N. Buchoud : « La durabilité des investissements du Grand Paris mérite d’être interrogée en permanence »

Nicolas Buchoud présente les thèmes du 8° Forum du Cercle Grand Paris de l’Investissement Durable, qui se tient le 1er octobre 2019, en partenariat avec la Société générale. Une rencontre qui associe praticiens et experts français et internationaux sur le thème du « Metropolitan Impact » et qui proposera des pistes pour une gouvernance plus efficace face aux risques d’un développement métropolitain qui renforce les inégalités socio-territoriales. 

Quelle est la vocation du Cercle Grand Paris de l’investissement durable ? 

La vocation du Cercle Grand Paris, fondé en 2011, était de comprendre ce qui, dans les dynamiques métropolitaines, permet de créer de la valeur mais aussi de la partager plus équitablement entre les habitants et les territoires. La question du développement durable figure également au cœur de nos préoccupations. Les villes sont des acteurs à la jonction de la vie quotidienne et des flux de la globalisation.

Notre conviction, celle des membres et partenaires du cercle, c’est qu’il n’y a pas de développement durable sans investissements durables. Sans acteurs financiers, investisseurs, prêteurs, qui eux-mêmes agissent pour le développement durable. Autrement dit, il n’y a pas, pour nous, d’un côté des acteurs publics qui seraient vertueux et de l’autre des acteurs privés qui ne le seraient pas. C’est bien dans le partage de convictions que l’on peut trouver une voie de passage.

Nicolas Buchoud, président du Cercle Grand Paris de l’investissement durable. © Jgp

Qui sont les membres du cercle ? 

Nous bénéficions de l’expertise d’usage, opérationnelle, de haut niveau, d’acteurs économiques, sociaux, territoriaux, académiques, français et étrangers. De grands acteurs privés, des multinationales françaises côtoient ainsi des acteurs des solidarités, tels que Habitat et humanisme, Caritas France ou la Société de Saint-Vincent de Paul. Dernièrement, nous avons entamé un échange avec ATD-Quart-Monde, qui a réalisé un travail très innovant sur les dimensions cachées de la pauvreté. Nous menons par ailleurs une réflexion active, depuis de nombreuses années, avec des acteurs qui constituent eux-mêmes des réseaux, je pense notamment au Conseil international pour la biodiversité dans l’immobilier (Cibi).

Depuis les lendemains de la COP21, le cercle joue le rôle d’un think tank neutre et indépendant sur les questions urbaines et métropolitaines contemporaines. Nous nous appuyons sur les transformations profondes du Grand Paris pour comprendre les dynamiques d’investissement à l’œuvre dans le domaine des infrastructures et plus généralement, de la ville durable.

Quel est le programme du 8° Forum international du Cercle, qui se tiendra le 1er octobre prochain ?

Ce Forum revêt une importance particulière. L’an dernier, nous avons engagé un travail avec le programme urbain du Global Compact, mais aussi dans le cadre du T20, le groupe d’engagement des think tanks du G20 et du sommet Global solutions de Berlin. Il y a des retombées et des suites. Nous souhaitons en partager les fruits et aller plus loin.

J’ai proposé de croiser investissement responsable et enjeux métropolitains autour de quatre points : attractivité et inclusion, la gestion des ressources et la transformation de l’innovation, à la fois dans les territoires et plus globalement, dans les dynamiques d’investissement. On parle beaucoup d’attractivité, et l’enjeu est important, mais les indicateurs disponibles montrent qu’une grande partie des attendus socio-territoriaux du Grand Paris ne sont pas atteints. Quelle est la qualité et la localisation des emplois créés ? Plus on entre dans la réalisation des grands investissements, plus les projets définis depuis 2010 sont mis en œuvre, plus l’absence d’outils de régulation à la hauteur est sensible. Que ce soit en matière de logements ou de foncier, nous ne sommes pas toujours en capacité, collectivement, d’apporter des réponses adaptées en matière d’équilibres sociaux et territoriaux.

Ma conviction personnelle, c’est que, davantage qu’il y a une dizaine d’années, Paris et le Grand Paris sont pleinement insérées dans la globalisation, mais que cela heurte de plein fouet l’armature, l’équilibre de l’organisation des territoires. A nos yeux, l’organisation actuelle du Grand Paris n’est pas adaptée à sa globalisation. La question de l’acceptabilité, de la durabilité des investissements du Grand Paris mérite d’être posée en permanence.

Sur quelles réalités étayez-vous cette conviction ? 

Une addition de constats. Ceux développés l’an dernier dans le cadre de l’initiative « Crises de la ville, futurs de l’urbain » et du colloque que nous avions organisé à Cerisy avec Suez, le Cercle Colbert et la chaire des mutations de l’action publique de Sciences Po. Ceux du « groupe de Bobigny » sur l’innovation sociale, travail engagé là encore en 2018. Ceux de l’initiative internationale Affordable metropolis sur le logement, que nous avons entrepris lors du dernier forum urbain mondial et qui a fait l’objet d’un premier rapport présenté lors du dernier Mipim.

Nicolas Buchoud, président du Cercle Grand Paris, avec Michael Nolan, directeur, UN Global Compact Cities program (Melbourne) et Jesper Nygard, directeur général de Reldania (Copenhague) lors du lancement du projet « Affordable Metropolis » (Forum Urbain Mondial de Kuala Lumpur, Février 2018) © DR

Je suis tombé tout récemment sur l’annonce d’une visite du site de l’écoquartier des Batignolles, émanant d’un cabinet de consultants indiens, qui expliquait en anglais à ses prospects à quel point ce projet était exemplaire en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Avec les mêmes éléments de langage que pour des projets similaires menés à Dubaï, New York ou Shanghai. Il y a une dizaine d’années, ce type d’initiatives, pour ce qui est de l’Europe, aurait plutôt concerné Londres. Aujourd’hui, les choses se passent à Paris. C’est une très bonne nouvelle.

Par ailleurs, depuis des années, les grands groupes de services urbains et de génie civil déploraient de ne pas pouvoir exposer leur savoir-faire en France faute de grands projets démonstrateurs à la hauteur et à la taille de leur expertise. Là aussi, c’est désormais le cas et c’est indéniablement positif.

En résumé, nous aurions envie d’entendre des responsables politiques aussi offensifs dans le champ social que dans le domaine de l’attractivité, de la communication et de la valorisation parfois un peu artificielle des start-up.

Vous plaidez pour une maîtrise d’ouvrage plus collective ? 

Mais la maîtrise de la globalisation suppose aussi une capacité de maîtrise d’ouvrage collective très forte, pour répondre aux phénomènes qui en découlent. L’émergence des locations touristiques de courte durée, qui alimente une spirale inflationniste dans Paris fournit un bon exemple de la nécessité de cette régulation, tout comme le fait que les territoires du Grand Paris suscitent l’appétit croissant des investisseurs internationaux.

En résumé, nous aurions envie d’entendre des responsables politiques aussi offensifs dans le champ social que dans le domaine de l’attractivité, de la communication et de la valorisation parfois un peu artificielle des start-up. Le risque est un affaiblissement de la gouvernance francilienne, avec des territoires infra-métropolitains qui cherchent soit à se protéger, soit à renforcer encore leur attractivité, sans qu’il n’y ait de lieux de régulation autres que des chambres d’enregistrement, donnant lieu à un exercice de communication permanent pour éviter l’emballement d’éventuelles contestations…

Vous soulignez également la nécessité de s’intéresser aux métropoles de moindre taille ? 

Depuis une dizaine d’années, nous vivons avec le mythe des global cities, de l’effet métropolitain comme accélérateur quasi automatique de croissance. Mais depuis quelques années, on s’aperçoit que l’essentiel de la croissance urbaine a lieu dans des territoires métropolitains rassemblant entre 500 000 et 1 million d’habitants, qui ne disposent pas non plus de forme de gouvernance adaptée. Il existe un millier de métropoles de plus de 500 000 habitants à travers le monde, ces questions concernent plus d’un milliard d’habitants.

Je soulignerais, enfin, le risque toujours plus grand de déconnexion entre les territoires urbains et ruraux. Il manque aujourd’hui, un liant, un projet commun, une ambition, pour accompagner le développement métropolitain. La mise en œuvre concrète des objectifs de développement durable (ODD) et de l’Agenda 2030 dans les territoires est une piste de travail intéressante mais négligée à ce jour dans le Grand Paris. Or sans une maîtrise concertée de la globalisation, sans une meilleure articulation entre digitalisation, innovation, inclusion, nous risquons de perdre une partie de notre destin commun.

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