Grand Paris : un atlas pour comprendre les mutations en cours

Sous la direction de Daniel Béhar et d’Aurélien Delpirou, de l’Ecole d’urbanisme de Paris, et dans le cadre de la chaire Aménager le Grand Paris, l’Atlas du Grand Paris souligne la complexité des mutations en cours, les impasses de la gouvernance, le poids persistant de l’Etat, la performance de l’économie ou l’aggravation des inégalités.

« Eclairer les controverses, en rendant compte du Grand Paris non pas tel qu’on l’imagine (ou le fantasme) mais tel qu’ils se transforme. » Tel est l’objectif affiché par « l’Atlas du Grand Paris, une métropole en mutations », réalisé sous la direction de Daniel Bébar et Aurélien Delpirou, de l’Ecole d’urbanisme de Paris, dans le cadre de la chaire Aménager le Grand Paris. Une exploration adossée aux travaux pluridisciplinaires les plus récents des chercheurs de l’école d’urbanisme de Paris, mais aussi aux cartes et données de l’Institut Paris Region et de l’Atelier parisien d’urbanisme.

Daniel Béhar, avec Thierry Lajoie, lors de la soirée de présentation de l’ouvrage. © Jgp

Dès l’introduction de l’ouvrage, ses auteurs soulignent la complexité des mutations en cours : « ainsi, si la montée en puissance du Grand Paris semble amplifier le retournement tendanciel de l’étalement urbain, elle ne se réduit pas, pour autant, à la densification de Paris et de la première couronne. De la même manière, si le projet privilégie la polarisation urbaine autour des gares, il transforme aussi largement le tissu urbain diffus ». Enfin, soulignent les universitaires, « l’accroissement des inégalités sociales et territoriales semble moins liée à l’aggravation des grandes fractures préexistantes qu’à leur démultiplication à toutes les échelles ».

Un moindre pilotage direct par l’Etat, au profit de l’émergence des territoires est mis au jour, n’entrainant pas, cependant, un Grand Paris qui serait uniquement sous l’emprise des acteurs privés.

Le poids singulier de l’Etat

Dans un premier chapitre intitulé « Une région dans l’ombre de l’Etat », l’Atlas du Grand Paris commence par rappeler que la décentralisation a été plus tardive en Ile-de-France qu’ailleurs, les transports et la planification urbaine ayant été confiés aux collectivités non pas dans les années 1980 mais en 2000. Les nombreuses opérations d’intérêt national (OIN), dans des secteurs stratégiques (Roissy et Orly, Vallée de la Seine en amont et en aval de Paris, faisceau nord de Paris à Roissy et plateau de Saclay) placent encore la région sous un régime particulier.

La nomination par décret du président du directoire de la Société du Grand Paris, établissement public de l’Etat chargé de bâtir le réseau du Grand Paris express, illustre également cette conduite étatique des grands projets régionaux. « La Région, pourtant autorité organisatrice des transports depuis 2000, est ainsi prise en tenaille entre la SGP et les deux principaux exploitants du réseau francilien (la SNCF et la RATP), qui relèvent tous les trois de l’Etat. »

Le rôle des établissements publics d’aménagement, hérités des villes nouvelles, dans la production de logements, notamment en grande couronne, est également souligné. « Plus de 80 % des logements construits par des entités publiques dans les Yvelines et en Essonne sont le fait des opérateurs de l’Etat », est-il constaté.

Des promoteurs privés actifs

L’interruption récente, sur décision de l’Etat, d’EuropaCity, majoritairement soutenu par les élus locaux démontre encore cette prégnance. Mais si l’Etat reste à la manœuvre en Ile-de-France, cela signifie-t-il qu’il en pilote les mutations ? « Rien n’est moins sûr », répondent les auteurs, qui ne méconnaissent pas le rôle des acteurs privés, notamment en matière de logements. Les promoteurs privés réalisent désormais trois fois plus de logements que les aménageurs publics et deux fois plus que les bailleurs sociaux. Des promoteurs qui « concurrencent directement les mutations entre particuliers par des offres très au-dessus du marché et modifient le tissu pavillonnaire en dehors des cadres classiques de l’aménagement ».

« Face à la quantité de logements produits dans le secteur libre, le plan local d’urbanisme reste un outil majeur pour maîtriser les mutations urbaines, mais il n’est plus le seul », souligne l’Atlas. Près de 50 communes franciliennes ont développé l’usage de « chartes promoteurs », qui peuvent agir sur les plafonds de prix, la qualité des logements, les modes de commercialisation, le recours à un concours d’architectes ou encore la priorité accordée aux acquéreurs locaux, est-il rappelé.

Saint-Denis figure parmi les communes ayant mis en place des chartes promoteurs. © Jgp

L’Atlas du Grand Paris souligne également que, rapportée à sa population, l’Ile-de-France est l’une des régions où la construction neuve est la plus faible : 3,4 logements neufs par an pour 1 000 habitants au cours des 20 dernières années, pour une moyenne nationale de 5,6. Un record a été néanmoins atteint en 2017, avec 62 000 logements mis en chantier.

Un périmètre régional « à la bonne échelle »

L’Atlas décrit les couches du mille-feuille administratif, les deux dernières en date notamment, que sont les établissements publics territoriaux (EPT) et la métropole du Grand Paris (MGP), soulignant le paradoxe de la persistance du fait communal : des municipalités de taille importante, dont une quarantaine ont plus de 50 000 habitants, « ce qui leur confère une capacité politique et technique significative, bien qu’insuffisante pour être à la hauteur des enjeux métropolitains », tandis que Paris « se vit encore largement comme auto-suffisante ».

En matière de gouvernance, les auteurs de l’Atlas considèrent que la Région constitue l’institution « à la bonne échelle », pour gouverner le Grand Paris, englobant la zone urbaine à l’exception de l’Oise et les zones agricoles « susceptibles d’organiser un écosystème métropolitain ». Avec la présidence d’Ile-de-France mobilités, de l’Établissement public foncier d’Ile-de-France et de Grand Paris aménagement, elle s’est dotée d’outils « susceptibles de lui donner une capacité d’action déterminante en matière d’aménagement ».

« En dépit de tous ces atouts, la Région doit partager le leadership métropolitain, constatent les auteurs. Cela tient sans doute à son régime électoral, (listes départementales), qui l’incite à un prudent équilibre entre les huit départements en entérine la déconnexion avec le niveau communal, ainsi qu’à sa faible autonomie financière. »

Les auteurs relèvent également une mise en mouvement des investisseurs et promoteurs, mais aussi des grands groupes de services urbains, qui créent des missions Grand Paris, ainsi que le développement d’une presse spécialisée et la multiplication des initiatives associatives comme autant de signes de l’émergence d’une société civile métropolitaine.

Une économie surperformante

L’Atlas du Grand Paris souligne la performance de l’économie francilienne, dotée d’un PIB/hab. de 50 900 euros, soit 176 % de la moyenne européenne. La région capitale concentre 6,3 millions d’emplois salariés et non-salariés, 1,1 million d’entreprises, un taux de chômage de 7,6 % fin 2018, (contre 8,9 % en 2015 et 6,3 % en 2008). Relevant à la fois d’un modèle généraliste et multi-spécialiste, l’économie régionale est largement diversifiée, « ce qui lui confère une résilience certaine aux aléas de la conjoncture ». L’Ile-de-France concentre à la fois 40 % des chercheurs publics et privés de France et 40 % des dépenses de R&D. 87 % de la valeur ajoutée francilienne est réalisée en 2017 dans le secteur tertiaire, contre 79 % en France.

L’Atlas rappelle la très forte polarisation économique, la zone dense captant 90 % de l’emploi régional. Les secteurs exportateurs ne représentent que 10 % des emplois, 40 % étant ancrés dans une économie de proximité, de service aux ménages.

Une spécialisation sociale croissante

Une aggravation des inégalités est mise en évidence : dans 44 des communes parmi les plus pauvres de la région, où vivent 15 % des Franciliens, le revenu médian a baissé entre 2001 et 2015. « Au gré des vagues de mobilité résidentielle, la spécialisation sociale de ces communes dans l’accueil des populations défavorisées s’est accrue », est-il souligné. « A cette dynamique s’ajoute la précarisation croissante de certains quartiers des villes nouvelles et d’agglomérations intermédiaires de la grande couronne (Meaux, Mantes-la-Jolie, Etampes, Persan), constatent les auteurs. Les pratiques d’évitement social et scolaire des classes supérieures font que la mixité sociale ne progresse que « par le haut », par le biais de l’embourgeoisement de certaines communes de première couronne (Asnières, Bagnolet, Ivry), parfois favorisé par des grands projets de renouvellement urbain ».

Au gré des vagues de mobilité résidentielle, la spécialisation sociale de certaines communes dans l’accueil des populations défavorisées s’est accrue. © Jgp

Contrairement aux idées reçues, les espaces périurbains demeurent les plus homogènes, est-il également constaté : ils concentrent la majorité des communes mixtes socialement, où le profil des ménages est proche de la moyenne régionale. « Les fractures sociales s’inscrivent désormais à des échelles très fines, comme au nord de Paris (Levallois vs Saint-Ouen), parfois au sein d’une même commune (Montreuil, Pantin), où secteurs aisés et très pauvres se juxtaposent, à l’interface des dynamiques de gentrification et de paupérisation. »

277 quartiers politique de la ville

Depuis 2014, l’Ile-de-France compte 272 QPV, quartiers prioritaires au titre de la politique de la ville, sélectionnés sur un critère de pauvreté des ménages. Entre 2003 et 2013, le programme national de renouvellement urbain a concerné 149 quartiers, alors qu’un nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) s’est mis en place. « Le renouvellement urbain accompagne plus qu’il n’infléchit les dynamiques territoriales », constatent les auteurs de l’Atlas. « Dans des espaces déjà fortement valorisés, où le parc ancien privé se transforme, comme Asnières ou Pantin, les projets ont plutôt contribué aux dynamiques de gentrification. Dans les quartiers situés dans des contextes urbains en difficulté, comme La Courneuve ou Argenteuil, la rénovation n’a rien changé au processus de paupérisation ».

« La valorisation du Grand Paris express (qui desservira 44 QPV et 30 PNRU) et les nouveaux projets de renouvellement urbain, qui prévoient notamment une TVA réduite pour les programmes en accession à la propriété dans et autour des quartiers, risquent de renforcer ces fragmentations internes, sans que l’on connaisse vraiment les bénéfices que les populations les plus vulnérables pourront tirer de la seule proximité de cette nouvelle offre de transports », estiment les auteurs.

Ralentissement de l’extension urbaine

Citant les travaux de l’Institut Paris Region, l’Atlas note un net ralentissement de l’extension urbaine, les espaces urbains construits étant passés de 814ha/an sur la période 2008-2012 à 559 ha/an entre 2012 et 2017. Un Francilien de plus de 5 ans consacre en moyenne 40 min de plus que la moyenne des Français à se déplacer, soit 90 min pour effectuer 18 km, répartis en 3,8 déplacements quotidiens.

La vitesse moyenne des transports en commun a diminué depuis 2001 de 12 %, comme pour la voiture. La croissance de l’usage des transports en commun a été soutenue (+ 38 %), comme celle de la marche (+ 43 %), celle du vélo spectaculaire (+ 183 %), tandis que le recours à la voiture a diminué de 4 %. Dans Paris, 60 % des déplacement s’effectuent à pieds, 27 % en transports en commun, 7 % en voiture et 3 % à vélo.

Atlas du Grand Paris, sous la direction de Daniel Béhar et Aurélien Delpirou. Autrement, 96 p., 24 euros.

© Jgp

Auteurs : Julien Aldhuy, Laurent Coudroy de Lille, Gwenaëlle d’Aboville, Hélène Dang Vu, Jean-Claude Driant, Clotilde Kullmann, Christine Lelévrier, Corinne Larrue, Paul Macé Le Ficher, Pascal Madry, Marie-Hélène Massot, Clément Orillard, Anne Pétillot, Gwendal Simon, Taoufik Souami, Céline Steiger, Martin Vanier.

Membres de la chaire Aménager le Grand Paris : Caisse des dépôts, Établissement public foncier d’Île-de- France, Grand Paris aménage­ment, Grand Paris habitat Société du Grand Paris, Altarea Cogedim, Eiffage aménagement, la Française, Kaufman & Broad, Linkcity, la Semapa, SNCF Immobilier et la SPL AIR 217.

Comité d’experts de la chaire : l’Institut Paris Region, l’Apur et la DRIAE

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