Faut-il opposer recyclage et réemploi des matériaux issus des déconstructions de bâtiment ? Certainement pas. Les deux approches sont complémentaires et répondent à des problématiques différentes selon les chantiers. Décryptage.
Dans le secteur du bâtiment, il convient de distinguer les produits de construction standard comprenant les matières premières initiales et secondaires (produites à partir de déchets transformés) des matériaux non standard, c’est-à-dire biosourcés, géosourcés et issus des filières du réemploi. Le réemploi consiste à donner une seconde vie à des produits provenant de chantiers de déconstruction et limiter ainsi la production de déchets. « Dans les filières du réemploi, le matériau n’est pas considéré comme un déchet, précise Julie Benoit, architecte chez Bellastock. Recyclage et réemploi se complètent, chaque solution s’adaptant au cas par cas. »

Situé à L’île Saint-Denis, le laboratoire manifeste du réemploi de Bellastock préfigure la ZAC du futur écoquartier fluvial en expérimentant des prototypes d’aménagement à partir de matériaux réemployés. © Bellastock/C. Guillaume
L’association parisienne Bellastock et le groupe belge Rotor en ont fait l’un de leurs business. « Nous sommes partis du constat que le bâtiment produisait beaucoup de déchets », argue Renaud Haerlingen, cofondateur de Rotor déconstruction créé en 2013. « Pour les réduire, nous avons créé cette entreprise de démontage et de revente via une plateforme web. » Sanitaires, luminaires, céramiques, serrurerie, parquet, mobiliers… le magasin en ligne de Rotor est une caverne d’Ali Baba qui a réalisé un chiffre d’affaires d’un million d’euros en 2016. Certains de ces matériaux proviennent du chantier en cours sur la caserne de Reuilly à Paris (12e arr.), sur lequel Rotor est intervenu à la demande de Paris habitat en tant qu’assistant à maîtrise d’ouvrage en réemploi.
L’opportunité des gares du GPE
Tout l’enjeu pour les professionnels du réemploi consiste à intervenir très en amont de la déconstruction, de manière à réaliser l’inventaire des matériaux et éviter leur détérioration. « Nous établissons un plan de réemploi qui détaille les produits pouvant être réutilisés sur le site − et qui devront être protégés lors des travaux − et ceux qui ne le seront pas mais qui présentent une valeur économique », développe Renaud Haerlingen, tout en prévenant que « la réutilisation in situ n’est pas toujours pertinente » et peut faire l’objet de blocages. « Les lieux publics peuvent, en revanche, être un excellent déclencheur à l’instar des gares », ajoute ce dernier. Il voit dans le Grand Paris express et ses 68 nouvelles gares une excellente opportunité pour booster la filière du réemploi qui se heurte à certains écueils.
Outre le manque d’expertise sur le terrain pour démonter les produits sans les altérer, les artisans ne sont pas suffisamment formés aux techniques du réemploi. « Nous sensibilisons les professionnels y compris les architectes en tant que prescripteurs, ainsi que les collectivités locales pour les inciter à développer des filières du réemploi dans le cadre d’une démarche d’économie circulaire », fait valoir Julie Benoit. Une expérimentation menée sur l’opération Anru du Clos Saint-Lazare à Stains (Seine-Saint-Denis) a démontré la fiabilité du réemploi de béton issu de la déconstruction pour réaliser, sur place, un local à vélo. « Les déchets ont été réduits de 20 % et le chantier a généré de l’activité aux bénéfices des habitants », résume l’architecte de Bellastock. Le développement des filières du réemploi présente, de plus, l’avantage de réduire l’empreinte carbone des bâtiments en limitant l’utilisation des ressources, et pourrait devenir, à terme, une alternative à l’augmentation du prix des matières premières.
Le Grand Paris à l’heure de l’économie circulaire
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