En marge des rencontres nationales de l’eau publique, qui viennent de se tenir à Paris, Dan Lert, président d’Eau de Paris et maire-adjoint de la Capitale, et Philippe Rio, maire de Grigny (Essonne), vice-président de Grand Paris Sud et président de la Régie de l’Eau de Grand Paris Sud, détaillent les enjeux liés au mode de gestion de l’eau en Ile-de-France.
Quel regard portez-vous sur la perspective d’une fusion des deux géants de l’eau français, Véolia et Suez ?
Dan Lert : Le premier enjeu est démocratique. Dans le contexte actuel de concentration maximale des opérateurs, le passage à un quasi-monopole me paraît dommageable. La question de la capacité de contrôle des collectivités délégantes sur un délégataire d’une telle taille se pose. A Paris, nous avons, au contraire, l’expérience réussie de la remunicipalisation de la gestion de l’eau. Cela fait dix ans que nous l’avons repris en main et nous avons le recul suffisant pour dire que cela fonctionne.
Nous souhaitons d’ailleurs, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, aider les territoires qui voudraient faire de même. Nous allons nous y atteler, notamment avec Grand Paris sud, agglomération avec laquelle des discussions ont été engagées. Nous souhaitons apporter dans ce partenariat notre expérience en termes de transparence, d’accès universel à l’eau, de résilience, de contrôle démocratique, de durabilité de la ressource et de développement durable des territoires. Des structures telles que France eau publique peuvent aussi venir en appui.
Selon vous, les motivations de cette OPA de Véolia sur Suez sont-elles éloignées des préoccupations des usagers ?
DL : J’ajouterais, en effet, que cette course au gigantisme, sans doute motivée par des enjeux de concurrence commerciale à l’international, me semble très éloignée des questions que se posent les usagers du service public de l’eau, en termes de proximité, d’accessibilité ou de durabilité.
Pourquoi estimez-vous qu’il est vertueux de se réinterroger sur le mode de gestion de l’eau ?
Philippe Rio : Au regard de l’urgence écologique d’abord, démocratique aussi, se poser la question de la réappropriation des moyens de production et de transport est à nos yeux un impératif, notamment économique et tarifaire. Les territoires doivent se réapproprier leur avenir et l’eau constitue en l’espèce un enjeu central. Nous avons l’obligation de bâtir une ville sobre, une ville résiliente, une ville au cœur de la transition écologique et sociale.
Nous sommes aujourd’hui, à Grand Paris Sud, dans un système de délégation de service public monopolistique, avec le groupe Suez. Or Eau de Paris traverse notre territoire avec l’aqueduc de la Vannes et du Loing, pour transporter vers Paris de l’eau de source, alors que nous sommes alimentés par de l’eau de la Seine. La question de l’étiage de la Seine pour les années à venir, du stress hydrique, invite à cette diversification. Dans cette perspective de réappropriation, nous nous sommes naturellement tournés vers un partenaire public, pour un partenariat public-public, où tout le monde est gagnant. Ce qui nous a conduit à signer une convention de vente d’eau sous contrat avec Eau de Paris, prévoyant une livraison de dix millions de m3 par an sur le territoire de Grand Paris Sud.
Gériez-vous déjà la distribution de l’eau en régie ?
PR : Oui, et notre régie va s’étendre géographiquement, sans doute pour correspondre au périmètre de l’ensemble de l’agglomération, puisque de nouvelles communes ont déclaré leur intention de la rejoindre. La consommation de Grand Paris Sud s’élève ainsi à quelque 20 millions de m3 par an. Nous avons mis en place également des coopérations avec les EPCI environnants, pour poser les bases d’un syndicat mixte de production et de transport afin de peser fortement sur cette question.
Faut-il créer un grand “ring” de l’eau, comme le souhaite notamment le président du Sedif, André Santini ?
DL : Je reprendrais volontiers, en l’occurrence, les mots de Célia Blauel, qui m’a précédé à la présidence d’Eau de Paris, et qui estimait qu’un tel grand ring de l’eau constituait une mauvaise réponse à une bonne question. La question fondamentale est celle de la résilience de la zone dense autour de Paris et la capacité de nos services d’eau potable à garantir une alimentation en cas de crise, qu’il s’agisse de crues, de sécheresses, ou d’incidents sur le réseau.
A notre sens, la meilleure réponse n’est donc pas d’engager des travaux pharaoniques, dont la faisabilité technique et financière reste d’ailleurs largement à démontrer. Au lieu de poser des centaines de kilomètres d’énormes tuyaux supplémentaires, notre idée est davantage de nous appuyer sur les infrastructures existantes, de relier les différents services entre eux avec les opérateurs de seconde couronne, de les moderniser et d’intensifier ainsi les échanges d’informations entre les différents services, pour bâtir cette configuration de l’eau souhaitable à l’échelle du Grand Paris et même de l’agglomération francilienne.
PR : Je partage les propos qui viennent d’être tenus. Les territoires possèdent des dynamiques, des coopérations propres, et des singularités hydrologiques différentes. Si l’on met le territoire sur le devant de la scène, dans un rapport qui rappelle les relations entre un état centralisateur et les collectivités territoriales, on s’aperçoit que la réflexion que nous devons avoir sur la question du périmètre pertinent, ou des périmètres pertinents, compte tenu des réalités différentes auxquelles nous sommes confrontés, se pose. Autrement dit, la question de la décentralisation de la production et du transport de l’eau se pose, dans un modèle où chaque territoire doit avoir son mot à dire. Une centralisation excessive m’interroge. On ne parle pas de la même manière de l’eau dans le Vexin et à Grand Paris Sud.
Etes-vous favorable à une métropolisation de la gestion de l’eau ?
DL : La maire de Paris s’est exprimée à plusieurs reprises sur cette question, estimant que l’heure n’était pas à jouer au Lego technico-politique. Les enjeux sont ailleurs. La coopération entre nos territoires est la meilleure réponse. Il n’est nul besoin d’un grand chambardement. A Paris, nous avons démontré notre capacité à maîtriser le prix de l’eau, tout en maintenant un haut niveau d’investissement. La municipalisation, c’est un service qui fonctionne mieux, en étant davantage en lien avec l’usager.
Les majors de l’eau ne possèdent-elles pas, compte tenu de leur taille et de leur expérience, un niveau de technicité hors d’atteinte pour des opérateurs municipaux ?
PR : Il est certain que nos entreprises privées françaises possèdent un niveau de technicité très élevé. Ce qui font que ce sont des champions mondiaux. En tant qu’élu, je reconnais cette qualité. Mais je constate également qu’au cours des dix dernières années, les collectivités locales se sont également dotées d’un très haut niveau de technicité et d’un savoir-faire en interne, qui permet d’ailleurs de challenger davantage ces entreprises privées, voire même de les dépasser. Il en va de la souveraineté territoriale, que seuls les élus ont la capacité de faire respecter !