Les intervenants du 8° forum organisé mardi 1er octobre 2019 par le Cercle Grand Paris de l’investissement durable ont phosphoré sur les réponses à la croissance des inégalités dans les métropoles. En particulier dans le domaine du logement.
Il a été beaucoup question des 17 objectifs de développement durable (ODD), lors du 8° Forum international organisé par le Cercle Grand Paris de l’investissement durable, tenu dans le vaste et trendy hall de l’immeuble E+, siège de Sogeprom à La Défense. En ouvrant la manifestation, Eric Groven a cité, en l’occurrence, LaVilleE+®, start-up intrapreneuriale de la Société générale. Un service innovant qui combine l’approche par l’impact, la concertation par le jeu et l’approche holistique, pour aider justement les différentes parties prenantes à bâtir des quartiers de ville répondant aux objectifs de développement durable de l’ONU.
« Les promoteurs n’ont aucun intérêt à la hausse de prix de l’immobilier », a souligné Eric Groven. Le directeur immobilier des réseaux France de Société générale, président de Sogeprom a rappelé « qu’il serait utile de proscrire les enchères sur les fonciers publics, en figeant le prix dès le départ ». Il a également déploré que les dispositifs fiscaux de type Pinel « encouragent la spéculation ».
« Nous devons travailler à ce que le Grand Paris ne soit pas seulement un aimant pour les investissements internationaux mais pour que l’ensemble des territoires récolte aussi les fruits de la mondialisation », a résumé Nicolas Buchoud, président du Cercle Grand Paris de l’investissement durable. « C’est le sens de notre engagement. C’est pourquoi nous avons souhaité partager les résultats des travaux les plus récents sur les dimensions cachées de la pauvreté et présenter les premiers éléments d’orientation du groupe d’engagement des villes auprès du G20, le U20, pour le sommet de l’an prochain. »
Des inégalités de taille
Soo-Jin Kim, cheffe de l’unité des politiques urbaines à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a montré, chiffres et courbes à l’appui, que dans toutes les métropoles des 36 membres de l’OCDE, le prix de l’immobilier augmentait plus rapidement que celui du revenu médian. La part consacrée au logement est ainsi passée d’un 1/4 à 1/3 des revenus moyens des ménages. Et c’est autour de cette question que s’est articulé l’ensemble des débats, chaque intervenant étant appelé à partager des propositions d’action, plus que de simples constats. L’urgence climatique et la préservation de la biodiversité ont constitué l’autre fil rouge des multiples interventions de cette rencontre. « Plus les villes sont grandes, plus elles sont productives et plus elles sont inégales », a également indiqué Soo-Jin Kim.
Des inégalités qui aboutissent à ce que l’espérance de vie atteignent 75,3 ans dans le quartier londonien de Prince Regent, et 96,4 à Oxford circus. Geneviève Tardieu, directrice internationale d’ATD-Quart monde a souligné « la dépossession de leur pouvoir d’agir », ressentie par les plus pauvres, l’image dégradée dont ils pâtissent, alors même que leur vie est un combat quotidien, souvent héroïque, pour leur survie. « Il existe une corrélation entre l’état de son logement et l’impossibilité de sortir de la pauvreté », a-t-elle poursuivi, en présentant les résultats d’une étude participative de référence menée avec l’université d’Oxford dans six pays développés et émergents ou en développement, présentée au mois de juillet dernier au Forum sur les ODD aux Nations-Unies à New York.
Prioriser et évaluer l’action sociale
Bertrand de Clermont-Tonnerre, vice-président de la fondation Rexel et directeur du développement durable du groupe, a décrit la démarche mise en œuvre par le distributeur électrique pour réunir les habitants souffrant de précarité énergétique afin de mieux les connaître et les mobiliser, à Roubaix et, demain, à Roanne. André Jaunay, fondateur du Groupe de Bobigny, créé « pour réenchanter le social », a partagé ses convictions sur la réalité de l’impact de l’action sociale, souvent mésestimée, pour peu « que l’on sache fixer des priorités et procéder à des évaluations ». Il a souligné avec Francis Massé, essayiste, et Orna Rosenfeld de l’Ecole urbaine de Sciences Po, le rôle méconnu du « Giec du social », le Panel international pour le progrès social.
Francis Massé a également rappelé l’urgence pour l’Etat et les politiques publiques de dépasser des logiques de travail en silo, toujours présentes. « L’administration française, pléthorique, est très largement inadaptée aux enjeux du temps », a-t-il estimé.
Pierre Bressollette, directeur exécutif d’Arkadea, filiale de Poste immo et Icade, a insisté sur les difficultés rencontrées par les classes moyennes pour se loger dans les métropoles, décrivant les innovations récentes de démembrement immobilier, proposant, pour atteindre des décotes allant jusqu’à 40 %, de dissocier la nue-propriété et l’usufruit, ou des locations avec option d’achat.
Eloge de la métropole du Grand Paris
La matinée a été ponctuée de repères chiffrés. Vincent Gollain (directeur économie de l’Institut Paris région) a indiqué ainsi que la part du logement social s’élevait en moyenne à 10 % dans les pays de l’OCDE, 17 % en France, et 27 % en Ile-de-France. « Ce qui n’empêche pas que l’on estime à un million le nombre de logements à construire en Ile-de-France », a-t-il souligné.
Hervé Gicquel, maire de Charenton-le-Pont, conseiller métropolitain, seul élu d’un large panel de dirigeants d’entreprises et d’associations et de chercheurs, représentants d’universités et experts français et internationaux, s’est livré à un vibrant éloge de la métropole du Grand Paris. « On ne dit pas assez à quel point la métropole a permis de lever le rideau de fer séparant Paris et sa périphérie », a souligné l’élu.
Le maire de Charenton a souligné la nécessité de politiques d’aménagement concertées, favorisant l’intelligence collective. A fortiori dans le cadre de projets de l’ampleur de Charenton-Bercy, aménagé par Grand Paris aménagement à la demande de la ville, un des sites d’ « Inventons la métropole du Grand Paris » entouré de plusieurs projets d’ampleur tels que Bercy-Charenton ou Massena Bruneseau. Hervé Gicquel a cité les exigences d’inclusion, de porosité et de durabilité de ces projets, qualifiant d’hérésie la présence de l’autoroute A4 en cœur de ville.
Impact based finance ou comment croiser RSE et territoires
Marie-Aimée Boury, managing director, impact based finance, de la Société générale, a indiqué que son établissement avait récemment créé une structure dédiée à la recherche et développement, notamment pour réfléchir au moyen de maximiser l’impact social de ses prêts, par exemple face au manque d’attrait que représente parfois, aux yeux des banques, le profil d’emprunteur des collectivités territoriales. En tirant le meilleur parti de la digitalisation. « Comment obtenir, avec le même projet, plus de solutions, plus d’impact, plus de vert, plus de service ? », a-t-elle résumé. Parmi les exemples cités, l’introduction, sur des pieds de lampadaires, de capteurs et de services payants offre une rentabilité inédite à ces équipements, changeant leur modèle économique.
José-Michaël Chenu (Vinci), président de Rêve de scènes urbaines (RSU), a rappelé les expérimentations public-privé menées dans le cadre des Démonstrateurs industriels de la ville durable (DIVD) mis en place par l’Etat. En illustrant la boîte à outils de plus de 600 idées et 40 projets de RSU, lui aussi par l’exemple d’un lampadaire, capable de stocker de l’énergie cette fois, et délivrant également des services, développé en Inde. Le référent international du comité stratégique de filière (CSF) des industries de la construction a également souligné la nécessité « de casser certaines règles, si l’on veut produire de l’énergie grâce aux cinq façades d’un bâtiment », en l’occurrence les règles de propriété.
« Les métropoles du monde ont le regard tourné vers le Grand Paris parce qu’elles savent que c’est là où s’invente la ville de demain », a résumé le directeur général de Paris-Ile de France Capitale Economique, Alexandre Missoffe. Entre la création d’un nouveau label européen sur les villes durables et innovantes présenté par Michel Salem Sermanet, directeur général de l’institut Efficacity et la création de la nouvelle université Gustave Eiffel, le Grand Paris foisonne d’initiatives qui rapprochent innovations et territoires, désormais bien au-delà des limites de la métropole, ont fait valoir les speakers.
Henri Balsan, directeur délégué Grand Paris et Ile-de-France d’Engie, a effectué le panégyrique de Châteauroux, qui accueille un démonstrateur industriel de la ville durable développé à partir du projet RSU et surtout, un projet d’investissement de plus de 800 millions d’euros croisant big data, énergies nouvelles, développement urbain et agriculture durable.
Ces démarches inédites obligent tous les acteurs à transformer leurs pratiques, notamment dans le domaine des services urbains, comme l’a rappelé Henri de Grossouvre, le directeur de la stratégie urbaine de Suez Eau France. Schéhérazade Abboub, avocate spécialiste de la smart city, a souligné qu’il était désormais essentiel de garantir la stabilité de contrats qui mobilisent de multiples acteurs publics et privés. L’innovation est aussi dans le domaine du droit.
Le Grand Paris, région des oxymores
La directrice du département médias et réseaux sociaux de l’université d’Etat de Saint-Petersbourg, Kamilla Nigmatullina, a présenté les métropoles comme des « grappes de communautés locales et digitales avec un haut niveau d’interaction autour des questions de climat et de développement durable ». En réponse François Balay, responsable du programme Grand Paris et des marchés de l’économie publique de la Société générale, a insisté « sur le formidable levier de croissance constitué par le Grand Paris. La « région des oxymores », avec un PIB / habitant qui n’empêche pas les poches de pauvreté, des établissements académiques et universitaires d’excellence qui cohabitent avec des zones où l’illettrisme perdure, une recherche médicale de pointe qui coexiste avec la résurgence de maladies anciennes que l’on pensait révolues.
François Balay a décrit l’ingénierie mise en œuvre en interne au sein de la banque pour convaincre les responsables du risk modelling du bien-fondé de financements innovants mis en place par la banque pour investir dans le logement intermédiaire, avec Inli, ou dans des green bonds à très long terme, comme avec le Syctom ou le Sipperec. « Nous devons sans cesse nous interroger, innover, parce qu’en finançant ces infrastructures, nous participons à la transformation positive de la société, a-t-il conclu. C’est ce que nous demandent nos clients, tout comme nos différentes parties prenantes ». C’est aussi l’une des priorités du prochain sommet des villes du G20 de 2020, a souligné Julie Yang qui avait fait le déplacement depuis Riyad, confirmant la complexité et les opportunités de la construction métropolitaine.
Le biomimétisme, source d’inspiration et de décadrage
« Le biomimétisme constitue une source incomparable de créativité, à l’heure où il faut se décadrer, se déformater la tête pour inventer des solutions nouvelles », a fait valoir Alain Renaudin, président de Newcorp conseil et fondateur de Biomim-Expo, en écho aux travaux du Conseil international de la biodiversité (Cibi), présentés par son président, Luc Monteil.
30 % des déchets recyclés
30 % seulement des déchets franciliens, des 2,4 millions de tonnes produites chaque année sont recyclés, a souligné Martial Lorenzo, directeur général des services du Syctom, lors du 8° Forum international du Cercle Grand Paris de l’investissement durable. Or la nouvelle usine d’Ivry qui sera inaugurée en 2024 aura une capacité de moitié inférieure à l’actuelle. « Si l’on ne fait pas d’effort, c’est-à-dire si l’on ne réduit pas de 20 % notre production de déchet en 5 ans, 350 000 tonnes de déchets supplémentaires devront être placées en décharge », a-t-il annoncé. Martial Lorenzo a estimé que les usagers qui trient mal ne sont pas les seuls responsables, pointant la responsabilité des industriels qui produisent encore des marchandises non recyclables.