Dans le cadre de la construction des 70 ouvrages olympiques, la Solideo a mis l’accent sur l’exigence environnementale des bâtiments. L’établissement public revendique une baisse du bilan carbone de 47 % par rapport à un projet classique. Il lègue aussi plusieurs avancées techniques et réglementaires au secteur de la construction.
L’héritage tant vanté par les promoteurs des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024 ne concerne pas seulement les habitants des territoires où ont été construits les 70 ouvrages de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo). A travers ses prescriptions environnementales, l’établissement public souhaitait montrer que « la ville dense a encore un avenir au XXIe siècle », selon Nicolas Ferrand, directeur général exécutif de la Solideo.
« On peut répondre avec des solutions d’aujourd’hui à quatre grands sujets : la question de la réduction de l’empreinte carbone de notre activité, celle du dérèglement climatique, la question des économies de matériel et la question de la biodiversité », affirme-t-il. Ainsi, la Solideo a poussé les entreprises à proposer et à expérimenter des innovations. Le groupement Caisse des dépôts, CDC habitat et Icade a ainsi construit, dans le secteur Quinconces, un bâtiment nommé « Cycle » capable de réaliser 60 % d’économie d’eau potable grâce à un traitement des eaux usées sur place. Comme 33 autres projets, cet immeuble a bénéficié du fonds d’innovation de la Solideo, doté de 36 millions d’euros.
Pour faire de ses ouvrages olympiques et notamment du Village des athlètes une « vitrine », la Solideo indique avoir voulu développer deux types d’innovations. D’abord tester « des prototypes en condition réelle », selon les mots de Nicolas Ferrand, qui prend l’exemple du bâtiment « Cycle » et rappelle l’échec du pont en béton imprimé arrêté en 2022 parce qu’il se « pliait ». L’institution a aussi misé sur la généralisation de technologies plus matures : « Typiquement, la question du carbone sur le Village olympique nous a conduits à faire du béton ultra bas-carbone et du bois avec 17 Atex (appréciation technique d’expérimentation, ndlr) de bois », détaille le directeur général de la Solideo. Après la livraison officielle du Village des athlètes, le 29 février, l’établissement public estime avoir réduit son bilan carbone de 47 % par rapport à un projet classique. Les performances de l’opération reposent aussi sur le recours au réseau de chaleur et à la géothermie de surface développé avec le soutien de l’Ademe à hauteur de 2,7 millions d’euros.
Recours au bois
Pour y arriver, l’utilisation du bois comme matériau de construction a été plébiscitée sur plusieurs ouvrages, que ce soit pour les surfaces planchers ou les structures. La Solideo a ainsi noué un partenariat avec la filière bois, qui s’est matérialisé par la création en 2018 du projet France Bois 2024 pour accompagner l’utilisation de cette solution bas-carbone. Le bois employé sur les chantiers des ouvrages olympiques devait être issu à 100 % de forêts écogérées, certifiées PEFC ou FSC, dont 30 % de forêts françaises. Il a permis de réaliser les façades et certaines ossatures des bâtiments du Village des athlètes. La Solideo met d’ailleurs en avant le fait que tous les bâtiments de logements de moins de 28 m de haut « intègrent du bois en structure ». Le bois a aussi été utilisé sur des ouvrages comme le Centre aquatique olympique, à côté du Stade de France.
Dans le secteur Universeine du Village des athlètes, dont le maître d’ouvrage est Vinci immobilier, le bois a été combiné à l’emploi d’une solution de béton bas, très bas et ultra bas-carbone. « Tout l’enjeu, c’est la mixité des matériaux béton bas carbone et bois pour réduire les bilans carbone des constructions », explique Bruno Paul-Dauphin, directeur des solutions bétons bas carbone Exegy chez Vinci construction. Parmi les techniques développées par Vinci construction, il y avait « une solution ultra bas-carbone sans ciment qui a marqué les esprits parce que ça transformait complètement le matériau béton », poursuit-il.
Le béton bas-carbone, de l’expérimentation au déploiement industriel
Sur les 18 000 m3 de béton que Vinci construction devait couler dans le secteur Universeine, 12 000 m3 l’ont été avec un produit ultra bas-carbone sans ciment et 6 000 m3 avec du béton bas-carbone à base de laitier de haut fourneau. Cette innovation a été financée en partie par le fonds mis en place par la Solideo. « Le Village des athlètes nous a permis de passer de l’expérimentation faite sur le siège de Vinci à un déploiement industriel sur chantier de nos solutions ultra bas-carbone », indique Bruno Paul-Dauphin.
Concrètement, le béton bas-carbone et ultra bas-carbone ne représente qu’entre 70 et 90 kg de CO2 par m3, contre 250 kg de CO2 pour un béton classique. L’emploi de ces innovations a permis d’économiser sur le Village des athlètes quelque 5 000 tonnes d’équivalent CO2. « Le retour d’expérience est positif mais ces solutions ultra bas-carbone présentent un surcoût tant au niveau des matériaux que pour la mise en œuvre », note Bruno Paul-Dauphin. Sur le Village des athlètes, il a fallu par exemple inventer un système de portiques chauffants pour maintenir une température haute, le béton bas-carbone résistant moins bien au froid. « Pour accompagner la transformation vers les bétons bas carbone, il faut travailler sur le matériau, adapter les méthodes dans certains cas et éventuellement faire évoluer le matériel par temps froid », souligne le directeur des solutions béton bas carbone Exegy.
Vinci a pu renouveler l’expérience du béton ultra bas-carbone sur un projet d’habitation porté par Immobilière 3F à La Celle-Saint-Cloud (Yvelines), avec le coulage de 2 536 m3. Pour l’entreprise, les JOP 2024 sont un appui pour poursuivre son objectif, d’ici à 2030, d’utiliser du béton bas-carbone sur 90 % de ses chantiers. « Nous n’avons pas attendu 2024 pour massifier les bétons bas-carbone mais le village des athlètes a confirmé que la stratégie Exegy lancée en 2020 était la bonne », précise Bruno Paul-Dauphin.
70 % de réemploi des matériaux utilisés
La société Weber, propriété du groupe Saint-Gobain, a elle aussi dû se plier aux exigences fixées par la Solideo et développer des produits dans le cadre des chantiers des Jeux. « On a des solutions qui peuvent s’adapter à la construction bois mais elles doivent aussi s’adapter à la stratégie bas-carbone, donc nous sommes partis sur des enduits à la chaux aérienne », expliquait Jean-Claude Giraud, responsable marketing prescription chez Weber, lors d’une présentation des innovations du groupe Saint-Gobain sur le Village des athlètes le 19 octobre 2023.
Les ouvrages olympiques ont aussi permis à l’entreprise du même groupe Placo de s’illustrer sur le volet du réemploi, avec le déploiement de 60 000 m2 de cloisons amovibles et réemployables. « Nous regardions le sujet de la réemployabilité en mode veille parce que nous travaillions sur la valorisation des déchets du bâtiments dans notre recherche et développement (R&D) », retrace Manel Ben Saad, directrice de la prescription chez Placo. Dans son cahier des charges, la Solideo imposait aux promoteurs un taux de réemploi de 70 % des matériaux utilisés.
Les cloisons de Placo sont disposées dans les logements des athlètes pour créer des séparations entre les espaces, qui disparaîtront en phase héritage. Ces cloisons blanches, encastrées comme un puzzle au milieu des appartements des athlètes, sont composées de matériaux déjà existants : ossatures, plaques de plâtre ou vis. « Ce qui change c’est l’assemblage, développe Manel Ben Saad. L’innovation majeure, c’est la fixation de la cloison, parce qu’on ne perce plus le sol et le plafond pour assurer un démontage propre. »
Les prémices des cloisons réemployables
Ce produit réutilisable est l’aboutissement d’un an de R&D mais s’inscrit dans une stratégie à plus long terme de l’entreprise. « Pour nous, ce n’est pas une parenthèse », soutient Manel Ben Saad, qui explique que désormais plusieurs maîtres d’ouvrage s’intéressent à ce produit. Au mois d’octobre, la plupart des cloisons du Village des athlètes devront être redéployées sur d’autres chantiers. La question qui devra être réglée est aussi celle de l’assurabilité et des performances de ces cloisons réemployables. Manel Ben Saad établit un parallèle avec l’utilisation de la matière recyclée dans la conception de certains matériaux. « Il y a 20 ans, on se disait que c’était impossible d’en certifier la performance et pourtant, aujourd’hui, on peut intégrer plus de 50 % de matière recyclée dans une plaque de plâtre en garantissant une performance », explique-t-elle.
Aujourd’hui, Placo réfléchit à développer de nouvelles cloisons réemployables, plus esthétiques et « encore mieux » éco-conçues. « Les JOP 2024 nous ont permis d’aller plus loin », s’enthousiasme la directrice de la prescription, qui félicite une expérience qui « a eu le bénéfice de faire bouger des industriels, d’accélérer nos processus internes et d’avoir montré ce qu’il est possible de faire ». Les ouvrages olympiques et les objectifs de la Solideo ont ainsi permis aux entreprises du secteur de la construction de montrer leurs savoir-faire pour s’adapter aux standards de la ville de 2050 et encourager la massification de ces solutions.