Dans une interview exclusive accordée au Journal du Grand Paris dans le cadre du Mipim, à Cannes, Stéphan de Faÿ, directeur général de Grand Paris aménagement, décrit les objectifs de l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) de référencement de promoteurs en cours. Il s’agit pour GPA de mieux connaître les opérateurs, d’effectuer une pré-sélection et de définir un socle d’exigences commun à l’ensemble de ses projets.
Quel est l’objectif de cet AMI ? S’agit-il d’une sorte de présélection ?
On distingue deux objectifs : il s’agit d’abord, effectivement, de présélectionner les acteurs avec lesquels nous allons travailler ; ensuite, de définir notre socle d’exigences systématiques. Une opération qui se déroule demain à Provins [Seine-et-Marne], à Aubervilliers [Seine-Saint-Denis] ou à Saint-Cyr-L’École [Yvelines] est une opération Grand Paris aménagement. Il y a donc un minimum d’exigences dans ce que l’on fait et dans la manière de le faire, avec des adaptations locales permettant de tirer la qualité vers le haut. Cela suppose aussi de donner de la lisibilité aux acteurs de la filière (promoteurs, constructeurs, architectes…) pour influencer la façon de construire et d’aménager. Notre taille nous oblige à assurer un rôle exemplaire. Sinon, qui d’autre le fera ?
Vous avez donc en quelque sorte un rôle de prescripteur ?
Exactement. Le questionnaire soumis dans l’AMI comprenait 140 questions fermées, ce qui est assez copieux : cela nous amène à scruter à la fois les relations des opérateurs immobiliers avec les architectes, les entreprises de travaux, leurs modes de commercialisation, les labels utilisés, les stratégies d’innovation, ce en quoi ils croient ou pas… L’un des participants m’a même dit que c’était une véritable psychanalyse du métier de promoteur ! C’est important pour nous que les décisions prises sur notre socle d’exigences s’appuient en partie sur ce retour d’expérience qui nous fait toucher du doigt la capacité des acteurs à tenir des ambitions dans des budgets maîtrisés. Cela ne sert à rien de contribuer à l’inflation des coûts du logement !
Dans l’hypothèse où un promoteur n’est pas retenu, cela implique-t-il qu’il ne pourra plus travailler avec vous durant cinq ans ? Par ailleurs, ce travail est-il totalement exclusif ou allez-vous lancer des appels à projets ouverts ?
A priori, l’objectif que l’on se donne, c’est d’utiliser les résultats de cet AMI pendant deux ans, puis de rouvrir le jeu tous les deux ans. On ajustera le tir en fonction des grandes évolutions, s’il y en a. Globalement, c’est plutôt exclusif : derrière, il n’y a pas seulement le référencement, mais aussi une méthodologie de choix des partenaires. Malgré tout, nous bâtissons à chaque fois la procédure de sélection avec le maire du territoire où l’on intervient. D’ailleurs, sur l’AMI de référencement, il n’y a pas de lauréat à proprement parler. Nous allons élaborer une grille d’analyse multicritères. Beaucoup d’élus se montrent intéressés par cette manière de faire.
Nous nous situons davantage dans une logique d’aide à la décision que dans une logique strictement exclusive. On veut aller au bout de l’analyse, c’est une question de correction. Par ailleurs, il y a un autre enjeu sur cet AMI : jusqu’à présent, 35 promoteurs travaillent avec GPA. Avec cette liste de 160 opérateurs, cela va rebattre les cartes.
Vous demandez une capacité à anticiper sur les réglementations environnementales (RE) et sur leur échéancier. Comment expliquez-vous cette demande ? Est-ce à dire que la réglementation n’est pas assez exigeante ?
La RE est très intelligemment conçue, elle fixe une trajectoire. C’est assez responsable comme manière d’aborder les choses, car on ne peut pas tout transformer du jour au lendemain. Ce débat existe dans la sphère publique, notamment autour de la dépendance collective au gaz : on voudrait se rendre indépendant du gaz russe, mais ça ne se fait pas d’un claquement de doigts. Dans la construction, c’est un peu la même chose. Nous avons demandé aux acteurs où il se positionnaient. Notre socle d’exigences doit être atteignable et pas inflationniste.
Un autre sujet qui nous tient à cœur et qui est un grand absent des réponses concerne la prise en compte de la question de la santé à l’intérieur du logement. Peu d’acteurs se sont saisis de ce sujet, qui me semble pourtant assez important. Notre but est donc d’avoir un socle équilibré et de donner à voir une trajectoire. Par exemple, l’un de nos objectifs est de tendre vers de la construction hors site : cela contribue à la qualité de ce qui est produit, permet de réindustrialiser le grand bassin parisien et de maîtriser les émissions de carbone. Or, si l’on décrète d’emblée que 50 % de notre production est hors site, on n’y arrivera pas. On en a constaté les limites avec la construction en bois pour les JOP. Sur certains projets, on pourra aller plus loin que la RE2020, mais je ne pense pas que notre socle l’exigera.
Quels premiers enseignements se dégagent de cet AMI ?
Nous en sommes encore au début de son analyse et aurons terminé d’ici à juin prochain. Mais certaines thématiques ont déjà été analysées sans toutefois qu’elles aient encore arrêté notre stratégie de positionnement. En premier lieu, nous nous sommes penchés sur la manière dont les opérateurs immobiliers s’approprient le rapport Girometti-Leclercq sur la qualité d’usage du logement. Sans adhérer à toutes les recommandations, les promoteurs se les ont plutôt appropriées. Par exemple, 78 % des participants considèrent important de systématiser les extérieurs pour une bonne qualité d’usage. Sur la taille des logements et des différentes pièces, ce taux tourne autour de 62 %.
A l’autre bout du spectre, les opérateurs sont sceptiques sur le rapport entre qualité d’usage et hauteur sous plafond : 35 % seulement trouvent cela important. Même chose pour le mode constructif, notamment avec la conception en poteaux-poutres plutôt qu’en voile de béton. La lecture que j’en ai, c’est que certains critères sont difficiles à vendre à un acquéreur. Derrière cette adhésion ou pas aux recommandations, j’ai le sentiment qu’il y a aussi le poids du service commercial du promoteur. Quand on considère la capacité des opérateurs à s’engager sur certains de ces aspects, on distingue également les freins qui les en empêchent.

Présentation des premiers enseignements de l’AMI de référencement des promoteur sur le stand de Grand Paris aménagement, mercredi 15 mars 2022, dans la tente Grand Paris du Mipim. © Jgp
Les architectes ont-ils également leur rôle à jouer, l’architecture low-tech étant un facteur de frugalité ?
Absolument. Quand on parle de poteaux-poutres, c’est une micro-révolution, et en même temps j’ai l’intuition qu’il est possible d’obtenir un gros gain pour un investissement plutôt léger. Cela rejoint d’ailleurs la seconde thématique analysée : la relation entre les opérateurs immobiliers et les architectes. A titre personnel, j’ai une position assez militante sur ce sujet. Un architecte qui ne construit jamais perd vite ses compétences. Dans un chantier, il faut régulièrement trouver des pistes d’économie. Quand c’est l‘architecte qui s’en charge et non un tiers, il a plus de chance de garder la cohérence d’ensemble de son projet. C’est très important si l’on veut tirer la qualité vers le haut. Les opérateurs qui disent qu’ils confient systématiquement la mission complète à l’architecte sont 11 %. Il s’agit majoritairement de bailleurs sociaux ou d’investisseurs institutionnels. Pour eux, c’est un gage de qualité et de pérennité du bâtiment construit.
Pour vous, est-ce un critère de sélection important ?
Ce n’est pas un critère car un promoteur qui n’a jamais fait de mission complète peut s’y mettre, mais ce sera sans doute une exigence systématisée dans nos projets de demain. Il y a trop souvent un rapport de force entre promoteur et architecte. Si le promoteur laisse le champ à l’architecte, et que l’on aboutit à un vrai partenariat, cela peut très bien fonctionner.
L’autre enseignement que nous en tirons, c’est que l’on met beaucoup plus d’argent sur la table pour vendre que pour concevoir. En moyenne, les bailleurs sociaux ou les investisseurs institutionnels qui ont répondu mettent entre 20 % et 30 % d’argent supplémentaire sur la phase de conception. Nous devrons probablement être très prescriptifs, peut-être même faudra-t-il poser un taux d’honoraire minimal pour l’équipe de conception. C’est vraiment dans l’intérêt de tous.
Quels autres aspects avez-vous pu analyser ?
Il s’agit d’un sujet à la fois anecdotique, mais très intéressant au vu de la diversité des avis récoltés : la certification et la labellisation. Ce n’est pas qu’un simple tampon supplémentaire sur le papier de commercialisation ! On a vu des stratégies très différentes dans les réponses des participants. Il y a ceux qui considèrent que cela ne sert à rien ; d’autres, plus scolaires, qui maîtrisent les différents dispositifs et les ont intégrés dans le processus de leur entreprise. Il y a aussi des porteurs avec des convictions fortes qui vont jusqu’à combler les déficits des certifications existantes. Une autre catégorie s’inscrit en contre-démarche de labellisation et se montre assez critique. L’un des promoteurs a estimé que c’était une manière de tirer vers le haut des projets médiocres. Ce sont des acteurs très pointus en technicité qui revendiquent des projets incompatibles avec la certification, mais qui vont plus loin que les ambitions de ces labels. Cela nous a intéressés de constater ces diversités de positionnement, plutôt bien argumentées à chaque fois.
Face aux nombreux défis environnementaux, tous les acteurs du monde immobilier se mettent en marche, y compris les promoteurs…
En effet, on sent qu’un mouvement se crée, on est dans la bonne direction. Ma conviction profonde est que cette mutation sera aussi accompagnée de ruptures, par exemple avec le béton qui nécessite du sable, une ressource qui disparait à grande vitesse et détruit les fonds marins. Si on ne tire pas les acteurs publics dans une direction, ils retomberont naturellement car la marge, les banques, la rentabilité font pression… Et on ne peut pas augmenter les prix des logements indéfiniment. Une prise de conscience est amorcée, il ne faut pas laisser retomber le soufflé…

Jean-Philippe Dugoin-Clément, président de GPA, entouré de Stéphan de Faÿ et de Soraya Hamrioui, DGA de Grand Paris aménagement. © Jgp
« En tant qu’aménageur, il est important de repérer les trous dans la raquette, les points forts, de connaître les process, les innovations, de pouvoir se challenger. Cela nous permet de mieux calibrer nos appels à projets en fonction du niveau d’exigence, de l’orientation que l’on souhaite donner à un aménagement, mais également de la réalité de la sortie économique. On a vraiment un volet de connaissance, d’adaptation et de qualification quant à la nature de l’ambition, de la qualité constructive, environnementale et de maintien des prix de sortie, ce qui est un problème majeur en Ile-de-France, y compris quand on fait de la vente à prix fixe. L’autre intérêt est d’éviter que sur des micro-opérations il y ait un surnombre de réponses avec des promoteurs qui ne sont pas sur leur secteur d’activité. On a eu plus de 160 dossiers, provenant de micro-entreprises comme de multinationales, de la petite ou de la grande couronne. Cela nous permet d’avoir une photographie très précise et exhaustive. On scanne de manière très complète les us et coutumes du métier. Je dois dire aussi que cela montre à quel point GPA est un acteur majeur : il y a une véritable appétence de la profession ».