B. Burtschell (SPTP) : « Nous n’imaginons pas que l’on souhaite nous faire supporter les conséquences de la pandémie »

Bertrand Burtschell, président du SPTP (Syndicat parisien des travaux publics), décrit les raisons pour lesquelles ses adhérents ont dû interrompre les chantiers et détaille les enjeux de leur sécurisation. Il revient sur les protocoles à mettre en place pour assurer la reprise des travaux et sur la question de la prise en charge des coûts liés à leur suspension.

La suspension des chantiers était-elle inévitable ? 

Nos adhérents avaient l’intention de continuer à travailler. Mais tout s’est passé en quelques jours en début de semaine dernière, au fur et à mesure des annonces du gouvernement et de leur impact sur la vie des chantiers. Dès lundi 16 mars et la fermeture des écoles, les effectifs ont commencé à manquer, une partie de nos salariés devant garder leurs enfants.

Bertrand Burtschell, président du Syndicat parisien des travaux publics, SPTP. ©Jgp

A cela s’est ajoutée l’immobilisation des grands déplacés. L’Ile-de-France compte actuellement de nombreux chantiers, et donc beaucoup de grands déplacés, ce qui est une spécificité de notre métier. Or sur un certain nombre de chantiers, l’absence de certaines fonctions rend impossible la poursuite des opérations. Vous ne pouvez pas travailler avec seulement la moitié ou le tiers des effectifs. Les annonces de lundi soir ont accentué les questionnements. Les choses se sont accélérées et mardi 17 mars après-midi, l’ensemble des entreprises faisait le constat qu’il était impossible de continuer à travailler. Nous sommes également dépendants de nos sous-traitants, mais aussi de nos fournisseurs, qui sont aussi allemands, italiens, espagnols.

Quelles difficultés pose la poursuite des chantiers ? 

En ce qui concerne les travaux du Grand Paris, il s’agit notamment de questions liées aux secours. Nous avons par exemple, pour le Grand Paris express, des chantiers hyperbares, qui demandent, en cas d’accident, des moyens de secours particuliers. Par ailleurs, une forme d’incompréhension s’est traduite par des agacements entre la profession et le gouvernement, notamment sur la question de savoir si nous faisions ou non partie des métiers critiques.

Les mesures barrière recommandées sont-elles difficiles à mettre en place sur les chantiers ?

De façon pratique, ces mesures sont ingérables sans temps de préparation et changement d’organisation. Cela a conduit à l’arrêt, dès mardi soir, de 80 % des chantiers de nos adhérents. Il y a eu également des incompréhensions sur les particularités de nos métiers. Les autorités considéraient que comme le transport ou la distribution fonctionnaient, et qu’il faut bien que le pays continue à vivre, nous devions nous aussi poursuivre nos activités. Sauf qu’encore une fois, le manque de personnels ne nous le permettait pas. De même que, par exemple, la proximité des ouvriers induite par la manutention de charges lourdes est contraire aux règles de prévention contre la contamination ; cela dans un contexte où l’on ne dispose pas de masques, réquisitionnés – et on le comprend bien – pour nos services de santé.

Les grands chantiers, si l’on prend l’exemple du Grand Paris express, concentrent souvent jusqu’à 500, voire 800 personnes, dans des installations communes, les rendant incompatibles avec l’interdiction de rassemblement de plus de 100 personnes ou l’espacement d’un mètre recommandé au titre des mesures barrière. Il a fallu un temps pour que l’Etat comprenne nos spécificités et qu’il ne s’agissait pas, de notre part, de mauvaise volonté.

Vos masques ont donc été réquisitionnés ?

Tout à fait. Or, en dehors de la protection contre le coronavirus, certaines de nos activités, comme le béton projeté ou l’empoussièrement de certains travaux, requièrent le port de masques, dont nous étions privés par réquisition.

Vous avez fini par tomber d’accord avec le gouvernement ?

Deux axes se sont dessinés : identifier quels sont les chantiers prioritaires, compte tenu du manque de ressources disponibles pour poursuivre l’ensemble des travaux en cours, et définir quels protocoles particuliers, avec quels moyens spécifiques nous devons appliquer pour les chantiers maintenus. Notamment les chantiers situés aux abords de services publics, une stabilité de talus ferroviaire, figurent par exemple au premier rang de nos priorités. La RATP a, autre exemple, mis en avant les essais de la ligne 14 nord.

Quelles ont été les difficultés rencontrées dans l’élaboration de ces protocoles, sur lesquels vous êtes tombés d’accord avec le gouvernement en fin de semaine dernière ?

Quand bien même nous multiplierions les installations, séparerions les réfectoires, établirions des cheminements préférentiels, il demeure deux difficultés majeures : la question des masques et celle des secours. Nous avons malheureusement un métier accidentogène et une profession qui y est sensible. En cas d’accident d’un de nos salariés, est-ce que le système de secours et le système hospitalier ont la capacité de le prendre en charge ? Dans le cadre spécifique des chantiers du Grand Paris express, des tunneliers, des gares, d’un risque feu qui peut survenir, des réponses doivent également être apportées pour que les chantiers puissent redémarrer. Chacun comprend aujourd’hui qu’il faut traiter ces questions.

Un tunnelier du GPE. © Jgp

Votre actualité est aussi la mise en sécurité des chantiers ?

Nous devons gérer en effet la mise en arrêt des travaux, la surveillance des chantiers, avec la particularité des tunneliers, la surveillance des stabilités de confinement, du fonctionnement des circulations des boues, etc. Nous intervenons sur de vastes espaces susceptibles d’intrusion, qui doivent également être sécurisés. C’est une problématique importante. Il a fallu expliquer à nos salariés comment allait se mettre en place le chômage partiel, qui était concerné, comment tout cela allait s’organiser. C’est un travail important, à mener dans un temps très court pour que nos salariés puissent continuer à être rémunérés et qu’ils soient rassurés.

Quel partage des responsabilités entre les entreprises de BTP et les maîtres d’ouvrage ?

Il existe une inquiétude de nos adhérents à ce sujet, d’autant que la première moitié de la semaine dernière a montré que des comportements très variés existaient. Certains maîtres d’ouvrage souhaitaient délivrer des ordres de service d’arrêt et ont eu parfois  pour instruction de ne pas les donner. Certaines personnalités sont intervenues pour faire flotter la menace d’une non-prise en compte du chômage partiel pour nos salariés. C’est pour le moins surprenant et anormal.

Nous conseillons à nos adhérents d’adresser des courriers aux maîtres d’ouvrage leur demandant des ordres de service d’arrêt de chantier, leur expliquant les raisons pour lesquelles nous avons été amenés à les interrompre. De même, nous ne comprendrions pas, alors que l’on nous dit que nous devrions continuer à travailler, que les règlements de nos travaux s’interrompent pour les tâches qui ont été effectuées avant les arrêts. Cette question sera vitale dans les jours et les semaines qui viennent, avec les trésoreries de nombre de nos entreprises qui risquent d’être mises en difficulté.

Comment réagissent les maîtres d’ouvrage ?

Leurs réponses sont variables. Certains donnent des ordres de service d’arrêt des chantiers, d’autres demeurent silencieux. Nous ne pouvons imaginer que certains envisagent de nous faire supporter les conséquences de la pandémie. Si des dispositions contractuelles peuvent varier d’un contrat à l’autre, les coûts de sécurisation d’un chantier relèvent, en pareil cas, du maître d’ouvrage.

On ne voit pas les chantiers reprendre rapidement alors même que l’on évoque un durcissement des conditions de confinement ?

En masse et d’une façon générale, non, en effet. Dans le détail, nous avons une analyse à fournir sur la taille des chantiers, le nombre de grands déplacés présents, et le type d’activités qui s’y pratique. Autrement dit, les grands chantiers sont plus difficiles à redémarrer, qui plus est avec des tunneliers. Il faut également voir la réponse de la chaîne de fournisseurs et sous-traitants. Mais il est certain que tout le monde ne redémarrera pas comme un seul homme. Redémarrer des chantiers de petite taille, avec des mesures spécifiques, et un protocole clairement établi, est plus facilement imaginable, en sachant néanmoins que la crise risque très probablement de s’aggraver dans les semaines qui viennent.

Au final, si la crise devient de plus en plus aiguë, la question du droit de retrait devra également être tranchée. On vous dit d’un côté que vous ne devez pas croiser plus de cinq personnes par jour, et on vous explique de l’autre que vous devez venir travailler. Les déplacements intercités sont proscrits, mais vous devez déplacer vos salariés sur des longues distances. Les hôtels et les restaurants ferment, mais vous devez loger et nourrir vos équipes. L’accumulation de ces messages paradoxaux est très difficile à gérer, pour les directions de nos entreprises adhérentes comme pour nos salariés.

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