Le conseil de développement économique du Val-de-Marne lance un vaste travail de réflexion concertée sur l’avenir. Avec une mission : proposer en mars 2021 une feuille de route aux décideurs politiques.
Quel avenir pour le Val-de-Marne à l’horizon 2040 ? Quelle place ce département tiendra-t-il au sein de la métropole du Grand Paris et de la région Ile-de-France ? Comment penser l’aménagement, sécuriser l’activité économique, capitaliser sur les gares du Grand Paris express ? Ce sont quelques uns des sujets sur lesquels les membres du comité économique de ce territoire vont plancher dans les mois à venir.
« 2020-2040 – Coopérer pour mieux agir. Face aux crises environnementales, sociales, économiques, sociétales, institutionnelles, définissons ensemble des chemins fructueux pour le Val-de-Marne » : tel était en effet l’intitulé de la convention annuelle du Codev 94, qui s’est tenue, sous forme de visioconférence, le mardi 24 novembre 2020, réunissant environ 80 participants. « Nous proposons aujourd’hui de lancer un travail de réflexion sur les 20 prochaines années. Il devrait nous permettre de faire des propositions au mois de mars prochain si, du moins, le calendrier électoral est reporté à juin », a explicité en introduction Dominique Giry, président du Codev94.
Trois séquences de développement
Pourquoi lancer une telle réflexion ? Le département se trouve à un moment charnière de son histoire, a poursuivi Dominique Giry, retraçant brièvement les grandes étapes de la vie de ce territoire. « Entre les années 1960 et 1990, le développement en Ile-de-France s’est surtout cristallisé, à l’initiative des pouvoirs publics, sur l’émergence des villes nouvelles à l’extérieur de la petite couronne ». Les conséquences pour le Val-de-Marne ont été substantielles : le nombre d’emplois a progressé trois fois moins vite qu’au niveau régional et les emplois industriels ont diminué de 30 %, contre – 13 % en Ile-de-France.
Une deuxième séquence s’est ouverte à partir des années 1990 : « le nouveau mot d’ordre des décideurs publics est alors de conforter les pôles autour des villes nouvelles bien sûr, mais aussi de refaire la ville sur la ville », a poursuivi Dominique Giry.
Le contrat de plan Etat-Région 2000-2006 engage notamment un processus de réinvestissement sur le Val-de-Marne, qui connaît une nouvelle période de dynamisme urbain et économique. Celle-ci est notamment portée par l’amélioration de la desserte par les transports en commun, mais aussi la multiplication des projets de territoires : la Vallée scientifique de la Bièvre, le grand Orly, la création de Seine-amont (d’Ivry-sur-Seine à Choisy-le-Roi), de l’Actep (Association des collectivités de l’est parisien, de Vincennes à Bry-sur-Marne) et de la première communauté d’agglomération du Val-de-Marne, celle du Val-de-Bièvre en 2000.
Sans oublier la mobilisation de l’association Orbival, pour la création d’un grand métro qui deviendra la ligne 15 sud du Grand Paris express, ou encore celle du Codev 94, en 1994, qui réunit élus, Etat, l’Université de Paris-Est Créteil et les acteurs économiques (CCI Medef, partenaires sociaux). Cette capacité à coopérer « est une marque de fabrique de notre département », s’est félicité le président du Codev. Pendant cette période, la croissance démographique s’accélère et rattrape celle de l’Ile-de-France (+ 12,8 % pour le Val-de-Marne entre 1990 et 2015 et +13,3 % pour l’Ile-de-France). Des grandes entreprises s’implantent dans le département : Orange à Arcueil en 2006, La Centrale Leclerc et la Fnac à Ivry-sur-Seine en 2006 et 2007, LCL à Villejuif en 2008.
Des questionnements nouveaux
A bien des égards, cette dynamique est encore à l’œuvre aujourd’hui. Sanofi a conforté son installation sur le campus santé de la Vallée scientifique de la Bièvre à Gentilly en 2015, la Société générale a installé son technopôle à Val-de-Fontenay en 2016, Essilor a ouvert son centre innovation et technologie à Créteil en 2017, Ubisoft investit à Saint-Mandé en 2020. Et l’horizon du Grand Paris express sera aussi celui de la livraison de grands équipements ou de grands sites métropolitains : Campus Grand Parc à Villejuif, l’Eco campus Chérioux à Vitry-sur-Seine, la Cité de la gastronomie à Chevilly-Larue, La Scène digitale à Thiais, Le quartier Ivry confluences, la tour de l’arbre de vie du quartier de l’Echat à Créteil, le Pôle image de Bry/Villiers-sur-Marne. Sans oublier le développement du pôle d’Orly Rungis, celui des Ardoines à Vitry-sur-Seine ou encore le projet de Charenton-Bercy à Charenton-le-Pont.
Pas question cependant pour les acteurs locaux de laisser la dynamique se dérouler sans interroger les modèles de développement et d’aménagement : « l’aube des années 2020 voit poindre des questionnements », a souligné Dominique Giry. Les inégalités territoriales persistent, à l’intérieur de l’Ile-de-France mais aussi au sein même du département. « Le développement s’opère au péril de la diversité économique et sociale », a remarqué le président du Codev. L’augmentation des catégories socio-professionnelles les plus élevées est plus rapide et plus importante que celle des autres que dans le reste de la région (+ 10,3 % entre 2011 et 2016 contre +6,3 % entre 2011 et 2016 à l’échelle de l’Ile-de-France). Le risque de gentrification est donc réel. Enfin, dans un département où les sols sont déjà artificialisés à 83 %, la question de l’environnement, du changement climatique et de la meilleure façon de concilier intensité urbaine et présence de la nature se pose avec une grande acuité.
« Nous nous trouvons dans une situation de paradoxe : les mises en chantier se font tous azimuts, mais on assiste à une montée des interrogations, voire des contestations », a confirmé François Loscheider, délégué général du conseil de développement économique, poursuivant : « nous nous trouvons donc peut-être à un moment charnière qui implique de se poser et de rouvrir une discussion sur la façon de penser notre développement et notre aménagement ». La nécessité d’une meilleure coconstruction des projets, la meilleure prise en compte des enjeux de la transition écologique, l’évolution des pratiques du travail, les nouvelles attentes en matière d’habitat, constituent des tendances de fond qui s’ajoutent aux enjeux révélés par la crise sanitaire, tels que l’importance de la résilience du territoire.
Rééquilibrage et mixité
« Nous nous trouvons sans doute à la fin d’un cycle long pluri-décennal et d’un certain cycle de la production urbaine sur ces dix dernières années », a renchéri Daniel Behar, géographe et professeur à l’Ecole d’urbanisme de Paris. « Pendant longtemps, nous avons été sur des discours d’intention sur le projet du Grand Paris. Mais on constate deux choses. D’une part, une accélération de la production urbaine avec des effets d’anticipation qu’on avait sans doute sous-estimés. Elle se fait en très fort décalage par rapport aux intentions publiques : celles-ci imaginaient que le développement serait polarisé autour des gares. En réalité, il s’opère partout, notamment dans le diffus. »
« D’autre part, le rééquilibrage à l’est ne se produit pas, a-t-il ajouté. La production de bureaux se fait à l’ouest ou au nord mais non le long du métro. Sommes-nous capables de créer les conditions d’une meilleure coordination urbaine ? Et ne faut-il pas penser autrement les questions de rééquilibrage et de mixité à l’est quand les inégalités changent de nature et de géographie et qu’une “fractalisation” en cascade se produit au sein même des communes ? »
A ces éléments structurels s’ajoutent les effets de la crise sanitaire. « Elle interroge les fondements mêmes du développement urbain : l’organisation du travail et donc du commerce notamment. Ces éléments nous invitent à penser l’avenir avec un regard empreint de doute et de beaucoup d’humilité », a poursuivi Jonathan Sebbane, directeur général de la Sogaris.
Président du conseil départemental du Val-de-Marne, Christian Favier est allé encore plus loin dans la remise en cause : « les efforts importants menés en matière de renouvellement urbain ont-ils vraiment permis de changer la vie des habitants dans ces quartiers ? », a-t-il interrogé, poursuivant : « c’est un gros investissement public mais j’ai quelques interrogations sur ses effets réels sur la mixité, la réussite scolaire, l’accès à l’emploi, à la santé, à la vie sociale et culturelle. Au-delà de la transformation physique de ces quartiers, […] le bilan reste extrêmement mitigé ».
Pour débattre de tous ces points et de bien d’autres, les membres du Codev seront donc, dans les semaines qui viennent, invités à participer à des ateliers, co-animés par l’Institut Paris Region, « pour dessiner des chemins fructueux pour le Val-de-Marne pour la période 2020-2040 », a conclu François Loscheider. Avec un objectif clair : présenter en mars 2021 un manifeste aux décideurs publics.
Une volonté partagée de dialogue
Cette proposition a reçu un bon accueil des personnalités présentes. Ainsi, Olivier Capitanio, président (LR) de Paris Est Marne et Bois, estime que la dynamique qui s’est créée dans le cadre du projet Orbival constitue sans doute le vecteur de développement le plus important que le département ait connu ces dix dernières années. Pour lui, en effet, la façon dont se constitueront les pôles autour des gares du Grand Paris express sera décisive pour l’avenir.
Maire de la Queue-en-Brie, Jean-Paul Faure-Soulet a souhaité pour sa part que l’est du département ne soit pas le laissé pour compte d’un département déjà situé à l’est de la région parisienne. Parmi les questions qui lui semblent décisives à étudier, Jean-Luc Laurent, maire du Kremlin-Bicêtre, a cité celle de l’organisation institutionnelle, « mise sous le tapis ces dernières années ».
Le géant de la pharmacie Sanofi, tout comme la PME DM Compost, se sont également félicités de cette ouverture des instances départementales au dialogue. Nicole Richard, présidente de la chambre de métiers, a souligné l’importance de réfléchir à l’avenir de l’artisanat, qui doit également trouver sa place – et ses locaux – dans le Val-de-Marne du futur. « Pour le monde des entreprises, 20 ans est une période très longue », a, de son côté, remarqué Gérard Delmas, président de la chambre de commerce et d’industrie du Val-de-Marne. Les problématiques pour autant ne manquent pas : « comment réconcilier l’habitat et l’emploi ? Comment réfléchir au problème du foncier pour préserver l’activité économique ? », a interrogé le représentant des entreprises.
« Le Codev est peut-être l’endroit le mieux habilité à faire réfléchir ensemble des citoyens, des acteurs et des élus », a estimé pour sa part Daniel Breuiller, ancien maire d’Arcueil. Les questions, parfois dérangeantes, seront sans doute nombreuses. Christian Favier a commencé à en poser quelques unes : « ne faut-il pas réinterroger les projets ? Plus que l’extension des zones d’activités que nous connaissons, peut-être vaut-il mieux travailler à leur renouvellement ? » Le mot de conclusion est revenu à Raymond Le Deun, préfet du département : « devant les défis économiques, sociaux, et environnementaux à venir, faire progresser les idées ensemble est nécessaire, a-t-il estimé, et le Codev est un élément incomparable pour chasser en meute ».
11 % de la population régionale (1,387 million d’habitants),
9 % des emplois d’Ile-de-France (0,515 million d’emplois)
8 % des établissements économiques (103 000 établissements)
Présent, pour la production à Vitry-sur-Seine et Maisons-Alfort ainsi que pour les fonctions support à Gentilly, dans le Val-de-Marne, Sanofi est l’un des grands acteurs économiques du territoire. Quel est son impact sur son environnement ? L’entreprise est justement en passe de le calculer. « Nous essayons de voir quelles sont nos interactions avec le territoire », a expliqué Jean-Yves Moreau, directeur des relations institutionnelles du géant pharmaceutique.