Suspension des chantiers : qui va payer l’addition ?

Des tensions apparaissent entre maîtres d’ouvrage et constructeurs à propos de la prise en charge du coût de suspension des chantiers. Avec, en filigrane, un débat sur la portée juridique du guide de préconisation de sécurité sanitaire publié par l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP).

Pour Jean-Luc Tuffier, le président de la Fédération française du bâtiment Grand Paris, les choses sont claires. Il revient au maître d’ouvrage, compte-tenu du Covid-19, de prendre l’initiative de réunir les différentes parties prenantes d’un chantier, afin de lister les conditions de mise en œuvre des consignes de sécurité sanitaire précisées par le guide de préconisation de l’OPPBTP. Et si le maître d’ouvrage ne s’acquitte pas de cette obligation, clairement fixée par ce même guide, alors il porte la responsabilité pleine et entière de la suspension du chantier, et de son coût.

Des tensions apparaissent entre maîtres d’ouvrage et constructeurs à propos de la responsabilité du gardiennage des chantiers pendant leur suspension.© Jgp

« La responsabilité de la sécurisation et du gardiennage du chantier doit être discutée entre le maitre d’ouvrage et l’entreprise mandataire, insiste Jean-Luc Tuffier. Pour essayer de faire simple : ce guide est valable car il a été validé par les ministères, poursuit le président de la FFB Grand Paris. Les problématiques de gardiennage n’y sont pas évoquées. Cela fait donc partie des éléments qui restent à discuter. Le coût du gardiennage rentre dans les coûts globaux mais il faut en parler dans le cadre de cette négociation de départ entre l’entreprise et la maîtrise ouvrage (MOA) pour savoir qui prend en charge ces coûts supplémentaires. Et si ses juristes ne font pas ce qui est écrit dans le guide, c’est la MOA qui est responsable ».

« Le guide n’aura aucun poids devant un tribunal »

Sauf que pour certains, les choses ne sont pas si évidentes. « Nous avons de nombreux appels de nos clients qui nous demandent qui doit assumer le gardiennage des chantiers suspendus, indique Me Yamina Zerrouk, associée en charge du département droit public et immobilier au sein du cabinet Sekri Valentin Zerrouk. Au-delà du coût d’un agent de sécurité pour assurer le gardiennage des ouvrages, c’est la responsabilité d’éventuels accidents que les maîtres d’ouvrage ne veulent pas assumer », indique l’avocate.

Me Yamina Zerrouk, associée en charge du département droit public et immobilier au sein du cabinet Sekri Valentin Zerrouk.©DR

Or, selon la juriste, le guide de préconisation de l’OPPBTP n’aura aucun poids devant un tribunal, lorsque les contrats conclus avant l’épidémie prévoient, comme c’est la règle, que la sécurisation des chantiers relève de l’entreprise ayant décroché le contrat de construction. Plusieurs juristes interrogés partagent cette conviction. Mais Jean-Luc Tuffier demeure absolument formel : « ces juristes se trompent. Le guide de préconisation de sécurité sanitaire de l’OPPBTP a été validé par les ministères de la Transition écologique et solidaire, de la Ville et du Logement, des Solidarités et de la Santé, et du Travail, rappelle-t-il. Et le préfet de région m’a confirmé qu’il servirait de référence aux inspections du travail de l’ensemble des Direccte ».

« Le débat ne se limite d’ailleurs pas au gardiennage, souligne un expert : il s’étend possiblement à tous les frais possibles induits par la crise sanitaire, et ensuite en conséquence de celle-ci. Cela peut être aussi bien les frais de gardiennage que le surcoût de main-d’œuvre (allongement de temps passé pour réaliser des tâches du fait des mesures de distanciation sociale) voire de variation de coûts des matériaux en raison de difficultés de production ou d’acheminement, etc. Officieusement, certaines fédérations préconisent à leurs adhérents que tous les contrats et marchés avec les maîtres d’ouvrage doivent être revalorisés de l’ordre de + 10%, par avenant. C’est bien pourquoi le débat se tend à ce point entre maîtrises d’ouvrage publiques (comme les EPA) ou privées (comme les promoteurs) et les entreprises… », poursuit-il.

« Nous invoquerons la force majeure »

« A l’évidence, nous sommes plus à l’aise si le maître d’ouvrage nous a adressé un ordre de service d’ajournement, puis un ordre de service de redémarrage, indique le président d’une grande entreprise de travaux publics. Mais en l’absence de tels documents, et si le maître d’ouvrage refuse de prendre en charge les coûts liés à la suspension des travaux, il nous restera l’invocation du cas de force majeure, poursuit le chef d’entreprise. Et si l’extériorité et l’imprévisibilité, deux de ses trois conditions, ne sont pas discutables, l’irrésistibilité pourra également être démontrée, ne serait-ce qu’en raison de l’absence de masque », estime-t-il.

Les préconisations du guide de l’OPPBTP

« Pour chaque opération, quelle que soit sa taille, le maître d’ouvrage formalise, après analyse, le cas échéant par le maître d’œuvre et le coordonnateur de sécurité et de protection de la santé (lorsque l’opération est soumise à ce dispositif), en accord avec les entreprises intervenantes, une liste des conditions sanitaires afin de s’assurer que les différents acteurs pourront mettre en œuvre et respecter dans la durée les directives sanitaires générales et les consignes complémentaires édictées dans ce guide. Cette analyse prendra en compte :

  • la capacité de toute la chaîne de production de reprendre son activité (maître d’œuvre, coordonnateurs SPS, bureaux de contrôle, sous-traitants, fournisseurs, transporteurs…)
  • les conditions d’intervention extérieures ou intérieures,
  • le nombre de personnes sur le chantier,
  • la coactivité. (…)

Pour les cas où les conditions particulières liées à l’épidémie de Covid-19 induiraient des retards de chantiers ou de livraisons de l’ouvrage, du fait de l’impossibilité de mettre en œuvre les dispositions prévues, le Gouvernement prendra par ordonnance les mesures nécessaires afin de prévoir, le cas échéant, de renoncer aux pénalités applicables aux fournisseurs, intervenants du chantier et maîtres d’ouvrage privés, pour une période tenant compte de la durée de la période d’urgence sanitaire. Ces mesures viendront compléter celles déjà prises par les ordonnances du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique »

 

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