !

Quelles autres pistes avez-vous explorées ?

On s’est dit, dès lors, qu’il fallait explorer des solutions qui ne coûtent rien, ni à l’Etat ni aux Parisiens. Premièrement, nous avons proposé la hausse de la taxation des résidences secondaires, dont les propriétaires à Paris possèdent un certain niveau de vie. Une hausse de la contribution de ces propriétaires génère des recettes et peut peut-être inciter à une remise de certains logements dans le secteur locatif. Nous avons donc demandé au gouvernement une augmentation de la majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, nous permettant de la passer de 60 à 100 %. Cela nous aurait rapporté une cinquantaine de millions d’euros par an. Nous avons par ailleurs demandé la décorrélation de son taux de celui de la taxe foncière.

Nous avons également proposé l’homogénéisation de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires avec la taxe sur les logements vacants pour aboutir à une seule et même taxation de la sous-utilisation des logements en zone tendue. Aucune de ces propositions n’a été reprise par le gouvernement, la version retenue lors du recours à l’article 49.3 de la Constitution les ayant toutes rejetées. La seule mesure conservée dans ce domaine parmi toutes celles que nous avons proposées, ce n’est pas banal, est celle qui rapporte des subsides à l’Etat : il s’agit de la taxation sur les logements vacants.

Quelle mesure demandiez-vous pour la taxation des hôtels de luxe ?

Je me suis amusé récemment à demander le prix d’une suite dans un palace parisien. Il s’élevait à 36 000 euros la nuit. Montant de la taxe de séjour correspondant : 3,60 euros. Ce qui est grotesque. Aux Pays-Bas, cette taxe s’élève à 7 %. Nous pourrions augmenter ce genre de taxe, sans porter atteinte à l’attractivité de la Capitale. Mais le gouvernement, là aussi, a refusé de nous entendre.

Toutes ces mesures sont-elles définitivement rejetées ?

Nous conservons l’espoir que le texte du projet de loi de finances puisse encore évoluer au Sénat et lors de son examen en commission mixte paritaire. Mais nous ne pouvons pas compter sur cette éventualité pour élaborer notre budget.

Quelles mesures de réduction de vos dépenses avez-vous prises ?

Nous avons adopté un plan de sobriété énergétique. Nous avons effectué des choix, en commençant à réduire nos consommations d’énergie en fonction du caractère prioritaire ou non de nos politiques publiques. Nous avons demandé à notre administration de redoubler d’efforts pour que chaque euro dépensé le soit avec la plus grande attention possible à son impact. Ensuite, les questions portent sur la fermeture ou l’ouverture en mode dégradé de certains services publics. Faut-il fermer les piscines ? Les musées ? Doit-on rendre payantes les activités périscolaires qui étaient jusqu’à présent gratuites ? Doit-on augmenter les tarifs des cantines ? Doit-on ne plus rembourser les cartes de transport en commun pour les mineurs ?

Nous avons décidé de ne pas faire payer la crise aux familles parisiennes par une dégradation du service public. Nous avons considéré que ce n’est pas au moment où l’inflation augmente qu’il faut relever les tarifs des cantines. Pourtant, si nous voulions répercuter les hausses des prix de la nourriture sur les tarifs des cantines, il nous faudrait augmenter ces derniers de 40 %.

« Faut-il fermer les musées ? », interroge Paul Simondon, ici une photo de l’exposition « Parisiennes citoyennes », au musée Carnavalet, un des 14 musées de la ville de Paris. © Jgp

La hausse de l’énergie est-elle la seule cause de ces difficultés ?

La hausse des prix de l’énergie se conjugue avec une inflation générale, une augmentation de la masse salariale, compte tenu des mesures du Ségur de la Santé par exemple, mais aussi de la hausse du point d’indice, qui est une bonne chose pour ceux qui en bénéficient mais qui est coûteuse, et sur laquelle nous n’avons aucun pouvoir de décision. Tout cela est décidé par l’Etat. Notre choix a donc été de maintenir la solidarité avec les plus précaires, de soutenir les familles parisiennes, grâce au maintien de services publics de qualité.

Votre contribution à la péréquation régionale et nationale figure-t-elle aussi parmi les explications de vos difficultés ?

La ville de Paris fournit 25 % de l’ensemble des flux de péréquation en France. Et notre contribution a augmenté durant la crise, provoquant un effet ciseau sans précédent.

Chiffrez-vous la somme qu’il vous manque pour équilibrer votre budget ?

Nous l’évaluons à 250 millions d’euros, simplement pour atteindre l’équilibre budgétaire. Mais nous devons aussi mobiliser des ressources pour maintenir nos investissements. Pour la qualité du service public, mais aussi pour poursuivre la transition écologique de la ville, sa végétalisation. Cela pour nous donner les moyens de résister au choc climatique en offrant aux Parisiens un cadre de vie le plus protecteur possible, au sein des bâtiments publics, des logements sociaux. Nous souhaitons maintenir et amplifier également nos politiques d’aide pour inciter le secteur privé à effectuer son éco-rénovation. Sur ces questions, nous ne pouvons attendre.

Ce sont les raisons pour lesquelles nous décidons aujourd’hui d’actionner l’unique levier fiscal qu’il nous reste : celui de la taxe foncière. Avec une augmentation de sept points, le taux passe de 13,5 à un peu plus de 20,5 %. Nous avions, rappelons-le, une des taxes foncières les plus faibles de France. Cette hausse représente néanmoins un effort réel pour les propriétaires parisiens, nous en avons parfaitement conscience. Cela représentera environ 250 euros pour les propriétaires d’un appartement de 50 m2. Soit une augmentation moyenne d’environ un tiers de la taxe.

L’arrêt du recours aux loyers capitalisés des logements sociaux, perçus d’avance, était prévisible et explique en partie cette hausse de la fiscalité indique l’opposition. Que lui répondez-vous ?

L’opposition municipale aime beaucoup ce sujet, qui constitue pourtant, rappelons-le, une pratique courante à Paris depuis les années 1970. Jacques Chirac y a eu recours, tous ses successeurs également et nous allons continuer à le faire. Puisqu’il s’agit d’une technique comptable totalement légale, qui permet de financer le logement social. Le seul changement provient aujourd’hui du fait que les années précédentes, nous avions obtenu une dérogation pour inscrire cette somme en section de fonctionnement, dérogation que nous n’avons pas sollicitée cette année.

La somme correspondant aux loyers capitalisés sera donc inscrite en section d’investissement. Cela ne change pas un euro de recettes pour la Ville et ne coûte pas un euro à l’Etat. Il s’agit d’un simple changement d’écriture comptable. L’opposition aime aborder ce sujet qui lui permet de ne pas dire à quel point, si elle fait semblant de défendre les bailleurs sociaux, elle est en réalité hostile à la construction de logements sociaux dans Paris.

Que répondez-vous à ceux qui estiment, dans l’opposition, que vous avez failli par manque d’une politique de réforme structurelle des services de la Ville ?

Nous avons conduit énormément de réformes, pour améliorer la qualité de nos services publics et leur efficience. Nous avons, par exemple, professionnalisé les métiers du périscolaire, déployé une police municipale avec un plan de formation très important. Nous mettons en œuvre actuellement un plan pour renforcer l’attractivité des emplois dans les crèches. Nous sommes des gestionnaires attentifs. Nous veillons en permanence à l’amélioration de nos processus. Mais en réalité, que demandent ceux qui recommandent de ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux ou sur trois  ? Que lorsque deux assistantes maternelles partent à la retraite, nous n’en remplacions qu’une ? En fermant le nombre de berceaux correspondants ? Quand deux éboueurs partent à la retraite, faut-il n’en embaucher qu’un seul et réduire la collecte d’autant ? On revient au mythe des fonctionnaires qui ne servent à rien, au mammouth qu’il faudrait dégraisser. C’est un fantasme.

Ramassage des ordures ménagères dans une rue du nord-est de Paris. © Jgp

En réalité, le gouvernement choisit, très clairement, de mettre sous pression les collectivités, d’organiser, d’une certaine manière, leur mise sous tutelle, en diminuant leurs recettes, en augmentant leurs dépenses contraintes tout en réduisant encore davantage leur autonomie fiscale. Hélas, de très nombreux responsables politiques, actuellement au pouvoir, n’ont pas la moindre idée du fonctionnement des collectivités locales.

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