José Ramos, président de la Fédération régionale des travaux publics d’Ile-de-France (FRTP), décrit comment ses adhérents s’organisent actuellement pour assurer que la mise à l’arrêt des travaux, nécessaire pour protéger les salariés, s’effectue dans la sérénité, sans risque ni pour l’environnement des chantiers ni pour la sécurité des entreprises.
Quel regard portez-vous sur les polémiques en cours, notamment entre les professionnels du bâtiment et des travaux publics et le gouvernement, concernant l’arrêt des travaux ?
Je ne souhaite pas commenter les débats politiques. Ce n’est pas le rôle des entreprises. Ce que je peux dire, c’est que dès le week-end dernier, un grand nombre de nos adhérents nous ont interrogés sur la conduite à adopter après les annonces du Premier ministre relatives à la fermeture des établissements recevant du public (ERP), et en constatant, comme tout le monde, ce qui se passait dans les autres pays. Nombreux sont les chantiers de travaux situés sur des lieux ouverts au public.
Les entreprises doivent-elles interrompre leur activité selon vous ?
Il faut rappeler tout d’abord qu’aucune entreprise ne souhaite s’arrêter pour le plaisir. Notre priorité est en l’occurrence de protéger nos collaborateurs. Et il n’existe aucune loi qui permette de dégager les entreprises de leur responsabilité en matière de santé.
Les équipes ont d’abord continué à travailler, dans une désorganisation croissante, alors que sur toutes les ondes, les experts appelaient au confinement. Mais dès lundi, les choses se sont clarifiées et la quasi-totalité des chantiers s’est interrompue. En Ile-de-France, les travaux se font pour la plupart d’entre eux en équipes relativement nombreuses.
Vos salariés ont fait valoir leur droit de retrait ?
La moitié de nos salariés ne possède pas le permis de conduire. Dès lundi matin, en effet, certains ont refusé de monter à bord des véhicules des entreprises chargés de les acheminer, faisant valoir leur droit de retrait. D’autres ont dû rester à leur domicile pour assurer la garde de leurs enfants.
Quelles difficultés pose l’arrêt des chantiers ?
L’arrêt d’un chantier ne s’effectue pas aussi rapidement que la fermeture d’un commerce. Certains vont d’ailleurs n’être interrompus que partiellement, c’est notamment le cas de ceux du Grand Paris express. En plus de la surveillance classique de chantiers mis à l’arrêt, l’interruption de certains nécessite la mise en place de mesures conservatoires. Un tunnelier, par exemple, ne peut être immobilisé durablement. Ils seront amenés à être réactivés, au ralenti, ou de manière épisodique. D’autres chantiers, on l’a vu dans les médias nationaux, notamment en Seine-Saint-Denis, avec l’exemple du raccordement d’une canalisation d’eaux usées, ne peuvent être interrompus. Ils sont donc poursuivis.
Comment s’est organisé l’arrêt des chantiers ?
Les travaux doivent être suspendus avec un ordre de service qui permette de prémunir les entreprises contre le risque de se voir reprocher un abandon du chantier. Il convient tout d’abord d’en avertir les maîtres d’ouvrages. En leur signifiant qu’il ne s’agit pas d’une désertion, ni d’un abandon de chantier, mais d’un arrêt décidé par les chefs d’entreprise. Et pas seulement. Nous disposons, sur de nombreux chantiers, de coordinateurs de sécurité, qui ont leur mot à dire, notamment dans la mesure où les plans généraux de coordination (PGC), les modèles d’installations collectives, sanitaires, réfectoires, ne permettent pas, aujourd’hui, de respecter les gestes barrières.
Vous allez modifier les installations de chantier en conséquence ?
Nous pourrons nous organiser pour respecter les consignes de sécurité, les gestes barrières, mais cela demande de prendre le temps nécessaire. Cela ne se fait pas par un claquement de doigts, mais nécessite, par exemple, d’augmenter le volume et la surface de nos installations. Et il est fréquent que la fermeture des restaurants prive nos collaborateurs de leur lieu de restauration habituel.
Aujourd’hui, nous savons nous préparer à une reprise, à conditions d’être assurés de pouvoir mettre en œuvre l’ensemble des consignes permettant d’assurer la bonne protection de nos salariés.
Vous êtes prêts à redémarrer ?
Il faut accepter l’idée que l’on ne sera pas en capacité de redémarrer immédiatement à la même vitesse que précédemment. Tout cela ne peut se faire sous pression. Ce sont des questions qui nécessitent la compréhension de tous, qui ont une dimension humaine ! Il faut aussi que l’organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPP-BTP) nous donne l’ensemble des recommandations pour que nos salariés soient protégés.
Vous manquez d’équipements de protection ?
Nous menons des chantiers de désamiantage, qui nécessitent un haut niveau de protection. Nous savons donc nous protéger, mais cela demande des équipements dont nous ne disposons pas aujourd’hui pour l’ensemble de nos chantiers. Il faut aussi que les chefs d’entreprise n’aient pas de questions à se poser sur le risque qu’ils transmettent à leurs collaborateurs en leur déléguant certaines responsabilités. En Ile-de-France, nous avons eu la chance de bénéficier d’une grande qualité d’écoute de la part du préfet de région Michel Cadot et de ses services, mais aussi des grands opérateurs que sont SNCF réseau, la RATP, Ile-de-France mobilités, Aéroports de Paris ou la Société du Grand Paris. Nous devons, à présent, travailler avec les services de l’Etat, la Direccte notamment, sur les mesures à mettre en œuvre en faveur de nos entreprises.
Quelles sont vos priorités aujourd’hui ?
Nous devons assumer nos obligations de surveiller, de contrôler que l’interruption des chantiers soit parfaitement sécurisée et ne représente aucune menace pour leur environnement. Il nous faut assurer la sécurité des espaces qui nous sont prêtés pour nos ouvrages, pendant la durée des travaux. C’est une mission que nous devons pouvoir mener sereinement, dès lors que nos chantiers sont reconnus à l’arrêt. Nous devons prendre toutes les mesures conservatoires nécessaires, afin de prémunir l’ensemble des parties-prenantes de tous risques liés à la suspension d’un chantier. On imagine que les voussoirs du Grand Paris express devront être surveillés. En sachant qu’aujourd’hui, il est vrai que nous ne savons pas qui prendra en charge le coût de ces mesures conservatoires. Tout cela doit être coordonné avec nos maîtres d’ouvrage, publics et privés. Nous avons saisi l’ensemble des parlementaires d’Ile-de-France, en milieu de semaine, afin de leur expliquer la situation et les raisons pour lesquelles nous avons dû interrompre les chantiers qui pouvaient l’être. Aujourd’hui, personne n’a l’expérience d’une telle situation.