Le Medef Paris a reçu récemment Emmanuel Grégoire pour un débat sur la révision du PLU bioclimatique qui devrait être prochainement adopté en conseil municipal. Marie-Sophie Ngo Ky Claverie, directrice générale du syndicat, estime que les entreprises ne sont pas suffisamment prises en compte, et que la volonté de la municipalité de limiter, voire de réduire la place occupée par le tertiaire, menace l’attractivité de la capitale. L’organisation patronale a élaboré une plateforme de dix propositions, que Le Journal du Grand Paris présente en exclusivité.
Si le Medef Paris met les formes pour le dire et ne conteste pas la nécessité de tenir compte du défi climatique, ses membres goûtent peu la tournure que prend la révision du plan local d’urbanisme de la Capitale. Le syndicat patronal a réuni récemment une quarantaine de représentants du monde économique pour un débat avec Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris. Des fédérations professionnelles (FEI, Aspim, France Assureurs ou CPME Paris…) ou des agences d’attractivité (Paris-Ile de France Capitale économique ou Paris Europlace) étaient présentes.
Le Medef Paris a élaboré par ailleurs une plateforme de 10 propositions, que Le journal du Grand Paris présente en exclusivité (voir ci-dessous).
« Non seulement les entreprises et les salariés sont les grands absents de ce PLU, mais en réalité, ses mesures, qui visent à réduire la place des bureaux, sont contraires à leur intérêt, résume Marie-Sophie Ngo Ky Claverie, directrice générale du Medef Paris. Le risque n’est pas que les dirigeants économiques décident de partir pour la petite couronne, ce qui serait un moindre mal, mais qu’ils quittent la France »,
Le pastillage de la discorde
Les représentants du patronat parisien rappellent que la pandémie a renforcé l’attractivité économique de la Capitale. « Les entreprises qui sont en compétition pour attirer les talents savent qu’elles doivent offrir plus que jamais des conditions de travail attractives à leurs salariés. Cela passe par des localisations dans des quartiers offrant toutes les aménités attendues. 1,8 million de personnes travaillent à Paris et la municipalité semble agir en l’occurrence comme si elles n’existaient pas », indique la directrice générale.
Les emplacements réservés (qualifiés de « pastillage » dans le jargon du PLU) inquiètent les milieux économiques. Leur vocation est d’inscrire en emplacement réservé un certain nombre d’immeubles, notamment dans les secteurs monofonctionnels du centre de Paris, à dominante de bureaux en particulier. Cela afin d’en changer totalement ou partiellement la destination. Les parcelles pastillées auront vocation à se transformer en logements, notamment sociaux, en équipements publics d’intérêt général ou en espaces verts. Une façon de refaire la ville sur la ville qui emporte des conséquences directes sur la valeur de biens concernés.
La réalisation des modifications prévues par le pastillage du PLU s’imposera au propriétaire en cas de travaux de démolition/reconstruction ou de réhabilitation lourde. Les propriétaires ne pouvant ou ne souhaitant pas réaliser les travaux bénéficieront d’un droit de délaissement, obligeant la municipalité à acquérir le bien, sans quoi les exigences du pastillage tomberaient d’elles-même.
« Nous avons alerté un certain nombre de propriétaires concernés par ces mesures, qui les ignoraient. Et ce que nous a dit Emmanuel Grégoire ne nous a pas vraiment rassurés, poursuit Marie-Sophie Ngo Ky Claverie. Le monde économique a besoin d’un cadre clair et identique pour tous », poursuit-elle. L’élu devrait prochainement revenir devant le Medef Paris pour clarifier le cadre et la méthode.
« Ce qu’il faut surtout développer, ce sont les logements intermédiaires et abordables, à l’intention de salariés et de leurs familles qui ne sont pas prioritaires pour le logement social », estime le syndicat. « Difficile lorsque l’on s’oppose à la surélévation, et que l’on mise seulement sur les structures publiques et la réglementation », ajoute-t-elle. Paris compte 220 000 logements sociaux et seulement 22 000 logements intermédiaires. De plus, seuls 400 nouveaux logements libres sont construits chaque année, fait-on également valoir.
« Je souscris totalement à l’objectif de rééquilibrage en faveur du LLI dans les arrondissements où le taux de logement social est déjà haut, indique Damien Robert, mais il faut continuer à construire du logement social, même dans ces arrondissements, poursuit le président d’In’li. Le LLI n’a pas à prendre la place du LLS, mais plutôt à venir en complémentarité. Partant du constat partagé que l’offre nouvelle de logement intermédiaire est effectivement très basse à Paris, je préconiserais plutôt d’instituer une règle d’équilibre dans les opérations immobilières de type 1/3 LLS, 1/3 LLI, 1/3 accession », ajoute-t-il.
Pour une « conférence annuelle sociale du logement »
Le Medef Paris estime que les exigences du futur PLU, qu’il s’agisse de servitudes de mixité fonctionnelle ou de seuil de pleine terre, vont bloquer la réalisation de nombreux travaux de rénovation, aboutissant à l’effet inverse de celui recherché.
Une des propositions formulées consiste à demander l’organisation d’une « conférence sociale annuelle du logement » à l’échelle de la métropole du Grand Paris, « afin de fixer des objectifs de construction de logement social, intermédiaire et libre, par commune, et d’en suivre la production effective ». Une conférence qui jouerait par conséquent le même rôle que le plan métropolitain de l’habitat et de l’hébergement (PMHH), dont l’exécutif métropolitain a relancé l’élaboration.
« C’est la même chose que pour les transports en commun, ajoute la directrice du Medef Paris. On finance 60 % de son budget, mais nous disposons d’un siège sur 31. Ce que nous voulons, c’est être davantage associés et concertés aux règles d’urbanisme, et à celles qui président à la construction de logements, dont nous contribuons également fortement au financement à travers le 1 % logement ».
Le Medef Paris estime également que le PLU doit organiser et apaiser le fonctionnement des nouvelles formes de commerce rapide, dark stores et autres dark kitchens, notamment en favorisant l’aménagement de rampes d’accès vers un parking souterrain et de parkings deux-roues adaptés à ces nouveaux usages, sur les voies publiques.
Les 10 propositions du Medef Paris « pour concilier économie et urbanisme dans une capitale engagée dans la transition écologique »
1) Prendre en compte la dimension économique de la Capitale, dans une région qui représente 32 % du PIB national, et en intégrer la performance du bilan carbone. La révision du PLU de Paris est une opportunité pour faire de la Capitale un modèle de croissance durable, sans opposer économie et écologie. La dimension économique de la Capitale, ville-monde, est un atout majeur. Nous demandons d’accompagner la capacité des entreprises parisiennes à se renouveler, à recruter et à innover alors qu’elles réalisent des investissements considérables pour les transitions environnementale, sociale et digitale.
2) Développer des dispositifs incitatifs pour accélérer la mise en œuvre opérationnelle du décret tertiaire, sous forme de « bonus de constructibilité décret tertiaire ». Les entreprises qui s’engagent à mettre en œuvre le décret tertiaire avant les échéances définitives fixées par la loi et assureraient une division par deux de leur consommation en énergie finale pourraient disposer d’un « bonus de constructibilité décret tertiaire » de 10 % au moins par rapport à la superficie totale existante de leur propriété. Ce dispositif intégrerait concrètement le parc immobilier d’entreprise parisien à la lutte contre le réchauffement climatique tout en encourageant les projets de développement des entreprises sur leurs sites.
3) Affecter les mètres carrés non utilisés liés à la diffusion du télétravail au sein de l’ensemble des bâtiments administratifs présents sur le territoire parisien, à la création de nouveaux logements ou d’espaces mutualisés. Le taux de vacance de bureaux à Paris est extrêmement bas (moins de 3 %). Malgré la Covid, la demande de bureaux est toujours aussi forte à Paris et de plus en plus d’entreprises se relocalisent même dans la Capitale. Avec le développement du télétravail, les entreprises parisiennes sont en train de faire évoluer leurs modes d’occupation en rationalisant les surfaces occupées. Nous considérons que l’effort devrait être équitablement partagé pour la création de logements dans l’ensemble des mètres carrés inoccupés de la Capitale. Ainsi nous proposons que de réelles servitudes de mixité fonctionnelle pèsent aussi sur l’ensemble du parc administratif public de Paris – parc qui pourrait muter en étant rationalisé dans ses modes d’occupation.
4) Lancer le « Grand Paris du logement » et relancer de grands projets d’urbanisme. C’est dans le cadre de grandes opérations d’ensemble que l’on produit le plus grand nombre de mètres carrés. Mais Paris ne suffit plus. Il est urgent de définir une politique ambitieuse de logement à l’échelle du Grand Paris. Pour s’en assurer, le Medef Paris propose d’organiser une conférence sociale annuelle du logement à l’échelle de la métropole du Grand Paris, afin de fixer des objectifs de construction de logement social, intermédiaire et libre, par commune, et d’en suivre la production effective.
5) Financer et produire une offre de logements intermédiaires et abordables pour les besoins des salariés parisiens. Au regard de la volonté d’accueillir ou garder des familles dans Paris – et particulièrement des familles d’actifs avec enfants – le PLU doit prendre en compte les besoins de l’ensemble des salariés, non seulement aides-soignants ou infirmiers, mais aussi comptables, boulangers, mécaniciens, médecins, commerçants… C’est pourquoi, le Medef Paris propose que, dans les arrondissements suivants : 12e (23.5 % de LLS), 13e (37.2 % de LLS), 14e (27.7 % de LLS), 18e (20.7 % de LLS et une part de logement social de fait avérée), 19e (39.2 % de LLS), 20e (34.8 % de LLS), le financement ou la construction de logements sociaux doivent laisser place à la construction de logements intermédiaires et abordables, à destination des salariés et de leur famille, qui ne sont pas prioritaires pour l’attribution de logements sociaux. En 2022, la ville de Paris compte environ 220 000 logements sociaux vs 23 000 logements locatifs intermédiaires (LLI).
6) Répondre aux besoins de logement pour les personnes des secteurs en tensions de recrutement à Paris par de nouvelles offres incitatives. Paris est face au défi de l’emploi. Or certains secteurs souffrent particulièrement des problèmes de recrutement, comme l’hôtellerie et la restauration. Ces tensions sont accrues lors des périodes de haute saison touristique ou d’évènements internationaux. Le Medef Paris propose le développement d’une offre de location en faveur des saisonniers, des intérimaires et des personnels de l’hôtellerie restauration pour les logements dépassant 120 nuits Airbnb louées par an. Conjointement une offre locative incitative pourrait être lancée à destination des propriétaires des 117 666 logements vacants répertoriés par l’Adil et l’Insee. Les actifs et les salariés inscrits comme demandeurs de logement à Paris, dont les chances d’être attributaires sont faibles ou impossibles en raison de leurs statuts professionnels, pourraient être directement ciblés : start-uppers, intermittents, intérimaires, auto entrepreneurs, saisonniers, jeunes actifs exerçant dans des professions libérales, commerçants…
7) Remplacer l’obligation de pleine terre à la parcelle par une obligation en espaces verts plantés, pour tenir compte des caractéristiques du bâti existant lors d’opérations de requalification ou de réhabilitation. L’obligation de plantation de 40 % de pleine terre à la parcelle, envisagée par la ville de Paris, n’est pas réalisable physiquement sur toutes les parcelles, particulièrement lors d’opérations de requalification/réhabilitation car la majorité des immeubles parisiens construits après-guerre disposent d’un sous-sol aménagé (parkings, archives, caves…) utilisé et/ou sont construits intégralement à la parcelle. Favorable au fait de penser l’écologie urbaine à l’échelle d’une capitale économique, en menant la transition écologique en grand avec pragmatisme, le Medef Paris propose de remplacer l’obligation de pleine terre par une obligation en espaces verts plantés, pour tenir compte des caractéristiques du bâti existant lors d’opérations de requalification ou de réhabilitation.
8) Réguler le développement des dark stores et des dark kitchens à l’échelle des arrondissements. Les nouvelles formes de production de repas à livrer se développent à Paris avec la digitalisation des pratiques professionnelles et l’évolution des modes de vie des actifs. Nous proposons que ces nouvelles activités, créatrices d’emplois locaux, soient régulées et autorisées, à proximité ou dans les quartiers à forte concentration de bureaux, auxquelles seraient imposées l’ouverture sur la rue de ces espaces, afin de les rendre aussi vivants que des vitrines. L’installation de ces dark stores « de proximité » serait alors regardée au cas par cas à l’échelle de l’arrondissement, en donnant aux maires d’arrondissement la responsabilité de la délivrance de leurs autorisations d’urbanisme. En corollaire, l’aménagement de rampes d’accès vers un parking souterrain et de parkings deux-roues adaptés à ces nouveaux usages, sur les voies publiques, permettrait de fluidifier la logistique liée aux livraisons rapides, ce qui, à ce jour, ne semble pas intégré dans le projet de PLU.
9) Prévoir des accès livraisons réservés pour l’ensemble des commerces. Face à la désertification du commerce (jusqu’à 17 % de vacance dans le centre de Paris) et aux difficultés d’accès et de stationnement, notamment pour les livraisons, le Medef Paris propose de réserver des accès livraisons pour les commerces.
10) Maintenir une offre de soins de qualité à Paris en évitant le projet de délocalisation de l’hôpital Bichat. Alors que Paris est classé comme désert médical, le projet de délocalisation des services de l’hôpital Bichat, dans le futur grand hôpital universitaire de Saint-Ouen, contre l’avis des Parisiens, inquiète le Medef Paris car cela risque de fragiliser le système de soins parisiens, sans tenir compte des attentes de la population et des entreprises parisiennes. Le rayonnement universitaire et scientifique de Paris doit être préservé. De ce fait, le nombre de mètres carrés et le nombre de lits hospitaliers ne doivent pas diminuer dans Paris, afin de permettre de répondre aux demandes de soins et de proximité des Parisiens. Le Medef Paris propose que dans le prochain PLU, la parcelle de l’AP-HP où se situent le GHRU Claude Bichat et la faculté de médecine soit sanctuarisée afin que sa destination hospitalière ne puisse être modifiée.