Marion Waller, actuelle directrice générale du Pavillon de l’Arsenal, centre d’architecture de Paris et de la métropole parisienne, livre, dans un essai sobre et précis, les leçons tirées de deux ans durant lesquels elle a été en charge des affaires funéraires au cabinet de la maire de Paris.
La mort a progressivement disparu de nos vies. Or « en bâclant le moment de la mort, nous abîmons les vivants », constate Marion Waller, dans « Redonner une place aux morts » qui vient de paraître (*). L’actuelle directrice du Pavillon de l’Arsenal, qui a été précédemment en charge des affaires funéraires au cabinet de la maire de Paris, raconte d’abord le « quotidien des morts », la multiplicité des demandes des familles. « Nous nous sentons rarement aussi utiles qu’à cette place-là », écrit-elle. L’auteure décrit les lieux de la mort, chambres funéraires, morgues, crématoriums, funérariums, dont elle interroge au passage la froideur et la banalité de l’architecture.
Tout au long de cet ouvrage érudit, à l’écriture épurée et élégante, l’auteure décrit une société qui a progressivement fait de la mort un tabou, évoquant l’anthropologue Geoffrey Gorer qui parle de « pornographie de la mort ».
« On meurt aujourd’hui très seul, même hors Covid. Pour éloigner la mort, nous nous éloignons de nos morts », écrit Marion Waller. Elle décrit la place centrale qu’occupait la mort dans les villes, citant Michel Ragon (**) : « Paris, sans cesse traversé par d’immenses cortèges funèbres, est réveillé chaque matin à quatre heures par la cloche annonçant le chariot qui porte les morts de l’Hôtel-Dieu au cimetière de Clamart ». Le point de bascule se situe dans la période des années 1930 – 1950, « quand la mort se déplace du domicile à l’hôpital ». Marion Waller propose une réflexion sur la réinvention des cimetières et, plus globalement, des rites mortuaires.
Des lieux de vie et de fêtes
Elle rappelle que longtemps, avant que des édits le proscrivent, les cimetières étaient des lieux d’urbanisme vivants, des lieux de vie et de fêtes, de foires, de bals, de jeux de balle, et même de séchage de linge, où l’on croisait des animaux en pâturage. Elle décrit les missions des professionnels de la mort que sont les fossoyeurs, les agents des pompes funèbres, les responsables de cimetières, les thanatopracteurs, les maîtres de cérémonie laïcs. « On ne peut attendre des pompes funèbres ni du maire qu’ils remplacent le rabbin, l’imam ou le curé, et pourtant les mots justes, les histoires, le sens sont essentiels pour accompagner ce passage », écrit l’auteure, citant également Edgar Morin, qui parle d’une « crise contemporaine de la mort », « plus angoissante qu’avant, car elle consacre notre solitude ».
Marion Waller convoque la phylomythologie, qui compare les mythes à travers l’histoire, pour décrire comment, grâce aux rites funéraires, l’être humain crée – ou non – une continuité avec le disparu. Elle rappelle que la mort s’est progressivement démocratisée. Alors qu’avant la Révolution française, la fosse commune est la règle pour le plus grand nombre, l’obligation pour chaque commune d’enterrer ses défunts a changé la donne. Elle décrit les pompes funèbres de la ville de Paris, incarnation de cette démocratisation, implantées au 104 de la rue d’Aubervilliers, aujourd’hui espace culturel, qui employaient plus de 1 000 personnes, avec des écuries pour les chevaux des convois mortuaires, des ateliers de draperies et tapisseries.
Mourir change de sens alors que l’on craint de laisser à nos enfants un monde sans avenir, une planète dégradée, rappelle également l’ouvrage, qui évoque les pistes écologiques du renouveau mortuaire. La corbicyclette, corbillard à vélo inventée par la société Le Ciel et la Terre, hélas interdite en France, tout comme l’humusation, processus naturel de transformation de la matière organique composant le corps des défunts en un humus sain et fertile, figurent parmi les solutions évoquées pour décarboner le deuil.
Marion Waller rend hommage aux associations qui s’occupent des morts invisibles. Elle cite les programmes récents ou à venir qui réinventent les cimetières ou les lieux de cérémonie, inhumation ou crémation. A l’image du cimetière paysager de Clamart conçu par l’architecte et urbaniste Robert Auzelle comme un lieu de déambulation pour les vivants, du projet d’un parc funéraire Porte de la Villette ou de Node, dessiné par Vincent Parreira et Antonio Virga pour la Compagnie de Phalsbourg à la Poterne des Peupliers dans le cadre de Réinventer Paris, qui comprenait un centre funéraire attentif à l’accueil des proches des défunts.
S’inspirant des îles de San Cristoforo et San Michèle à Venise, où Napoléon Bonaparte décida de la création d’un cimetière, accessible en vaporetto, elle imagine des lieux funéraires implantés, demain, sur des îles fluviales, au cœur des villes. Au titre des mémoriaux pour le XXIe siècle, elle cite le jardin mémoriel en hommage aux victimes du 13 novembre 2015, qui sera inauguré en 2025, place Saint-Gervais, en face de l’hôtel de ville de Paris.
(*) Redonner une place aux morts, de Marion Waller, Allary éditions, 157 pages
(*) dans L’espace de la mort