La décarbonation, l’atout majeur de l’axe Seine

La question de la décarbonation des transports comme de l’ensemble de la chaîne logistique aura constitué le fil rouge des échanges qui se sont déroulés dans le cadre du 2e Sommet de l’axe Seine, organisé le 1er décembre à la Maison de la chimie par Le journal du Grand Paris et Le journal de l’Axe Seine. Depuis le déploiement des énergies alternatives en passant par l’avènement de l’hydrogène, l’adaptation des motorisations des bateaux, nombreux sont les chantiers ouverts par les acteurs industriels, portuaires et institutionnels pour faire de l’axe Seine un territoire de référence en matière de transition énergétique.

La création, au 1er juin dernier, d’Haropa port, l’ensemble portuaire unique de la vallée de la Seine, aura impulsé « une nouvelle dynamique » pour les ports de Paris, Rouen et Le Havre soumis à une rude concurrence de leurs voisins de la Mer du Nord. « Anvers est deux fois plus gros que Le Havre et Rotterdam pèse deux fois plus lourd qu’Anvers ! », rappelle comme une évidence Antoine Berbain, directeur général délégué de Haropa port. Un constat qui oblige les acteurs portuaires de l’axe Seine à en faire davantage pour identifier et répondre aux enjeux stratégiques de demain. Parmi ceux-ci, la transition écologique et énergétique tient une place de choix, confirme le directeur de Ports de Paris. « C’est un défi pour des ports qui sont très dépendants de l’économie du pétrole, mais c’est aussi une opportunité, pour peu que nous sachions collectivement changer les habitudes et faire le choix de solutions plus vertueuses ». Notamment dans le domaine du transport fluvial : « car nous avons une carte à jouer », ajoute-t-il.

Antoine Berbain, directeur général délégué de Haropa port. © Jgp

Les intervenants de la table ronde « Une dynamique renforcée grâce à l’union des ports », de g. à dr. : Patrick Torrekens, directeur d’Enterprise Ireland France, Antoine Berbain, directeur général délégué de Haropa port, Raphaël Richard, rédacteur en chef du Journal de l’Axe Seine (animateur), Daniel Lheritier, directeur affaires publiques Ile-de-France de GRDF, Dominique Ritz, directeur territorial bassin de la Seine de VNF, Frédéric Courault, directeur délégué grands projets Ile-de-France d’Enedis, et Olivier Jamey, président de la Communauté portuaire de Paris. © Jgp

Un constat que Dominique Ritz, le directeur territorial du bassin de la Seine chez Voies navigables de France (VNF), partage pleinement : « c’est le mode de transport de demain », explique-t-il, rappelant l’engagement du contrat d’objectif à augmenter de 50 % le trafic fluvial dans les années à venir. Vice-président de Seine port union et président de la Communauté portuaire de Paris (CPP), Olivier Jamey considère d’ailleurs que « le facteur environnemental est crucial pour la réussite de l’axe Seine ». A fortiori dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ainsi que dans la mise en œuvre progressive de la zone à faibles émissions (ZFE) sur le périmètre parisien.

Sans attendre, la CPP s’est d’ailleurs lancée il y près d’un an dans un projet de transition écologique qui consiste à faire progressivement passer les quelque 150 bateaux qui naviguent sur la Seine parisienne à des motorisations alternatives. « Nous avons mis sur pied un groupe pilote de 12 bateaux qui représentent six métiers différents et nous entrerons en début d’année dans une nouvelle phase de concrétisation après celle des études qui s’achèvent actuellement ». Un projet qui vise la neutralité écologique mais qui doit dans le même temps s’inscrire, rappelle Olivier Jamey, « dans une logique économique ».

L’avitaillement multi-énergies en réflexion

En parallèle du défi technique de la transformation des motorisations, la question de la production et de l’approvisionnement en énergies alternatives se pose avec acuité sur les quais de Seine, de Paris jusqu’au Havre. Enedis, qui pilote le réseau de distribution d’électricité, s’est engagé au côté d’Haropa sur la question de la décarbonation des quais en envisageant de produire sur le domaine portuaire, explique Frédéric Courault, directeur délégué grands projets Ile-de-France d’Enedis : « au Havre, nous pourrons à horizon 2023/2024 mettre à disposition des navires de croisière 30 MW sur trois quais », confirme le dirigeant.

Frédéric Courault, directeur délégué grands projets Ile-de-France d’Enedis et Olivier Jamey, président de la Communauté portuaire de Paris.©Jgp

Poussant la réflexion, Daniel Lheritier, directeur affaires publiques Ile-de-France de GRDF, estime que les futures stations d’avitaillement devront être « multi-énergies » pour tenir compte des degrés de maturité technologique spécifiques de ces différentes solutions. Quoi qu’il en soit, rien n’est figé et toutes les expérimentations sont les bienvenues : « lorsque l’on parle de verdissement des motorisations, on peut imaginer d’intégrer des prolongateurs d’autonomie au biogaz qui prendraient le relais sur des moteurs électriques… et quand la filière hydrogène arrivera à maturité, pourquoi pas remplacer ces prolongateurs par des piles à combustibles ? »

Une culture du transport routier dominante

Au final, estime Antoine Berbain, « la décarbonation de l’économie est une obligation de résultat collective et ce que Haropa souhaite, c’est mettre à disposition les énergies les plus propres dans ses ports ». Déjà, des projets photovoltaïques se développent sur près de 7 ha au Havre, à Limay (Yvelines) ou encore à Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Sans oublier la méthanisation, toujours à Gennevilliers, ou encore le captage de CO₂ initié en 2021 entre Le Havre et Rouen par un pool de grands industriels.

Au cœur des enjeux, la décarbonation dépasse le secteur des transports pour inclure l’ensemble de la chaîne logistique. Une chaîne difficile à manœuvrer, imprégnée d’une « culture du transport routier ultradominante », résume Steve Labeylie, vice-président de Logistique Seine Normandie (LSN), qui invite l’ensemble des acteurs à prendre de la hauteur pour ne plus raisonner seulement par métiers. Jean-Michel Génestier, conseiller métropolitain du Grand Paris en charge de la logistique métropolitaine, vante les bienfaits de la multimodalité comme une réponse efficace « pour passer du fer à la route, puis au fluvial ». Chaque mode pouvant revendiquer sa spécificité et donc son utilité. Dès lors, « comment opérer l’intermodalité ? », interroge l’élu. Avec la mise en œuvre progressive de la ZFE sur le territoire parisien, la Métropole entend prendre sa part en soutenant les professionnels pour lesquels « la question du coût reste le frein le plus évident à l’évolution des flottes ».

Jean-Michel Génestier, conseiller métropolitain du Grand Paris en charge de la logistique métropolitaine et Jonathan Sebbane, directeur général de Sogaris. © Jgp

Face aux promesses du fluvial, Didier Léandri, président d’Entreprises fluviales de France (E2F), rappelle que la route est encore longue si l’on compare la France avec ses voisins du Nord : « la part du mode fluvial représente entre 30 et 40 % aux Pays-Bas et en Belgique contre seulement 3 % en France ». Un chiffre que E2F espère voir multiplié par quatre ou cinq avant la fin de la décennie et l’ouverture prévue du canal Seine-Nord Europe. Grâce, notamment, au développement exponentiel du e-commerce et du besoin de faire pénétrer de plus en plus de marchandises au cœur des grandes agglomérations de la vallée de Seine. Optimiste, il veut y voir « un alignement de planètes extrêmement propice à la multimodalité ».

Le tableau rêvé d’une vallée de la Seine décarbonée

Côté rail, là encore les chiffres de la part modale restent modestes : « au Havre, celle-ci représente entre 4 et 5 % des échanges alors que le transport routier est neuf fois plus polluant que le ferroviaire », déplore Abdelkrim Marchani, directeur territorial adjoint de SNCF réseau Normandie. Pour augmenter la part modale du ferroviaire, « c’est un combat qu’il faut mener avec l’ensemble de l’écosystème car les chiffres ne sont pas en phase avec la volonté affichée par les acteurs ». SNCF réseau travaille ainsi avec Haropa port à travers la mise en place du système de réservation de sillons et de capacité pour les chargeurs et les industriels « pour faciliter la mise en place de marchandises sur les trains » et mieux contrebalancer « un système qui repose toujours sur le réflexe routier ».

Dans ce tableau rêvé d’une vallée de la Seine décarbonée se pose avec force la question de la production. Avec d’une part une région, la Normandie, « qui produit deux fois plus qu’elle n’en consomme et de l’autre, l’Ile-de-France, qui importe 95 % de sa consommation », constate Nathalie Lemaître, déléguée régionale Ile-de-France Normandie RTE. Les grands énergéticiens comme Engie veulent donc « accélérer sur la transition énergétique », assure son directeur délégué régional Ile-de-France, Pierre-Yves Dulac, car « l’axe Seine est en retard sur les énergies renouvelables par rapport à d’autres régions ». Engie parie actuellement sur le photovoltaïque à Marcoussis (Essonne) avec une installation d’une capacité de 18 MW et suit de près le calendrier d’Haropa pour développer d’autres projets au Havre, Limay, Gennevilliers ou encore Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne).

Les intervenants de la table ronde « L’Axe Seine vecteur de transition énergétique », de g. à dr. : Catherine Bernard, rédactrice en chef adjointe du Journal du Grand Paris (animation), Stéphane Vialet, directeur des projets de transition énergétique pour l’Europe du sud-ouest d’Air liquide, Hélène-Milot Durin, déléguée régionale EDF Ile-de- France, Pierre-Yves Dulac, directeur délégué régional Ile-de-France d’Engie, Catherine Brun, secrétaire générale de GRTgaz, Richard Curnier, directeur régional Ile-de-France de la Banque des territoires, Nathalie Lemaître, déléguée régionale Ile-de-France Normandie de RTE, et Olivier Burel, chargé de projets innovation de VNF. © Jgp

Nathalie Lemaître, déléguée régionale Ile-de-France Normandie RTE. © Jgp

Hélène-Milot Durin, déléguée régionale EDF Ile-de- France. © Jgp

Pierre-Yves Dulac, directeur délégué régional Ile-de-France d’Engie. © Jgp

Richard Curnier, directeur régional Ile-de-France de la Banque des territoires. © Jgp

Quant à l’hydrogène, c’est en Normandie que le projet de production par électrolyse le plus mature se dessine. En rachetant cet automne les parts de H2V Normandy, Air liquide s’est donné les moyens de construire à Port-Jérôme, dans les boucles de la Seine entre Rouen et Le Havre, un site unique de production d’une capacité de 200 MW pour une production de 80 t/jour. Un projet, prévient Stéphane Vialet, directeur des projets de transition écologique d’Air liquide, « qui aura besoin d’un cadre réglementaire car à ce stade la filière n’est pas tirée par le marché mais par la réglementation ».

Les métropoles au cœur de l’axe Seine

Au-delà du CPIER, la dynamique axe Seine a rapproché les grandes métropoles de Paris, Rouen et Le Havre. De nouvelles coopérations sont nées entre ces collectivités qui ont su s’affranchir des bannières politiques pour travailler ensemble. Des synergies qu’elles entendent bien renforcer à l’avenir.

Dans un message vidéo adressé à tous les participants du 2e Sommet de l’axe Seine, l’ancien Premier ministre et actuel maire du Havre, Edouard Philippe, s’est dit « intimement convaincu de la pertinence de ce projet ». « L’aventure, a rappelé l’élu, a démarré il y a dix ans avec une intuition qui a surpris à l’époque : pour développer Paris, il fallait lui donner un accès à la mer ! Chacun, depuis, a compris l’intelligence de cette intuition dont la manifestation la plus concrète est la création d’Haropa », né de la fusion des ports de l’axe Seine. Réalisation majeure d’un CPIER qui n’interdit pas les initiatives locales, estime cependant Edouard Philippe, qui précise : « nous essayons de constituer un bloc de collectivités locales qui avancent ensemble ».

Nicolas Mayer-Rossignol, président de métropole Rouen Normandie, Patrick Ollier, ancien ministre, président de la métropole du Grand Paris, Yann Perron, conseiller délégué à l’axe Seine de Grand Paris Seine & Oise, Grégory Canal, conseiller de Paris, président de la mission d’information et d’évaluation de la ville de Paris sur la Seine, Katayoune Panahi, directrice de SNCF immobilier et Jacques Paquier, animateur. © Jgp

Patrick Ollier, Anne Hidalgo, Nicolas Mayer-Rossignol et Edouard Philippe le 26 octobre à Paris. © Jgp

Nicolas Mayer-Rossignol et Patrick Ollier. © Jgp

De son côté, le président de la métropole du Grand Paris, Patrick Ollier, insiste sur la nécessité « d’aller vite dans des réalisations concrètes ». « Des groupes de travail ont été constitués qui produisent des résultats », dit-il, citant volontiers l’engagement des trois métropoles de l’axe Seine dans le financement des énergies décarbonées à travers la création d’une SEM (société d’économie mixte) qui doit lancer en début d’année prochaine un premier appel à manifestation d’intérêts. Un projet initié à Rouen et qui a vocation à se déployer sur l’ensemble du territoire. Alors que le conseiller de Paris Gregory Canal met en garde contre le risque d’un empilement de strates administratives, le président de la MGP souligne au contraire l’importance d’intégrer d’autres EPCI de la vallée de la Seine à leurs discussions, ainsi que des acteurs du territoire tels que les chambres d’agriculture.

L’axe Seine, « une stratégie pour le pays »

Pour compléter le propos, le maire de Rouen et président de la Métropole Rouen Normandie Nicolas Mayer-Rossignol rappelle que l’axe Seine « n’est pas un projet local mais une stratégie pour le pays ». Un sujet qui doit être au cœur du prochain quinquennat, estime l’élu normand et sur lequel Edouard Philippe explique qu’il faudra « évangéliser les candidats pour que le sujet de l’axe Seine devienne un enjeu de politique nationale ».

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