Le Grand Paris à pied, un autre regard sur la métropole

A l’heure où de nombreux Franciliens rejoignent des régions de montagne pour aller randonner loin du tumulte de la ville, on a tendance à oublier que l’Ile-de-France offre de multiples opportunités de pratiquer la marche à pied. Par ailleurs, de plus en plus, la marche s’impose comme un outil de découverte et de lecture du territoire métropolitain dont s’emparent urbanistes, géographes… tandis que les randonnées urbaines attirent un nombre croissant d’adeptes.

Une aérogare porte généralement en elle la promesse d’un voyage. C’est celle de Roissy que Guy-Pierre Chomette et Valerio Vincenzo ont choisi comme point de départ de leur odyssée, il y a une dizaine d’années. Une odyssée d’un genre un peu particulier. En effet, ce journaliste et ce photographe n’ont alors pas embarqué dans un avion, ni même un TGV, un RER ou un taxi. C’est à pied qu’ils sont partis de Roissy-Charles-de-Gaulle, un mode de locomotion qui « ne faisait pas partie du cahier des charges des concepteurs de l’aéroport, construit au début des années 1970 », écrit Guy-Pierre Chomette dans le premier chapitre du Piéton du Grand Paris (1).

Lors d’une balade urbaine organisée par Enlarge your Paris à Noisy-le-Grand, devant un immeuble construit par Ricardo Bofill. © Jgp

Dans cet ouvrage paru en 2014, les deux compères font le récit en mots et images de cette expérience inédite : parcourir le territoire de la métropole du Grand Paris à pied en suivant le tracé du futur métro du Grand Paris express, qui n’existait alors qu’à l’état de plan. « J’habitais à l’époque à Clichy-la-Garenne [Hauts-de-Seine] et j’étais sur le départ pour partir m’installer à Nantes. Je me suis dit que c’était dommage de quitter cette métropole parisienne sans vraiment la connaître, se remémore aujourd’hui Guy-Pierre Chomette. C’était le moment où le projet du futur métro commençait. J’ai eu envie d’aller voir sur place. Je voulais aussi appréhender la taille, la démesure, de la métropole où je vivais et je ne voyais pas d’autre solution qu’en le faisant à pied. »

Embrasser la métropole d’un seul regard

Le « tracé ténu du futur métro » va ainsi constituer le « fil d’Ariane » de leur « circumnavigation métropolitaine », le principe étant de prendre autant de libertés qu’ils le souhaitaient pour s’en écarter et faire des pas de côté au fil des rencontres et de leur curiosité. « L’intérêt était, en allant “chercher” ce métro, d’aller arpenter les franges de l’agglomération, trouver là où la ville finissait et où la campagne commençait », explique Guy-Pierre Chomette.

Asnières-sur-Seine. Démolition des Gentianes. Photo extraite de l’ouvrage Le Piéton du Grand Paris. © Valerio Vincenzo

De cette excursion en terre grand-parisienne formant une boucle de 300 km parcourus en une trentaine d’étapes, il reste à Guy-Pierre Chomette « des visions hyper frappantes de certains points de vue de la métropole, notamment en hauteur, comme à Clichy-sous-Bois [Seine-Saint-Denis], depuis la rue des Cosmonautes où l’on embrasse la métropole d’un seul regard : on a La Défense face à soi, on voit l’hôpital de Villejuif, la tour Pleyel… On a comme ça les quatre points cardinaux. Il n’y a pas des milliers d’endroits où l’on peut appréhender la ville de cette façon. »

Ce que leur a révélé également cette expérience, c’est le constat qu’en dépit de quelques « obstacles » – tous surmontés, à commencer par celui constituant leur point de départ et d’arrivée –, ils ont pu suivre l’itinéraire qu’ils s’étaient fixés. Cela en marchant sur un territoire qui ne s’est pas spécialement développé et n’a pas été pensé, dans ses grands plans d’aménagement et autres schémas directeurs, pour le piéton.

Une grande volonté d’aménagement et un grand bazar

Quasiment de façon concomitante, également en 2014, paraît La Révolution de Paris (2). Un autre récit d’une pérégrination à travers le Grand Paris imaginée et racontée par Paul-Hervé Lavessière, géographe-urbaniste. A partir de cartes IGN et de sources diverses, il a dessiné une grande boucle ralliant Saint-Denis, Créteil et Versailles. Durant six jours, avec Baptiste Lanaspeze, son éditeur et par ailleurs l’une des chevilles ouvrières du GR 2013, sentier métropolitain conçu dans le cadre de Marseille capitale européenne de la culture (2013), ils ont traversé 37 communes et quatre départements (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Yvelines) et découvert « le grand paysage de Paris: cités-jardins et pavillons de meulière, places du marché et échangeurs autoroutiers, grands ensembles et écoles républicaines, friches végétales et lignes à haute tension, églises et zones industrielles, forts et mosquées, carrières de gypse et gares de triage, canaux, fleuves et rivières… »

Lors d’une marche exploratoire du sentier métropolitain du Grand Paris en mars 2018. © Jgp

Cette « révolution » sera les prémisses d’un projet de plus grande ampleur, lancé en 2016 : le sentier métropolitain du Grand Paris. Pour le mener à bien, avec le soutien de plusieurs partenaires financeurs, le principal étant la métropole du Grand Paris, ils s’associent à l’équipe du Voyage métropolitain, collectif fondé en 2014, par Jens Denissen et Léa Donguy, respectivement urbaniste-paysagiste et géographe, qui propose chaque mois un voyage à pied à la découverte du Grand Paris. « L’idée était notamment de construire un itinéraire qui change le point de vue sur la ville, être un peu plus conscient de ce qu’est le métabolisme urbain, explique Paul-Hervé Lavessière. Ce qui nous intéressait c’était d’aller voir de près à quoi ressemblait ce Grand Paris dont, finalement, on a peu, voire pas, de représentation. Ce qu’il en ressort c’est à la fois la très grande variété, architecturale notamment, mais aussi le fait que c’est un territoire extrêmement aménagé. Ce qu’on voit c’est une grande volonté d’aménagement et en même temps un grand bazar. »

Finalisé en 2020 après trois ans d’élaboration et de construction dans le cadre de marches exploratoires, le sentier métropolitain du Grand Paris constitue un itinéraire pédestre qui articule, sur 615 km, la petite couronne des faubourgs historiques à la grande couronne des villes nouvelles. Il a fait l’objet d’un livre-guide (3), mélange de récits de voyage, d’anecdotes, de références historiques, de cartes et photos. Un ouvrage qui se destine tout autant à des randonneurs, qu’à des étudiants ou des urbanistes ou tout simplement des Grands Parisiens curieux de mieux connaître – et comprendre – la métropole où ils vivent.

Relier les sentiers de randonnée aux gares

Et ils sont de plus en plus nombreux dans ce cas, à vouloir allier le plaisir de la marche à celui de la découverte de territoires où, pendant longtemps, il ne venait pas à l’idée de grand monde d’aller « se promener ». Le succès des balades organisées par le media culturel Enlarge your Paris, notamment dans le cadre de Tour piéton du Grand Paris (voir ci-contre) en est l’une des illustrations. Le fil conducteur, inspiré par l’expérience de Guy-Pierre Chomette : aller marcher le long des lignes du Grand Paris express.

Enlarge your Paris porte également le projet du Randopolitain, imaginé en partenariat avec Transilien SNCF et la Fédération française de randonnée pédestre d’Ile-de-France. Le principe : relier les sentiers de randonnée aux gares en créant de nouvelles boucles et itinéraires qui vont dessiner un réseau de 1 896 km, en référence à l’année de création des Jeux olympiques modernes. « Le Randopolitain va former trois grands cercles, détaille Vianney Delourme, cofondateur d’Enlarge your Paris : le premier suit le GR75 qui fait le tour de Paris, le deuxième le GRP de la Ceinture verte qui relie par une boucle l’ensemble des espaces verts proches de Paris et le troisième cercle le GR1 qui fait le tour de l’Ile-de-France et passe par à peu près tous les terminus des lignes du Transilien. Ces cercles seront traversés et connectés à des obliques formées par tous les bouts de sentiers qui longent les rivières, les étangs, les zones humides… »

Superposer le réseau des transports en commun franciliens et celui des sentiers de randonnée, c’est l’objectif du Randopolitain. © DR

Dans le cadre de cette démarche labellisée Olympiade culturelle par Paris 2024, depuis le 26 juin dernier et jusqu’au 22 septembre 2014, à raison, en moyenne, d’une balade toutes les deux semaines, sont organisées 100 randonnées de 15 à 20 km gratuites et ouvertes à tous sur inscription. Chacune est accompagnée et commentée par des botanistes, philosophes, forestiers, bibliothécaires, artistes, paysagistes, cuisiniers… et fait ensuite l’objet d’une restitution sur le site d’Enlarge your Paris. « La marche est aussi un moyen de penser l’environnement dans lequel on se trouve », commente Vianney Delourme. Au-delà de l’échéance de 2024 et des Jeux olympiques, « l’ambition du Randopolitain est de démontrer que l’on est dans la métropole la plus marchable du monde ». Le défi est lancé, y compris aux abords des aérogares.

(1) Le piéton du Grand Paris – Voyage sur le tracé du futur métro, textes de Guy-Pierre Chomette, photographies de Valerio Vincenzo, éditions Parigramme, mars 2014.
(2) La Révolution de Paris, de Paul-Hervé Lavessière, éditions Wildproject, février 2014.
(3) Le sentier du Grand Paris, un guide de randonnée à travers la plus grande métropole d’Europe, éditions Wildproject, octobre 2020, balisage numérique sur lesentierdugrandparis.org, cartes et tracés téléchargeables sur l’appli Avenza.

 

 

L’Ile-de-France, terre de randonnées

Entre la richesse de son patrimoine et la diversité de ses paysages mêlant campagne, ville, péri-urbain, forêts, plaines, fleuves et rivières, l’Ile-de-France est, contrairement aux idées reçues, un formidable terrain de jeu pour les randonneurs.

Lorsqu’on parle randonnée et chaussures montantes, ce ne sont pas les paysages, en particulier urbains, de la région Capitale qui viennent spontanément à l’esprit. « Les gens sont toujours étonnés de savoir qu’il y a une fédération régionale de la randonnée en Ile-de-France », sourit Bruno Lamaurt, son président. A croire que sans massif montagneux à proximité, le sport préféré des Français n’aurait pas droit de cité. Or, la région Ile-de-France, où est né l’un des plus anciens sentiers de grande randonnée, le GR1, recense 8 000 km de chemins balisés, notamment de nombreux PR (promenade et randonnée). Lorsqu’un nouveau PR est créé, la Fédération est l’interlocuteur privilégié des collectivités. Même si cela est parfois un peu complexe, Bruno Lamaurt citant le cas des établissements publics territoriaux qui n’ont pas tous la compétence sentiers : « par exemple en Seine-Saint-Denis, Plaine Commune l’a mais pas Grand Paris Grand Est et donc cette compétence est répartie entre une douzaine de communes et autant d’interlocuteurs ».

Bruno Lamaurt, président de la Fédération de randonnée pédestre d’Ile-de-France, devant la carte des sentiers balisés de la région, réalisée par l’Institut Paris Region. © Jgp

Il n’en reste pas moins que la région compte « une grande variété d’itinéraires sûrs et balisés, pour tous les niveaux, poursuit le président de la FFR francilienne. Un des intérêts de l’Ile-de-France c’est toute la partie patrimoine qui est très riche avec les châteaux, le patrimoine artistique et culturel, fluvial, les nombreuses forêts… Il y a également une diversité de paysages : villes, plaines, vallées… »

Autre atout francilien : le réseau de transports en commun qui permet de rallier de nombreux points de départ de randonnée. « Il y a un maillage important de gares, pointe Bruno Lamaurt. Il manque encore un lien avec Ile-de-France mobilités pour flécher un peu mieux l’accès aux sentiers, il y aurait toute une signalétique à mettre en place. » Et pour inciter encore plus à utiliser son pass Navigo plutôt que sa voiture pour aller marcher, les topoguides édités par la Fédération mettent l’accent sur cet aspect. Par exemple, le GR de pays (GRP) de la ceinture verte, qui vient d’être réactualisé avec des petites modifications d’itinéraires, a été découpé par tronçons de gare à gare.

365 clubs sur la région

Outre la très riche collection de topoguides et de publications thématiques (sur le patrimoine, l’histoire, etc.) de la fédération régionale, plusieurs applications permettent de randonner en autonomie. « Deux départements franciliens ont développé une application autour des sentiers, signale ainsi Bruno Lamaurt : la Seine-Saint-Denis (Les chemins de Seine-Saint-Denis) et le Val-de-Marne (Balades et randonnées en Val-de-Marne). Pour les personnes qui veulent randonner en club, il y en a 365 sur la région. »

La Fédération de randonnée publie de nombreux topoguides et de publications thématiques. © Jgp

Et pour les amoureux de la Capitale, le comité parisien de la fédération de randonnée propose un rendez-vous mensuel, gratuit et ouvert à tous: La Panamée, une balade piétonne et culturelle organisée le 3e jeudi de chaque mois, de 19h à 22h.

Sur le même sujet

Top