Immobilier : banquiers, asset managers et promoteurs face à la crise

Banquiers spécialisés dans l’immobilier professionnel, asset managers, promoteurs… les acteurs franciliens du financement de l’immobilier décrivent l’impact de la crise sanitaire sur leur business. Les prêteurs affirment œuvrer avec l’obsession d’aider l’ensemble de leur clientèle professionnelle à passer la crise.

« Je suis fière de mes équipes. J’ai actuellement quelque 1 500 collaborateurs qui viennent travailler tous les jours, avec un seul objectif : aider tous nos clients notamment les entrepreneurs à passer la crise, résume Nathalie Mourlon, directrice générale adjointe du Crédit agricole d’Ile-de-France, notamment en charge de l’activité entreprises. Car si le tissu économique ne tient pas, alors la reprise sera difficile », poursuit-elle.

Nathalie Mourlon, directrice générale adjointe du Crédit agricole d’Ile-de-France.©DR

« Notre mot d’ordre est de soutenir nos clients », indique Patrick La Marne, directeur financement professionnel de l’immobilier de la Caisse d’épargne d’Ile-de-France. L’équipe de la direction des professionnels de l’immobilier de la BDR, qui rassemble 27 personnes, a procédé au cours des dernières semaines à une revue de portefeuille pour une gestion au cas par cas des demandes d’aménagement de prêts.

Les prêteurs interrogés ne s’inquiètent pas outrancièrement, pour l’heure, quant à la capacité des promoteurs à tenir, dans une région Capitale où l’immobilier affichait globalement, avant l’épidémie, une santé insolente. « Pour la promotion immobilière, le bas niveau des taux d’intérêt, compris entre 2 et 2,5 %, alors qu’ils dépassaient les 10 % lors de la crise du début des années 1990, et s’élevaient à 7 ou 8 % en 2008, allège le surcoût généré par la suspension des travaux et l’allongement du portage des opérations », souligne Patrick La Marne.

Patrick La Marne, directeur financement professionnel de l’immobilier de la Caisse d’épargne d’Ile-de-France. © DR

Pas de résiliation

« Les carnets de réservation des promoteurs, qui commercialisent l’essentiel de leur production en vente en l’état futur d’achèvement (Vefa), ne subissent pas de résiliations », constate Nathalie Mourlon. Comme ses confrères, la DGA du Crédit agricole d’Ile-de-France répond à des demandes ponctuelles de report d’échéances liées aux décalages de recettes provoqués chez les promoteurs par la suspension des chantiers, de même que par la suspension de la signature des actes notariés et des autorisations d’urbanisme.

Comme de nombreux professionnels de l’immobilier et de la construction, Patrick La Marne estime que les chantiers ne reprendront pas rapidement, compte tenu de l’arrêt de la chaine de production, et du retour d’une part non négligeable de la main-d’œuvre dans sa région ou son pays d’origine.

Mais le banquier se déclare optimiste quant à la perspective d’une reprise avant l’été, qui générera une surcharge considérable de travail aux différents acteurs concernés. Face aux risques de faillite de recomposition du secteur ou de consolidation des promoteurs, il distingue les grandes entreprises, ayant accès aux crédits corporate et autres opérations de financement à moyen et long terme (euroPP), qui disposent généralement de marges de manœuvre importantes, et les « petits », dont certains peuvent avoir des échéances difficiles à reporter.

Hausse des impayés

« Je ne m’inquiète pas outrancièrement pour les marchands de biens qui sont généralement, en pareil cas, des problem solvers », poursuit-il. Patrick La Marne estime que l’économie de l’immobilier connaîtra des changements durables à l’issue de la reprise. La perspective de la récurrence d’épidémies comparables va conduire les différentes parties prenantes à s’interroger par exemple sur la localisation des industries de production, considère-t-il notamment.

Concernant le logement social, Nathalie Mourlon perçoit que les bailleurs anticipent une hausse des impayés, peu nombreux en temps normal, compte-tenu du chômage partiel qui touche certains résidents. La DGA du Crédit agricole d’Ile-de-France répond avec ses équipes aux demandes d’ajournement des échéances des foncières propriétaires de locaux commerciaux, confrontées au report de loyers autorisé par le gouvernement.

« Nous consacrons tous nos efforts sur les professionnels et les entreprises, conclut Nathalie Mourlon. Nous assurons tous les emprunts conclus avant la crise, mais proposons à nos clients déposant de nouvelles demandes d’emprunt de les reporter d’un ou deux mois, indique la banquière, au regard de la vive tension financière intervenue la semaine dernière sur les conditions de refinancement des banques. Alors que le taux des obligations assimilables au Trésor (OAT) est à 0,10 %, nous empruntons sur les marchés à 1,60 % et l’équation se complique », indique-t-elle.

L’immobilier valeur refuge

Marc Bertrand, président de La Francaise real estate managers (asset management, gestion pour compte de tiers) commence par souligner que l’activité de sa société, qui gère des actifs immobiliers non cotés, est beaucoup moins perturbée que d’autres par les fluctuations boursières. Les investisseurs institutionnels se montrent néanmoins nettement plus frileux, tandis que les souscriptions des petits porteurs, pour des raisons pratiques liées au confinement ou d’attentisme, se réduisent également.

Si les flux d’investissement baissent donc, pas de flux de sortie enregistrés à La Française. En ces temps de crise, alors que les actions ont perdu un tiers de leur valeur depuis le début de l’année, que les obligations se déprécient également et ne rapportent rien en coupons, l’immobilier conserve ses caractéristiques de valeur refuge.

Marc Bertrand, président de La Francaise real estate managers. © DR

Les flux de collecte diminuant, le montant des investissements se réduit également, ralenti aussi par l’impossibilité d’effectuer des visites de biens ou des audits techniques. La suspension de l’activité des mairies et des offices notariaux contribue également à réduire le volume des acquisitions nouvelles, seules les affaires déjà largement engagées aboutissant.

Enfin, La Française real estate managers anticipe également une réduction des recettes qu’elle perçoit au titre des loyers encaissés, compte tenu du report décidé par le gouvernement en faveur des TPE. Si le texte gouvernemental prévoit de réserver ces ajournements de loyers aux TPE dont le secteur a fait l’objet de fermetures administratives, Marc Bertrand prévoit que le nombre d’entreprises concernées sera plus large, certains bailleurs ayant élargi ce périmètre aux PME et certains locataires a priori non concernés prenant eux-mêmes l’initiative de surseoir à leurs échéances.

A la tête de MDH promotion, qui construit quelque 400 logements par an en Ile-de-France, Philippe Jarlot indique que 80 % de ses recettes proviennent des bureaux de vente, actuellement fermés. Les honoraires de suivi de chantiers manquant également, seul le produit issu des montages d’opérations demeure. « Plus de 80 % de nos recettes sont donc bloquées », constate le promoteur, qui se félicite de « l’extrême bienveillance des banques ».

Philippe Jarlot, président de MDH promotion. © DR

Pas d’inquiétude excessive

Si à titre personnel, Marc Amzallag, président de Poly-Cités, ne semble pas s’inquiéter pour sa société francilienne de promotion immobilière, de taille moyenne, il considère que, à l’image des autres secteurs d’activités, la confiance des établissements de crédit auprès des différents opérateurs immobilier sera cruciale pour surmonter cette crise, afin notamment de combler les besoins en trésorerie des projets en cours, en augmentant les ouvertures de crédit. Après 15 jours de confinement et compte tenu de l’absence de visibilité, il vient néanmoins de placer ses salariés au chômage partiel, à mi-temps.

Marc Amzallag s’attend par ailleurs à des discussions ultérieures entre les entreprises de construction et les maîtres d’ouvrage notamment sur la prise en charge des coûts de sécurisation des chantiers suspendus, à l’image des négociations en cours entre constructeurs et promoteurs. La poursuite des travaux est plus simple à mettre en œuvre sur les chantiers où n’intervient qu’une seule entreprise, que dans ceux où cohabitent différentes entités, au sein desquelles les consignes de sécurité sont plus complexes à coordonner et les interfaces plus délicates, remarque-t-il.

Marc Amzallag, président de Poly-cités. © Jgp

Dans le cadre des projets en cours, s’il n’a pas de doute sur la souplesse des aménageurs publics, il confie s’interroger sur l’attitude des propriétaires privés qui pourraient faire preuve de plus de rigidité si les délais contractuels sont dépassés, surtout en cas de renégociations, ce qui peut se produire compte tenu des incertitudes sur la date de la reprise et la durée de son étalement. « On sait que les décisions d’achat, dans l’immobilier, au-delà des mécanismes de soutien qui seront mis en œuvre, reposent largement sur la confiance dans l’avenir, qui va être indéniablement ébranlée », souligne-t-il également, rappelant néanmoins que « la pierre demeure une valeur refuge, ce qui permet d’envisager la sortie de crise avec un minimum d’optimisme ».

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