M. Louradour : « Nous concilions biodiversité et développement économique au service de l’intérêt général »

Marianne Louradour, directrice générale de CDC biodiversité, décrit la stratégie de sa société, alors qu’une prise de conscience générale se manifeste sur le sujet, convergent avec celui du réchauffement climatique et de la décarbonation. L’ancienne directrice régionale de la Banque des territoires revient sur l’intérêt du Global Biodiversity score, application de mesure de la biodiversité mise en place par la filiale de la Caisse des dépôts.

Comment est née CDC biodiversité ?

CDC biodiversité a été créée en 2008 par la Caisse des dépôts et consignations à un moment où l’érosion de la biodiversité n’était malheureusement pas encore considérée comme un défi majeur. Il faut reconnaître là l’esprit de brèche de la Caisse, qui lui permet, en avance de phase par rapport au marché, d’investir sur des sujets innovants pour l’intérêt général. Contrairement aux changement et réchauffement climatiques, pour lesquels tout retour en arrière est impossible, la nature, tant que le vivant n’est pas éteint, peut être restaurée. Et cela nous donne des raisons d’espérer et d’agir !

Marianne Louradour, directrice générale de CDC Biodiversité. © DR

Quelles sont vos principales missions ?

Notre mission principale est de concilier biodiversité et développement économique au service de l’intérêt général. Pour cela, nous imaginons et proposons des solutions économiques, écologiques et financières pour mettre en œuvre des actions concrètes de restauration de la biodiversité, dont nous pouvons assurer la gestion sur le long terme. Aussi, la structure a été créée avec en son sein un centre de recherche, d’innovation et d’expertise, la Mission économie de la biodiversité, qui publie chaque année plusieurs revues thématiques.

Parallèlement, dès notre création nous avons travaillé sur la compensation écologique, quand la seule loi en vigueur sur la biodiversité (1976) ne concernait que les espèces protégées, leurs habitats et les zones humides dans une séquence « éviter, réduire, compenser ». La compensation consiste notamment à restaurer, à proximité du site d’impact, les habitats naturels qui ont été détruits, fragmentés ou pollués par les activités humaines ou économiques. Un processus qui s’inscrit généralement dans des durées longues : 30, voire 50 ans. Dans la conception et la réalisation de leurs projets, les maîtres d’ouvrage doivent identifier ces impacts sur la biodiversité et trouver des solutions pour les éviter, les réduire et les compenser si nécessaire. Pour cela, nous accompagnons les acteurs économiques publics et privés (entreprises, administrations, collectivités locales, etc.), non seulement dans leurs projets locaux mais aussi dans la mesure de leur empreinte biodiversité. Selon l’adage « ce qu’on ne mesure pas, ne compte pas », nous avons ainsi mis en place un outil, le Global biodiversity score (GBS) qui permet, avec une métrique (MSA/km2), de mesurer l’empreinte biodiversité de l’ensemble de l’activité d’un acteur économique.

Concrètement, comment se déroule votre intervention sur le terrain ?

Nous avons quatre agences régionales qui prennent en charge l’ensemble des projets et recourent parfois à des partenariats locaux : du diagnostic en passant par les propositions de solutions, leur chiffrage, leur mise en œuvre, la passation des marchés, le suivi d’exécution, jusqu’à la gestion sur longue période. En effet, à la demande des propriétaires, des maitres d’œuvre ou d’ouvrage, nous poursuivons le projet après son lancement, à travers la mise en œuvre de plans de gestion et le suivi, via des indicateurs, de l’état de la biodiversité. Nous pouvons donc intervenir à toutes les étapes du cycle du projet et sur toute la chaine de valeurs et d’activités d’un opérateur économique, pour lui fournir la vision la plus complète possible sur ses impacts en biodiversité et sur l’amélioration de sa trajectoire.

À l’image de la taxonomie verte, peut-on aussi mesurer les effets des institutions financières sur la biodiversité ?

Nous pouvons en effet chiffrer l’empreinte des investisseurs et de leurs portefeuilles d’actifs ; c’est ce que nous faisons notamment avec le BIA-GBS, en partenariat avec Carbon4finance. À partir de ces informations et de données sectorielles collectées, nous pouvons réaliser une cotation de toutes les lignes d’actifs du portefeuille et indiquer à l’investisseur l’atteinte de son portefeuille en termes de biodiversité mesurée en MSA au km2. À charge ensuite pour ce dernier, seul ou avec un partenaire comme CDC biodiversité, de mener des trajectoires de réduction de son impact.

Sur le terrain, comment accompagnez-vous les villes dans leurs stratégies de biodiversité ?

Nous pouvons également accompagner les collectivités locales de manière très globale ou plus ponctuelle sur leurs projets. À titre d’exemple, dans le cadre du programme Actions cœur de ville (ACV) porté par la Banque des territoires auprès des villes de taille moyenne, nous intervenons avec une offre appelée « Sgreen » qui comprend un diagnostic écologique de la ville, des préconisations adaptées aux enjeux identifiés et une proposition de feuille de route pour la réalisation de ces solutions. Ce sont des missions courtes qui permettent de donner un premier éclairage et qui peuvent être prolongées par la mise en place opérationnelle des propositions. Actuellement, un grand nombre de villes ont retenu cette offre qui participe à l’attractivité de leur centre-ville. La demande de la société civile est en effet devenue puissante au point de faire bouger l’économie de l’offre. C’est donc le bon moment de réintégrer la nature en ville.

Quels sont les principaux freins à la mise en place des programmes urbains de biodiversité ?

La logique financière et budgétaire de la ville repose actuellement sur un modèle économique qui exclut de fait la nature. Pourtant le bien-être qu’elle apporte aux citoyens est clairement un atout tout comme d’autres co-bénéfices non financiers et des coûts évités : résilience vis-à-vis des ilots de chaleur, des inondations, production alimentaire… On ne peut pas vivre sans la nature, dont les services écosystémiques et environnementaux nous sont indispensables ; ces services représentent 30 à 40 % du PIB mondial. Toutefois, la mise en place, l’administration, l’entretien d’une forêt, d’un parc ou de zones vertes ont un coût mais ne génèrent pas d’avantage financier pour la ville, contrairement aux activités de bureaux, aux entreprises, aux logements et aux commerces qui procurent des retombées fiscales pour les communes.

Quelles sont donc vos préconisations face à ces freins ?

Nous plaidons pour que les modèles économiques intègrent une participation financière de la communauté et des acteurs économiques urbains au fonctionnement écosystémique de la nature et aux aménités apportées. Parallèlement, la communication est très importante car il peut exister une confusion entre ce qu’une ville réalise pour sa biodiversité et la perception de telles actions par les citoyens, pour qui la nature doit être nécessairement esthétique. Ceux-ci doivent en effet accepter l’idée que les fleurs les plus jolies et les gazons anglais par exemple n’ont pas nécessairement d’impacts très positifs sur la biodiversité. Si la société civile a des attentes, elle doit aussi avoir les bons capteurs pour ne pas se tromper. Car la biodiversité est une réalité scientifique, matérielle, concrète et opérationnelle ! Nous avons un peu perdu la culture et la connaissance de notre planète et de la nature qu’avaient les générations précédentes. Il faut donc éduquer, sensibiliser et habituer les citoyens à la biodiversité. Avec notre application mobile Hortilio, par exemple, nous accompagnons les jardiniers débutants ou plus aguerris à mettre en pratique des actions favorables à la biodiversité.

Nous plaidons pour que les modèles économiques intègrent une participation financière de la communauté et des acteurs économiques urbains au fonctionnement écosystémique de la nature et aux aménités apportées.

Vous le disiez, l’IPBES (*) a tiré la sonnette d’alarme sur l’état de la biodiversité. Quelles sont les conséquences de la disparition d’une espèce en matière de faune ou de flore ? En quoi biodiversité et climat sont-ils liés ?

Ruches dans le parc de l’Ile-Saint-Germain. © Jgp

Des extinctions naturelles d’espèces se produisent naturellement dans la biosphère. Mais on constate aujourd’hui que le pas de temps des destructions d’espèces n’est plus du tout le même : il est 10 à 100 fois supérieur ! Les chaînes d’écosystèmes sont toutes connectées, quand vous supprimez un prédateur, vous amenez d’autres espèces à se surdévelopper, ce qui entraîne un appauvrissement de la flore et la destruction d’écosystèmes généraux. Cela porte atteinte à ce que la nature produit en PIB en matière de santé et d’agriculture. L’exemple le plus facile à comprendre est le cas de l’abeille : en Chine, on pollinise désormais au pinceau !  En Californie, à l’aide de drones… On voit ainsi apparaitre le coût de ce que la nature nous offre ! Aujourd’hui existe une convergence des crises entre les causes et les effets. Le réchauffement climatique nuit aux écosystèmes : si l’on a régulièrement des printemps précoces par exemple, la flore va s’adapter plus vite que la faune. On connaîtra de ce fait un décalage d’adaptation à ce changement climatique très préoccupant pour la biodiversité. On sait aussi que les solutions fondées sur la nature permettent de jouer sur les effets du réchauffement climatique. Il faut donc préconiser des solutions « sans regret » qui soient bénéfiques pour le climat et la biodiversité.

Intervenez-vous aussi dans le projet du Grand Paris express et dans l’organisation des Jeux olympiques ?

La Société du Grand Paris est très engagée dans la préservation de la biodiversité et nous travaillons étroitement avec elle. Nous collaborons aussi avec la région Ile-de-France, la métropole du Grand Paris et les 131 communes du Grand Paris, à travers des interventions dans des projets souvent innovants visant à remettre de la biodiversité et des espèces endémiques. Je veux ici citer notre programme Nature 2050, qui récolte des fonds d’entreprises engagées de façon volontaire pour financer des solutions fondées sur la nature et dans lequel la métropole du Grand Paris va mettre quatre millions d’euros cette année. Initié en 2016, le programme Nature 2050 est un programme national d’actions porté par CDC biodiversité et dont l’objectif est d’atténuer le changement climatique, adapter les territoires à ce changement et préserver et restaurer la biodiversité par la mise en œuvre de solutions fondées sur la nature, à horizon 2050.

Pour cela il agit sur cinq cibles d’action : la restauration d’écosystèmes marins et côtiers, la restauration de zones humides, la transition agricole et forestière, la biodiversité en ville et les continuités écologiques. Conduit en partenariat avec des associations environnementalistes, ce programme repose sur l’engagement volontaire des acteurs économiques à agir, au-delà de leurs obligations règlementaires. Il constitue un outil innovant de financement de la transition écologique des territoires et des secteurs d’activités. En ce qui concernent les JO plus spécifiquement, la Banque des territoires va réaliser avec Icade et CDC habitat une partie du Village olympique basé à Saint-Ouen (50 000 m2). Après les Jeux, le site sera rendu aux territoires et redeviendra un quartier de ville avec des bureaux, des logements, des commerces, etc. Tous les espaces seront travaillés pour être végétalisés. Ainsi, 3 000 m2 de forêt urbaine seront plantés en pleine terre dans le Village olympique. Une ORE (obligation réelle environnementale) sera mise en place, impliquant les habitants dans la préservation de la biodiversité qui sera mise en œuvre sur ce programme. Tout ceci constitue donc un véritable laboratoire écologique et de biodiversité à l’échelle de la ville de demain.

Quelle est votre feuille de route et quels sont vos projets et visions personnels à ce poste ?

Après avoir dirigé durant cinq ans la Banque des territoires de l’Ile-de-France, j’ai pris en septembre dernier la direction générale de cette structure entièrement dédiée à la biodiversité avec un engagement personnel pour cette mission qui est aussi une cause. Mon ambition pour CDC biodiversité est de trouver une trajectoire de développement rapide et de grande utilité pour l’intérêt général. CDC biodiversité a entamé au printemps 2021 une démarche collective pour devenir société à missions. Ce travail représente une exploration de l’histoire et du futur de CDC biodiversité qui permettra d’affiner sa raison d’être et ses objectifs sociaux et environnementaux de long terme. Un comité de mission guide cette ambition, à la hauteur de l’enjeu biodiversité et du rôle que notre entreprise souhaite jouer et affirmer dans la société. La lutte contre l’érosion de la biodiversité est devenue aujourd’hui un défi majeur à relever. Nous sommes actuellement entrés dans la 6e extinction des espèces : nous savons qu’elle est liée à l’activité humaine même si l’amnésie environnementale illustrée par le psychologue américain Peter H Kahn au début des années 2000 nous empêche d’en prendre la mesure. L’effondrement du vivant est une menace pour l’humanité : au-delà de la prise de conscience, nous devons tous nous mobiliser et agir concrètement.

 

(*) IPBES (Intergovernmental science-policy platform on biodiversity and ecosystem services) est la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, un groupe international d’experts sur la biodiversité.

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Appel à projets « Nature 2050 – Métropole du Grand Paris »

 

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