50 ans de l’Apur : Entre luttes passées et combats à venir

Anciens et actuels dirigeants de l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur), élus, universitaires et aménageurs ont retracé, samedi 18 novembre 2017 au Pavillon de l’Arsenal, 50 ans d’une histoire de l’atelier faite de luttes. Et décrit les combats à venir.

1967/1983 Une nouvelle vision pour Paris

« L’Apur a été créé par l’Etat, mais dirigé par une bande de joyeux trentenaires qui sont parvenus, avec beaucoup d’innocence, à mettre en pièces des projets initiés au nom d’une conception moderniste, hygiéniste et constructiviste de la ville », a rappelé Jean-Louis Subileau, gérant de « Une Fabrique de la ville », samedi 18 novembre, en ouverture de la matinée organisée au Pavillon de l’Arsenal à l’occasion des 50 ans de l’Apur, lors d’un duo avec Leonor Coutinho (Apur 1969-1974, ex-secrétaire d’Etat au Logement et à la Communication du Portugal).

Jean-Louis Subileau, Leonor Coutinho et Dominique Alba, samedi 18 novembre 2017 au Pavillon de l’Arsenal. © Jgp

Des projets qui consistaient, notamment, à réaliser une autoroute urbaine traversant Paris du nord au sud. Jean-Louis Subileau, qui fut directeur adjoint de l’Apur évoque « la communauté délinquante », formée par l’équipe de l’Atelier, selon une catégorie propre à la sociologie de l’époque. Pierre-Yves Ligen dirige alors l’Atelier, surnommé à la fois Kennedy « parce qu’il est jeune et porte beau » et Tintin, « parce qu’il a toutes les audaces ».

Vue axonomètrique sur le secteur nord-est. © Apur

« Nous étions face à une direction générale de l’aménagement et de l’urbanisme de Paris très puissante, tout comme les sociétés d’économie mixte (SEM) de la ville. C’était le combat de David contre Goliath », résume Jean-Louis Subileau. Le conseil de Paris commence à émerger. « Bernard Rocher, président de la 5° commission (voirie, urbanisme et environnement) a compris que c’était en s’appuyant sur cette équipe de joyeux galopins qu’il allait l’emporter contre les projets en cours de démolition de la moitié de Paris », poursuit le Grand prix de l’urbanisme 2001.

« Nous étions face à une direction générale de l’aménagement et de l’urbanisme de Paris très puissante, tout comme les sociétés d’économie mixte de la ville. C’était le combat de David contre Goliath », résume Jean-Louis Subileau. © Jgp

Radiales, rocade, et axe sud

« Lorsque je suis entrée à l’Apur, le réseau autoroutier approuvé comportait huit autoroutes dans Paris, radiales, rocades, et axe nord-sud », a rappelé Leonor Coutinho. L’époque est encore fascinée par l’Amérique, la voiture, à laquelle il convient d’adapter la ville. « Ce combat contre le plan autoroutier fut d’autant plus ardu que Georges Pompidou y croyait », ajoute-t-elle. Après le décès du chef de l’Etat, l’équipe de l’Apur ira dire aux deux candidats à sa succession, Giscard et Mitterrand, à quel point ce projet est néfaste. « Ce fut indiscutablement notre grande lutte », s’est souvenue Leonor Coutinho. Une étude de l’atelier démontrera que l’augmentation du trafic automobile a fait baisser le nombre de déplacements de personnes par heure par rapport aux années où les bus circulaient mieux.

« Le combat contre les autoroutes urbaines fut indiscutablement notre grande lutte », s’est souvenue Leonor Coutinho. © Jgp

Leonor Coutinho sera détachée quelques mois à la RATP pour mettre en place un  réseau complet de couloirs d’autobus. C’est la naissance du stationnement payant et de la carte Orange, pour que les Parisiens cessent de penser que la voiture est gratuite et le transport en commun payant. Les voitures jonchent les trottoirs et les contre-allées. Un long travail de réappropriation de l’espace public, qui se poursuit aujourd’hui, a commencé.

Le relief de Paris à partir du programme informatique Balsa. © Apur

En 1977, une des premières décisions du maire de Paris Jacques Chirac sera de nommer le directeur de l’atelier Pierre-Yves Ligen à la tête de la direction de l’urbanisme de la ville. « Pendant dix ans, les pouvoirs d’études et de régulation vont être exercés par la même personne », rappelle Jean-Louis Subileau, pour s’en féliciter. L’Apur peut également se targuer d’avoir alors largement contribué à sauver la gare d’Orsay de son remplacement par un vaste hôtel, ou d’avoir stoppé le projet de construction d’une immense cité financière entre l’opéra Garnier et la gare Saint-Lazare.

1983/2001 Le retour de la ville

Nathan Starkman, ancien directeur général de l’Apur, a rappelé que c’est, en 1984, l’abandon par la France des travaux engagés pour organiser l’Expo universelle de 1989, pour des raisons de conflits politiques, qui provoque la démission de Pierre-Yves Ligen. Nicolas Politis lui succède pour une période au cours de laquelle l’atelier va bâtir un plan-programme de l’est parisien, « qui n’est ni un programme ni un plan mais une vision du futur ». Une volonté d’ouvrir la commande architecturale s’exprime alors et un travail de haute-couture effectué pour adapter le plan d’occupation des sols (POS, ancêtre du PLU), aux morphologies et à l’activité de chaque quartier.

« En 1989, l’idée d’ouvrir l’Apur aux communes limitrophes ne rencontra aucun écho favorable à la ville de Paris et, pire encore, auprès des maires de banlieues », a indiqué Nicolas Politis. © Jgp

« Nous souhaitions freiner le départ des activités industrielles ou artisanales, indique Nathan Starkman. La contestation des grandes opérations d’urbanisme, de leur violence, s’exprime avec une demande de la population de plus de douceur, de plus de concertation », poursuit-il. Les grands jardins, ceux de Bercy ou du parc André Citroën, dans le quartier de Javel, sont conçus à cette période de récupération de l’espace public parisien.

François Grether (Apur 1970-1992, Grand prix de l’urbanisme 2012) a décrit le lancement de la transformation de Paris rive gauche, entre les ponts de Bercy et de Tolbiac, la Seine et les voies ferrées. © Jgp

En 1989, un projet d’ouverture de l’Apur aux communes de la petite couronne riveraines de Paris est aussitôt abandonné : « Cette idée ne rencontra aucun écho favorable au sein de la Capitale et pire encore auprès des maires de banlieues, qui ne souhaitent absolument pas collaborer avec la machine de la ville de Paris », se souvient Nathan Starkman, grand prix de l’urbanisme 1999.

Couverture du Paris Projet n°27-28 consacré à l’aménagement de l’Est de Paris © Apur

François Grether (Apur 1970-1992, Grand prix de l’urbanisme 2012) a décrit le lancement de la transformation de Paris rive gauche, entre les ponts de Bercy et de Tolbiac, la Seine et les voies ferrées. L’Apur tente d’organiser une vaste concertation à ce sujet, sans obtenir le succès escompté.

« Faire du vide »

La fin du XX° siècle voit se créer de nombreux parkings souterrains dans le même objectif de réappropriation de l’espace public face à l’invasion automobile. « A la fin des années 2000, très peu de nouveaux espaces publics ont été créés dans la Capitale depuis les années 1930 », souligne Christiane Blancot, responsable du pôle évolutions urbaines de l’Apur. Un urbanisme de dalle a prévalu au cours des décennies précédentes, illustré par le quartier des Olympiades, dans le 13°, ou celui de la place des Fêtes, dans le 20°, caractérisé par une séparation des voitures et des piétons.

L’Apur travaille à la récupération des contre-allées des Champs-Elysées. Le stationnement des voitures disparaît progressivement des berges de la Seine et du canal Saint-Martin. « L’heure est à l’embellissement de la ville et l’inspiration vient alors de Barcelone, qui a entrepris un vaste chantier d’aménagement urbain et de création de places en vue de l’organisation des Jeux olympiques », note Christiane Blancot.

Vue sur la couronne de Paris © Apur – DAU

L’avenue de Flandre ou celle d’Italie sont également transformées à cette époque, celle des grands alignements d’arbres et de la récupération de l’espace piéton sur la chaussée. L’idée est également « de faire du vide », comme ce sera le cas à la Villette, « où l’on ouvre les portes, on enlève les grilles, les entrepôts ». Il s’agit de permettre, à l’instar du génie haussmannien, de rendre le tissu urbain capable de s’adapter à l’évolution des usages, inconnus et futurs.

Nicolas Starkman, Dominique Alba, Christiane Blancot et François Grether. © Jgp

2001/2024 La ville durable, l’ambition olympique

Les années 2000 seront marquées par le vote de la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU) qui introduit l’obligation pour chaque commune de compter au moins 20 % de logements sociaux. C’est également l’émergence « de la nécessité environnementale », comme l’a rappelé Dominique Alba. « C’est une période marquée par l’introduction de la qualité là où les systèmes urbains étaient plutôt dirigés par du quantitatif », poursuit l’actuelle directrice générale de l’Apur.

Carte des ménages en 1999 © Apur

Le plan d’aménagement et de développement durable (PADD) de la ville entend améliorer le cadre de vie, réduire les inégalités, et développer la coopération intercommunale. « Nous souhaitons alors placer Paris métropole au cœur de l’agglomération », rappelle Dominique Alba.

« C’est une période marquée par l’introduction de la qualité là où les systèmes urbains étaient plutôt dirigés par du quantitatif », poursuit l’actuelle directrice général de l’Apur. © Jgp

L’Apur travaille, au cours de ces années, à une meilleure connaissance de la population, de ses familles, des personnes handicapées ou exclues, de ses commerces, avec la naissance d’une base de données dédiée à ces derniers. L’Atelier s’occupe également de la lutte contre l’habitat indigne, alors qu’en 1968, 50 % des logements de la capitale ne disposent pas de WC en leur sein. L’atelier met en place une série d’indicateurs pour prévenir l’habitat indigne et favoriser l’intervention en amont.

Population, gare de l’Est (Paris 10e arr.). © Apur

Un schéma directeur du réseau cyclable, en filiation du plan vélo imaginé quelques décennies plus tôt par Leonor Coutinho est mis en place. « L’Apur met les mains dans le cambouis, regarde les choses de près », souligne Dominique Alba. Bertrand Delanoë souhaite fermer les berges rive droite à la population ?  « C’est sans doute un peu tôt, lui répond l’Apur, qui lui propose alors de fermer plutôt celles de la rive gauche ». L’atelier « ne se sent pas déjugé parce que nous travaillons désormais moins sur le forme urbaine, et davantage sur l’adaptation de la ville à la question climatique », conclut Dominique Alba.

L’heure des Jeux

Patricia Pelloux, directrice adjointe de l’Apur, a présenté les travaux menés par l’atelier dans le cadre des quatre candidatures de Paris à l’organisation des Jeux olympiques. Elle a rappelé que l’organisation des JO de 2024 par Paris s’appuiera essentiellement sur des équipements existants, puisque le centre nautique construit à Saint-Denis, près du Stade de France avec lequel il sera relié par une passerelle le désenclavant, constituera le seul équipement réellement nouveau. Les cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux auront lieu au Stade de France, le beach volley au Champ de Mars, la boxe et le tennis à Roland-Garros, le cyclisme sur les Champs-Elysées, le tir à l’arc à l’Arc de Triomphe, etc.

Patricia Pelloux, directrice adjointe de l’Apur, a présenté les travaux menés par l’atelier dans le cadre des quatre candidatures de Paris à l’organisation des Jeux olympiques. © Jgp

Les 17 000 sportifs auront leur cantine à la Cité du cinéma, tandis que le Village olympique sera construit à Saint-Denis, dans le quartier de Pleyel bord de Seine. Un village olympique en forme de démonstrateur de la ville durable, puisque chacun de ses logements disposera de 15 m2 de terrasse végétalisée, que 100 % de ses matériaux seront biosourcés, zéro déchets, etc.

Un exemple de grand site temporaire iconique : les Champs-Elysées. © Paris2024 – Luxigon

Quant au Village des médias, il trouvera place au centre des expositions du Bourget, « qui a fait la preuve de son efficacité lors de la COP21 ». Le Village des médias s’appuiera sur un projet préexistant de couture entre Dugny et Le Bourget conduit par l’agence TVK et Urbanera, en lien avec l’établissement public territorial Terres d’envol.

2024/2067 L’avenir métropolitain

Pour conclure, Jean-Louis Missika a égrainé les défis futurs. 300 millions de migrants climatiques sont attendus au cours des décennies à venir. « Les villes-mondes sont les sismographes des difficultés du temps, d’une complexité folle », a poursuivi l’adjoint d’Anne Hidalgo. « Si la planification urbaine s’est longtemps intéressée à l’espace, elle doit davantage s’intéresser à l’espace-temps, à court, moyen, long et très long termes », a poursuivi Jean-Louis Missika. Ce dernier a évoqué les Grands voisins, à Saint-Vincent-de-Paul, initiative d’urbanisme temporaire dont s’inspirera l’aménagement futur du site.

Jean-Louis Missika a égrainé les défis futurs. 300 millions de migrants climatiques sont attendus au cours des décennies à venir. © Jgp

Il a cité également l’hypothèse d’un urbanisme piloté par les données, à l’instar de l’expérience menée sur la place de la Nation bardée de capteurs en amont de sa rénovation. Avant de décrire les bouleversements urbains que va provoquer l’avènement de la voiture autonome, la « mobility as a service » (MAAS) « puisque les véhicules dotés d’un pilote auront disparu en 2050 ».

« La planète abritera dix milliards d’êtres humains en 2050 », a enchaîné Carlos Moreno, scientifique franco-colombien. Avec une croissance comparée de la population urbaine entre le nord et le sud vertigineuse. Ainsi, par exemple, l’augmentation de la population de Lagos, (Nigéria), s’élève à 85 habitants par heure, contre moins d’un habitant/heure dans les métropoles européennes (20 hab/h à New York).

La ville du quart d’heure

Benoît Quignon, DG de SNCF Immobilier, a décrit les tensions entre un allongement des distances virtuelles permis par la digitalisation du monde et l’envie des habitants de vivre « dans la ville du quart d’heure », où tout est disponible autour de soi. « Deux tendances qui se combinent pour aboutir à des formes de déplacement plus intenses. »

Benoît Quignon, DG de SNCF Immobilier, a décrit les tensions entre un allongement des distances virtuelles permis par la digitalisation du monde et l’envie des habitants « de vivre dans la ville du quart d’heure ». © Jgp

Le DG de SNCF Immo a évoqué les difficultés à la fois techniques et politiques qui se posent lors des mutations du foncier ferroviaire, évoquant un urbanisme de l’accompagnement des projets des élus mais aussi un urbanisme de la ressource, utilisant, recyclant le patrimoine existant dans les projets d’aménagement futurs.

Enfin, Valérie Mayer-Blimont, conseillère métropolitaine déléguée auprès du président, en charge du projet « Inventons la métropole du Grand Paris » et vice-présidente de l’Apur, a rappelé que la métropole prendrait au 1er janvier prochain la compétence aménagement.

Valérie Mayer-Blimont, conseillère métropolitaine déléguée auprès du président, en charge du projet « Inventons la Métropole du Grand Paris »,  vice-présidente de l’Apur. © Jgp

« Nous avons voulu, avec « Inventons la métropole du Grand Paris », aller sur les territoires pour construire une métropole qui s’adresse à ses citoyens », a souligné l’élue, insistant sur la nécessaire « perméabilité des espaces, qui passe par une mobilité renforcée ».

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