D. Alba et S. Jankel (Apur) : « Dans les quartiers de gare, l’enjeu majeur reste l’accueil du piéton dans des rues plantées et animées »

Dominique Alba, directrice générale de l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur), et Stéphanie Jankel, directrice d’études, pilote de l’observatoire des quartiers de gare, décrivent les mutations en cours dans les quartiers de gares et le sens de la démarche « Vitalisation des quartiers de gare », qui vise à mieux coordonner les projets autour et entre les gares du Grand Paris express, pour maximiser l’effet réseau du métro automatique.

Quels sont les principaux enseignements du deuxième opus que vous venez de publier sur les mutations des quartiers de gare du Grand Paris express ? 

Nous constatons une dynamique très importante qui anticipe l’arrivée des gares dans la majorité des quartiers. Comme vous le savez, l’observation des mutations est menée dans le cadre de l’observatoire des quartiers de gare du Grand Paris express, en lien avec la Société du Grand Paris (SGP) et la Direction régionale interdépartementale de l’équipement et de l’aménagement (DRIEA, désormais DRIEAT – Direction régionale et interdépartementale de l’environnement, de l’aménagement et des transports d’Île-de-France).

Les projets sont analysés au regard de cinq politiques publiques : le rééquilibrage territorial/la mixité fonctionnelle et l’accélération de la construction de logement ; la mixité sociale et la réduction des inégalités ; l’engagement environnemental et la ville zéro carbone ; l’accessibilité et l’embellissement des espaces publics ; et les nouveaux modes de faire.

Dominique Alba et Stéphanie Jankel. © Apur/A. de Roux

L’étude porte sur les quartiers au sens du rayon de 800 m, distance que l’on parcourt en 10 min. Si ce périmètre a bien sur des limites, on ne vit pas dans un cercle de 800 m autour d’une gare, il correspond à la zone d’attractivité couramment admise autour de ce type de desserte et il permet des comparaisons entre des quartiers situés dans des contextes urbains très variés, en termes de géographie, de densité ou d’occupation.

Quels sont les grands chiffres à retenir ?

Le nouveau métro relie 120 communes et s’accompagne de projets menés par des acteurs très divers. L’étude porte sur tous les projets de plus de 2 ha, principalement des opérations publiques. Nous avons comptabilisé pas moins de 360 projets autour des 68 gares du GPE, projets qui représentent une surface au sol de 12 000 ha, dont 7 000 ha sont situés dans les périmètres de 800 m. Cela représente, en moyenne, un tiers de la surface de l‘ensemble des quartiers. C’est considérable et cela reflète la profonde transformation engagée dans le territoire métropolitain.

L’étude révèle aussi les très grandes différences entre tous ces quartiers. Des quartiers entièrement nouveaux comme sur le plateau de Saclay, ou connaissant des transformations majeures, qui vont générer de nouveaux pôles d’attractivité comme Nanterre-la-Folie, Saint-Denis Pleyel, Bry-Villiers-Champigny, Villejuif Gustave Roussy, des quartiers plus mixtes comme Bagneux, les Agnettes, Clichy-Montfermeil. Dans quelques cas plus rares, le seul grand projet est la construction de la gare, les transformations se faisant alors à bas bruit, dans le diffus, c’est-à-dire en dehors des opérations d’aménagement. A titre d’information, plus de 60 % des mètres carrés qui se construisent dans la MGP le sont dans le diffus (*).

Dans les 68 quartiers de gare du GPE, 20 millions de m2 restent à construire d’ici à 2030 sur les 32,6 millions de m2 programmés. Cela représente, au total, la construction de 200 000 logements et de près de 19 millions de m2 de surfaces d’activités.

L’arrivée prochaine du métro a-t-il déjà des effets sur la production immobilière ?

Là aussi, les situations sont très variées. Certains quartiers n’ont pas attendu le nouveau métro, comme Pont de Sèvres, d’autres projets sont déclenchés, accélérés ou amplifiés par son arrivée, comme à Noisy-Champs. La limite de ces programmes, portés par des acteurs différents, reste la place insuffisante de l’espace public et de la nature, et le renforcement des liens à tisser avec ce qui est déjà là, voire avec les autres projets qui se développent autour.

Cela concerne tout particulièrement la pratique de la marche à pied dans de bonnes conditions pour rejoindre la gare, qui demande souvent d’élargir les trottoirs pour absorber les nouveaux flux liés au GPE. Les espaces verts sont peu présents, alors même que l’on engage la création de milliers de logements.

Constatez-vous d’importantes disparités pour ce qui est de l’attractivité relative des quartiers étudiés ?

Il se construit environ sept millions de m2 par an dans la métropole du Grand Paris et ce chiffre vaut pour les quatre ou cinq prochaines années (*). Par ailleurs, deux tiers des 68 quartiers de gare sont déjà desservis par un transport en commun ferré, RER, métro ou Transilien et se développent assez vite. On est donc dans un système globalement dynamique mais il reste vrai – et l’analyse des mutations le confirme –  que l’est se développe moins vite que l’ouest, toujours davantage sous les yeux des promoteurs.

Coronapistes à La Défense. © Apur

Pistes cyclables à Nanterre-la-Folie. © Apur

Autre point pour apprécier l’attractivité, la temporalité : globalement, les ménages anticipent l’arrivée d’un métro pour l’achat de leur logement et moins les entreprises, qui ne vont pas faire venir leurs salariés dans un endroit qui n’est pas encore desservi. Nous verrons si l’effet crise sanitaire accentue la production de logements et assure le rééquilibrage de certains quartiers situés à l’ouest dans lesquels l’activité reste trop dominante. Enfin, le nouveau réseau dessert de très nombreux quartiers avec une très forte présence de logements sociaux et si la crainte d’une augmentation des prix dans ces quartiers reste fondée, on peut aussi considérer que, à la fois le « contrôle » des collectivités avec les chartes promoteurs et la dynamique générale qui crée une concurrence, vont limiter ce risque.

L’attractivité fonctionne beaucoup par capillarité, comme en témoignent les évolutions sur un temps long. Les 27 communes qui entourent Paris présentent désormais globalement les mêmes indicateurs que ceux des quartiers parisiens situés de l’autre côté du boulevard périphérique. Habiter Vincennes et être desservi par la ligne 1 du métro et le RER A offre la même qualité de desserte que dans Paris. Le nouveau réseau va fabriquer autre chose, moins capillaire et davantage multipolaire, un développement polycentrique très différent de ce qui a prévalu au XXe siècle dominé par l’attractivité de Paris et la tentative des villes nouvelles.

Le territoire métropolitain dans dix ans disposera d’une desserte type « métro » sur 700 km2, donnant accès à des centralités très différentes et déjà très constituées, centralités de nature, de services, d’emplois, d’habitat. L’enjeu pour les quartiers de gare est triple : associer ce qui existe et les habitants déjà là, tirer parti de leurs différences et tisser des liens entre eux… « Inventer la métropole » a permis ces découvertes et a ouvert des possibilités nouvelles. Et c’est le rôle du schéma de cohérence territoriale (Scot) de favoriser cette attractivité polycentrique très éloignée de la notion de « hub » : accélérer la mise en réseau, offrir à chacun une égalité d’accès aux services, qui prendra appui sur la mobilité apportée par le nouveau métro, à savoir des réseaux culturels, économiques, liés à la santé, au sport….

Quel est l’objectif de la démarche « Vitalisation des quartiers de gare », à laquelle vous contribuez avec l’Etat et divers partenaires ?

Le sens de la démarche « Vitalisation des quartiers de gare » réside dans la volonté de promouvoir l’aménagement des quartiers de gare à la hauteur des ambitions du Grand Paris des transports et de profiter de cette formidable opportunité pour renforcer l’effet réseau du Grand Paris express. Les quartiers de gare doivent contenir certains éléments pour apporter des aménités urbaines à hauteur de la densification et du changement du cadre de vie qu’ils représentent. Et parmi ces éléments, la capacité à tisser des liens est essentielle : par exemple en prévoyant les cheminements piétons, des pistes cyclables permettant les rabattements aux gares, des jardins, des trames vertes, des corridors écologiques, mais aussi en intégrant des nouveaux services comme des bornes de recharge électrique, les services vélos, etc.

Si l’on s’empare de cette question et que l’on parvient à la traiter dans toutes ses dimensions, le métro automatique générera plus de gagnants que de perdants. Les sites qui ne bénéficient pas aujourd’hui d’un embouteillage de projets, parce qu’ils ne sont pas sous les projecteurs, sont aussi ceux où l’arrivée du métro aura le plus grand effet de levier socio-économique, de désenclavement et d’ouverture des champs du possible pour leurs habitants. A condition que les différents acteurs réussissent à associer ce qui est déjà là et ce qui arrive dans un même projet.

Les comités de pôles ne remplissent-ils pas déjà ce rôle ?

Les comités de pôle installent une logique « commune » autour des gares. Ils réunissent les acteurs concernés par l’arrivée du métro dans un secteur de 300 m autour des gares. Il s’agit des communes concernées, de la SGP, d’Ile-de-France mobilités (IDFM) et de l’ensemble des acteurs locaux. Ces comités décident d’un projet d’aménagement lié principalement à la mobilité autour de la gare, par exemple pour savoir où l’on fait passer telle ligne de bus, comment améliorer l’accès à la gare et quels aménagements sont nécessaires pour favoriser les mobilités douces. Ils réunissent aussi tous les maires concernés par l’arrivée d’une gare, 75 % des quartiers de gare se situant à cheval entre deux communes. La démarche « Vitalisation des quartiers de gare » suppose de poursuivre ces coopérations sur des périmètres plus grands, de dézoomer et d’aborder l’ensemble des volets de l’aménagement d’un quartier mais aussi inter-quartiers.

Quelles sont les premières orientations de la démarche « Vitalisation des quartiers de gare » ?

Les études que nous avons réalisées sur les mutations en cours et à venir dans les quartiers de gare à l’horizon 2030 (*) ont montré que certains aménagements requéraient plus de place, plus d’attention. Par exemple les espaces verts et les espaces publics ne bénéficient pas dans tous les projets de la place nécessaire. De même, les franchissements de grandes infrastructures, qui produisent des coupures entre les quartiers et ne permettent pas un rabattement optimal vers les gares, ne sont pas toujours suffisamment pris en compte ou financés. Et enfin, deux autres angles de la démarche vitalité concernent l’animation des rez-de-chaussée et la régulation du stationnement automobile. Sur la base de ces constats, l’Etat a souhaité « entrer davantage dans le jeu » de l’aménagement des quartiers de gare du Grand Paris express, en impulsant cette démarche partagée et concertée, « Vitalisation des quartiers de gare ».

Gare de Bagneux : avancement des travaux, mars 2021. © SGP David Delaporte

Place de France, Massy. Structure bois de l’atelier Yok Yok. ©Jean Michel Molina

Qu’est-ce que cette démarche peut apporter concrètement ?

L’Etat apporte notamment dans ce cadre son ingénierie et, potentiellement, des financements du plan de relance et du contrat de plan Etat-Région. Ces moyens peuvent être attribués au travers d’un contrat de projet partenarial d’aménagement (PPA), comme c’est le cas pour les gares de la ville de Sevran ou par d’autres formes de contractualisation selon les contextes locaux… ll appartient, dans tous les cas, aux communes et aux intercommunalités de mener la réflexion sur le projet urbain à une échelle adaptée pour chacune de ses dimensions, répondant, d’une part, aux besoins essentiels des habitants (construction de logements, solutions de mobilité, équipements publics, espaces verts, etc.) tout en veillant à la gestion économe des sols et, d’autre part, aux enjeux environnementaux (prise en compte de la biodiversité, lutte contre les îlots de chaleur, nouvelles attentes des habitants depuis la crise sanitaire). La démarche « Vitalisation des quartiers de gare » ne vise pas à remettre en cause des projets déjà engagés, mais à accompagner les projets dès lors que la collectivité en exprime le souhait, afin de répondre pleinement aux enjeux de l’arrivée du Grand Paris express.

Certains maires ont estimé qu’il s’agissait d’une démarche trop descendante. Pourquoi ?

Autour du préfet de la région Ile-de-France, un comité de pilotage régional a été mis en place. Deux comités de pilotage « Vitalisation des quartiers de gare » ont eu lieu. La démarche a été initiée par le préfet de région, mais elle associe un grand nombre de partenaires, dont notamment les établissements publics d’aménagement, agences et opérateurs fonciers et de construction de l’Etat, la Société du Grand Paris, la région Ile-de-France, la métropole du Grand Paris, l’Association des maires d’Ile-de-France, la Banque des territoires, Ile-de-France mobilités et les agences d’urbanisme – l’Atelier parisien d’urbanisme et l’Institut Paris Region. Le dernier comité de pilotage a eu lieu en présence d’Emmanuelle Wargon, ministre du Logement.

La suite n’est pas écrite. Il y aura autant de déclinaisons que de quartiers. L’idée est de retrouver la qualité, l’innovation et la souplesse qu’apporte le « faire ensemble », pour aller au-delà des réponses inscrites dans les cadres de la planification, des contraintes de programmes prédéterminés ou de périmètre d’action.

Une première étape pourrait prendre la forme d’un atelier « revue de projet » qui permettra du partage de connaissances. ll s’agit d’installer ce qui nous manque tant, des espaces de conversation. C’est également le sens du travail qui s’engage avec la SGP et la DRIEAT, partenaires de l’observatoire des quartiers de gares. Après les portraits par quartiers, l’analyse des mutations à horizon 2030, 2021/2022 seront consacrées à des approches plus fines pour apprécier les mutations des rues, des espaces publics, des rez-de-chaussée, du stationnement, et un volet prospectif tourné vers les innovations programmatiques, juridiques, voire réglementaires. Pour répondre au cadre si complexe aujourd’hui de réalisation, on nous dit qu’il faut arriver à simplifier les projets. Il nous semble qu’il faudrait plutôt arriver à faire beaucoup plus simplement des projets plus variés dans leurs contenus, hybrides, multi-programmes, des espaces publics multi-usages. N’oublions pas que nous aimons vivre dans des quartiers et des villes mixtes, diverses et complexes.

 

* Mutations dans les quartiers de gare du Grand Paris express – 33 gares mises en service d’ici 2030 (février 2021)

Mutations dans les quartiers de gare du Grand Paris express – 35 gares mises en service d’ici 2025 (novembre 2019)

Évolution des besoins en matériaux pour les chantiers du Grand Paris.
Première approche pour le béton (mars 2021)

Sur le même sujet

Top