Les 1 000 vies de Grand Paris Aménagement (1/7)

Fondée en 1962 pour constituer les réserves foncières requises pour bâtir les villes nouvelles d’Ile-de-France puis son programme de grands ensembles, l’Agence foncière et technique de la région parisienne (AFTRP), devenue Grand Paris Aménagement, fête ses 60 ans. L’histoire de cet aménageur protéiforme n’a rien d’un long fleuve tranquille. Elle reflète et incarne l’évolution de l’urbanisme en Ile-de-France. Premier épisode d’une série de sept articles, réalisée en partenariat avec Grand Paris Aménagement.

Une autre époque. Lorsqu’en 1962, l’Agence foncière et technique de la région parisienne (AFTRP) est créée, c’est l’Etat et ses grands serviteurs qui décident des contours de l’urbanisation parisienne. L’heure est à la planification, aux vastes schémas nationaux. Et, en l’occurrence, à la création de cinq villes nouvelles en Ile-de-France (Evry, Marne-La-Vallée, Sénart, Saint-Quentin-en-Yvelines et Cergy-Pontoise) pour tenter de freiner la croissance endémique de la Capitale. C’est la période du plan d’aménagement et d’organisation générale de la région parisienne (Padog), prescrit par le général de Gaulle en 1958, auquel se substituera le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région de Paris (Sdaurp), élaboré en 1965 sous la direction du préfet Paul Delouvrier.

Paul Delouvrier. © Jean Bruchet – L’instittut Paris Region. © Jgp

« Il existe alors en Ile-de-France un besoin criant de logements, mais aussi d’équipements », souligne le sociologue spécialiste des politiques urbaines Renaud Epstein. Les dommages causés par la Seconde Guerre mondiale, puis la conjugaison du babyboom et de l’exode rural, auxquels s’ajoute le rapatriement des pieds-noirs, l’expliquent : il faut construire vite et beaucoup. Et tenter de rééquilibrer la croissance démographique du pays. « La création des villes nouvelles en Ile-de-France sera le pendant de celle des métropoles d’équilibre en France, dessinées à l’échelle nationale par la Direction de l’aménagement du territoire et de l’action régionale (Datar) », poursuit Renaud Epstein.

Acheteur foncier

Dès l’origine, l’Agence foncière et technique de la région parisienne, dont Jacques Saunier a pris la direction, peut exercer différents métiers : opérateur foncier, aménageur, assistant à maître d’ouvrage ou conducteur de grands équipements publics. Mais la constitution de réserves foncières représente sa mission première. « Aujourd’hui encore, la direction foncière demeure la plus étoffée de l’établissement », souligne son président, le vice-président du conseil régional en charge de l’aménagement, maire (UDI) de Mennecy (Essonne), Jean-Philippe Dugoin-Clément.

Jean-Philippe Dugoin-Clément. © Jgp

Outre les villes nouvelles, l’AFTRP a également vocation à constituer les réserves nécessaires à la construction des grands ensembles qui entoureront Paris, dans le droit fil du plan Courant de 1953, qui prévoit la construction de 240 000 logements par an en France.

Pour acquérir ces fonciers, des professionnels possédant à la fois une parfaite maîtrise des procédures d’urbanisme, mais aussi un sens aigu de la négociation sont requis. Et, 20 ans avant les premières lois de décentralisation, les outils et les compétences disponibles en la matière sont rares. « Si l’achat de foncier est plus simple en grande couronne pour les villes nouvelles, où il s’effectue auprès de grands propriétaires terriens, tel n’est pas le cas en petite couronne, où les emprises sont fractionnées, souvent détenues par des copropriétés nombreuses », souligne Renaud Epstein. L’AFTRP atteint rapidement sa vitesse de croisière. En 1969, elle a acquis 16 % de la superficie des cinq villes nouvelles, soit 2 844 ha, qui permettront à terme la construction de 145 000 logements.

Taylorisation de la construction

« Dans les grands ensembles, l’AFTRP, de même que d’autres outils de l’Etat, sont également à la manœuvre », indique le sociologue. Dans de nombreux cas, l’agence s’assure de la maîtrise du foncier, puis deux émanations de la Caisse des dépôts, la Scet (Services, conseil, expertises et territoires) pour l’ingénierie et la Scic (Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts, futur Icade) pour la coordination des programmes, prennent le relais.

Renaud Epstein. © DR

Le secteur du BTP vit encore largement comme au XIXe siècle, sans majors, mais avec une myriade d’artisans et des techniques de construction inchangées. Les réserves foncières constituées par l’AFTRP vont être le théâtre d’une industrialisation sans précédent de la construction de logements, notamment sociaux, qui passe par sa standardisation. Les bâtiments, préfabriqués, sont assemblés sur place. « L’image des chemins de grue, des rails sur lesquels on pose les élévateurs, ces derniers reproduisant tous les 10 ou 20 m les mêmes réalisations, reflète ce changement d’époque », note Renaud Epstein.

Dès 1969, le conseil d’administration de l’AFTRP réoriente ses actions vers les collectivités territoriales, les projets de plus court terme et l’opérationnel. Les missions de l’agence se diversifient. Ses acquisitions foncières doivent viser en priorité les terrains constructibles susceptibles d’être confiés rapidement à des promoteurs, dans le cadre de zones d’aménagement concerté (ZAC). Créée en 1967, cette procédure nouvelle ouvre la voie à un urbanisme plus serré, à taille plus humaine et, déjà, plus soucieux de mixité des usages. Elle remplace celle des ZUP (zones à urbaniser en priorité) trop souvent décidées à l’encontre des élus locaux. « Jusque-là, l’Etat était souvent seul maître du jeu », rappelle Renaud Epstein.

De 1972 à 1981, l’établissement maintient un rythme élevé d’acquisitions foncières, de 2 000 ha par an en moyenne, mais progressivement décroissant. Dès 1976, l’AFTRP a équilibré ses activités entre les achats de terrains et la réalisation d’opérations pour le compte des collectivités territoriales auprès desquelles elle intervient de plus en plus en tant qu’aménageur. La décentralisation engagée à cette époque accentue cette tendance. A Enghien-les-Bains, Chanteloup-les-Vignes, Chelles, Bois d’Arcy, Châtenay-Malabry, Triel-sur-Seine, Villemoisson-sur-Orge, Rungis…, l’agence conduit des opérations de ZAC à la demande des maires, ou avec leur accord, de gré à gré. Elles portent sur des restructurations de centres-villes, des extensions de communes, la création de parcs d’activité ou de quartiers mixtes.

Les autres aménageurs y voient parfois une concurrence déloyale. « Longtemps l’AFTRP intervient en tant qu’aménageur sur des terrains acquis pour le compte de l’Etat, ce qui lui est parfois reproché, cela pouvant être considéré comme faussant la concurrence », indique François Delarue, directeur général de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction de 2000 à 2005, et PDG de l’AFTRP de 2006 à 2013. L’agence cède pourtant en permanence des droits à construire à des opérateurs semi-publics ou privés, voire le foncier lui-même.

Le centre d’information de l’Epévry dans l’Agora de 1975 à 1984. © Document mémoire n° 10 janvier 2009

Démolition d’un immeuble, rue des Bosquets à Montfermeil. © GPA

Aménagement d’un plan d’eau à Jabline. © Jean Bruchet / L’institut Paris Region

Au fil des années, l’AFTRP développe ses interventions pré-opérationnelles, l’assistance à maîtrise d’ouvrage pour la réalisation d’aménagement et d’équipements publics. L’établissement réalise des missions foncières pour le compte de l’Etat ou des collectivités, au premier rang desquelles la Région, au travers de son Agence des espaces verts (AEV), pour la réalisation des grandes bases de loisirs notamment. De 1969 à 1990, il est l’opérateur foncier unique des bases de plein air et de loisirs de Bois-le-Roi, Buthiers, Cergy/Neuville, Créteil, Draveil, Etampes, Jablines, Mantes-la-Jolie, Moisson, Vaires-sur-Marne/Torcy, Verneuil-sur-Seine et Viry-Châtillon.

Protéger le cadre de vie des Franciliens

L’agence protège également le cadre de vie des Franciliens. Ainsi, par exemple, à la fin des années 1960, elle désamorce l’urbanisation des 1 800 ha des bois de l’Est parisien du Val-de-Marne et de Seine-et-Marne près de l’actuelle station du RER A de Boissy-Saint-Léger. Des promoteurs ont acheté une partie des bois Notre-Dame et de la Grange et du parc de Grosbois, prévoyant la construction de 30 000 logements, ainsi que la destruction d’un tiers des espaces boisés. L’AFTRP rachète ces emprises et offre aux groupes immobiliers concernés des terrains constructibles dans les villes nouvelles.

C’est également pour protéger le cadre de vie des Franciliens que l’agence a acquis en 1967, mandatée par le ministère de l’Agriculture, le massif des Trois pignons, un ensemble de 2 500 ha de bois, de landes et de rochers, situés au sud-ouest de la forêt de Fontainebleau, traversé par l’A6. En préservant ces grands massifs forestiers, l’agence permet, c’est peu connu, de bannir l’urbanisation de certains secteurs franciliens, avec un double objectif : préserver les espaces naturels et les ouvrir au public.

« Ce rôle particulier de l’AFTRP au sein de la région Ile-de-France, structurant dans l’aménagement de l’espace, est comme un contrepoids au développement du bâti des villes nouvelles, souligne Stéphan de Faÿ, actuel directeur général de Grand Paris Aménagement. Il est d’ailleurs toujours d’actualité avec des opérations visant à renaturer et créer des espaces naturels sensibles, représentant des dizaines d’hectares en milieu urbain dense comme La Corniche des Forts à Romainville (Seine-Saint-Denis), les berges de l’Yerres à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) pour le compte de l’EPA Orly Rungis Seine Aval, ou à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) pour le compte de l’EPT Terres d’Envol ».

Relancer l’offre foncière

Une politique de relance de l’offre foncière, pour stimuler la construction déclinante, caractérise également l’action de l’AFTRP à la fin des années 1980. C’est l’époque de l’acquisition des fonciers nécessaires pour bâtir Eurodisney à Marne-la-Vallée (1987). L’établissement reçoit également le mandat du conseil régional pour intervenir dans le cadre de son programme de construction de lycées. L’agence continue de diversifier son activité, et ses mandants, parmi lesquels, outre un nombre croissant de communes, on compte le Port autonome de Paris, le Syndicat des transports d’Ile-de-France (Stif, devenu Ile-de-France mobilités) et même, hors de l’Ile-de-France, l’EPF Paca ou celui de Guyane. Elle réalise également de nombreuses zones et parcs d’activités, à l’image d’un de ses fleurons, Paris Nord 2 (voir par ailleurs).

Les présidents de l’AFTRP/ Grand Paris Aménagement

  • 1962-1964 : Jacques Saunier
  • 1965-1973 : Guy Lamassoure
  • 1973-1978 : Francis Graëve
  • 1979-1980 : Jean-François Saglio
  • 1981-1984 : Claude Rattier
  • 1985-1986 : Guy Pellenec
  • 1987-1989 : Jean-Pierre Duport
  • 1990-1993 : Georges Constantin
  • 1994-1996 : Claude Robert
  • 1997-2002 : Bernard de Korsak
  • 2003-2006 : Bruno Verdon
  • 2006-2013 : François Delarue
  • 2013-2018 : Thierry Lajoie
  • 2018-2021 : Valérie Pécresse
  • Depuis 2021 : Jean-Philippe Dugoin-Clément

1. Stains – Cité du Moulin Neuf – Enfants dans l’entrée d’un immeuble. – 2. Sarcelles – Zone d’urbanisation nouvelle. 3. Evry – Maquette du futur centre de la ville nouvelle. 4. Evry – Vue aérienne du futur centre d’Evry avec les chantiers de construction de la Préfecture et du quartier Champtier du Coq et/ou du Parc aux Lièvres, de part et d’autre de la RN7. 5. Sarcelles – Voie d’accès au centre commercial régional Les Flanades avec rampe pour voitures d’enfants. 6. Golf de Torcy 7. Evry. Centre d’information. 8. Base de loisirs de Cergy © DR – 9. Les Pyramides, Evry . – 10. Grigny 2. – 11. Aménagement d’un plan d’eau à Jabline – 12. Montfermeil. Démolition d’un immeuble rue des Bosquets.
Crédits : 1,2,3,5,9 11 : © Jean Bruchet/ L’Institut Paris Region – 6, 12 : © GPA – 4 Géoportail, vue de 1971 / Etude « Stratégie centralité coeur d’agglo à l’horizon 2030 Evry-Courcouronnes Eléments d’histoire urbaine » Atelier Xavier Lauzeral – 7 : © Atelier Xavier Lauzeral – 8 © DR – 10 © Jgp

 

Prochain épisode : De la rénovation urbaine au zéro artificialisation nette

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