Après six ans de travaux, le nouveau musée départemental Albert-Kahn ouvre ses portes au public le 2 avril 2022, dans un bâtiment signé Kengo Kuma.
Situé à Boulogne-Billancourt, créé autour de l’œuvre du philanthrope Albert Kahn (1860-1940), banquier à la fortune considérable et amateur éclairé, le site se compose à la fois d’un musée de collections de photographies et de films et d’un jardin patrimonial à scènes paysagères.
Ce vaste chantier de restructuration, qui fait l’objet d’une labellisation HQE, comprend la construction d’un nouveau bâtiment de 2 300 m2 et la réhabilitation de huit autres (sept bâtiments patrimoniaux du site et l’ancienne galerie d’exposition). Il a été porté par le conseil départemental des Hauts-de-Seine, propriétaire depuis 1968 du site.
Kengo Kuma & associates
La proposition du cabinet Kengo Kuma & associates a été retenue en octobre 2012, dans le cadre d’un concours international. « Conscient de la relation particulière qu’Albert Kahn entretenait avec le Japon, le cabinet a proposé une réinterprétation d’un élément traditionnel de l’architecture japonaise : « l’Engawa », espace limitrophe entre intérieur et extérieur », indique le Département. La réinterprétation de cet élément qui se développe sur l’ensemble du site permet de créer un dialogue entre patrimoine bâti et jardins et de forger une identité, une cohérence, à l’ensemble, renforcé par l’écho permanent de matériaux choisis : bois clair, bambou, métal. Intégré au jardin, le nouveau projet y puise son énergie utilisant la géothermie sur nappe qui fournit la quasi-totalité des besoins en énergie du nouveau musée et de la galerie.
À l’intérieur du nouveau bâtiment, le visiteur découvre au rez-de-chaussée l’espace d’accueil, la librairie-boutique, le café, le centre de documentation et la première partie du nouveau parcours permanent. Au premier étage, un espace de 600 m2 est offert aux expositions temporaires. Au même niveau se situe le « Salon des familles », nouvel espace de découverte ludique des collections, en accès gratuit pour les enfants et leurs accompagnateurs. Enfin, au dernier étage, se trouve un restaurant avec une terrasse donnant sur le jardin (ouverture fin 2022).
Mise en lumière scénographique du jardin
L’ancienne salle de projection, les ailes latérales de la serre et la grange vosgienne ont été réhabilitées pour devenir des lieux d’exposition. La salle des plaques, pièce où étaient conservées les autochromes, est quant à elle consacrée à la question de « l’inventaire du monde » et accueille des propositions artistiques autour des notions d’archives et de consignation du réel. Enfin, l’ancienne galerie d’exposition abrite un nouvel auditorium de 100 places et une salle pédagogique et de conférence.
Le département des Hauts-de-Seine a profité des travaux de rénovation du musée pour agir sur la mise en lumière scénographique du site en valorisant les scènes paysagères du jardin anglais. Cette scénographie s’appuie sur 450 projecteurs et équipements, représentant 1 827 ampoules LED basse tension. Son objectif : dessiner un tracé lumineux pour border le futur cheminement des visiteurs entre les bâtiments.
Renouer avec l’émerveillement esthétique
Le musée a été créé autour du patrimoine considérable issu du projet du banquier philanthrope Albert Kahn (1860-1940), acquis par le département de la Seine en 1936, et comprenant sa propriété à Boulogne-Billancourt et les collections photographiques, filmiques et végétales qu’il y a constituées. « L’établissement se veut à la fois un musée d’éducation à l’image et par l’image, tourné vers les questions de société, souligne la collectivité. Le musée Albert-Kahn entend également cultiver son ancrage dans un lieu – Boulogne-Billancourt, lieu de résidence du banquier philanthrope, son « campus » et son lieu d’expérimentation, de production et de diffusion de ses idées. L’établissement entend accorder une place centrale à la question du végétal et du vivant, à sa connaissance et sa préservation – en premier lieu par le jardin, témoignage de l’art horticole au tournant du XXe siècle et miroir sensible du projet scientifique de son créateur ».
La nouvelle présentation des collections entend renouer avec l’émerveillement esthétique souhaité par le banquier philanthrope lors de ses projections des Archives de la Planète, en mobilisant des dispositifs immersifs à même d’offrir une expérience sensorielle et sensible. Albert Kahn utilisait les techniques les plus modernes de son temps pour capturer l’essence d’un monde en transformation. « De même, le musée s’appuie largement sur les technologies numériques de ce début du XXIe siècle, une évidence au regard de la fragilité des collections qui interdit la présentation des originaux mais aussi une façon de répondre aux usages des nouvelles générations de visiteurs », indique le conseil départemental.
Dans la cadre de sa réouverture, le site internet du musée a fait l’objet d’une refonte complète. Mis en ligne le 16 novembre 2021, il se prolongera par le nouveau portail des collections : des recherches thématiques aux galeries virtuelles, le portail permettra de découvrir une large sélection d’œuvres (photographies, films ou objets), de documents ou de fonds d’archives conservés par le musée. La réutilisation des images sera largement encouragée grâce à la mise en ligne sous licence Creative commons d’une grande partie des collections.
L’exposition temporaire inaugurale embarque les visiteurs dans un voyage aux origines des « Archives de la Planète », en proposant une traversée des collections du musée et une exploration des représentations du voyage à travers la photographie et le film depuis le début du XXe siècle. Le thème de cette première exposition temporaire – l’expérience du voyage et sa représentation – est un retour aux fondamentaux du projet d’Albert Kahn, et des collections mêmes, nées d’une volonté d’inventorier la diversité d’un monde en mutation, marqué par l’irruption de la modernité industrielle et financière et l’essor des déplacements.
L’exposition se déploie autour d’un noyau historique de la collection, le « Voyage autour du monde », réalisé par Albert Kahn entre 1908 et 1909 accompagné de son chauffeur-mécanicien, Albert Dutertre, formé spécialement à la photographie et au cinéma. Environ 3 500 plaques stéréoscopiques – prises de vues en noir et blanc ou en couleur permettant de restituer le relief –, et 2 000 m de pellicule – soit 1h30 de film – sont aujourd’hui conservées de ce périple.
C’est à la suite de ce tour du monde qu’Albert Kahn lance son projet de documentation visuelle du monde, les « Archives de la Planète ». Le récit de cette traversée depuis la France vers les continents américain (États-Unis) puis asiatique (Japon, Chine) est connu grâce au journal de route qu’Albert Dutertre rédige quotidiennement entre le vendredi 13 novembre 1908 et le jeudi 11 mars 1909. « L’accumulation des vues stéréoscopiques et des films – les prises de son sur phonographe ayant aujourd’hui disparu – opérées par Dutertre, témoigne d’un regard en construction, celui d’un amateur se prenant tant au jeu du voyage, comme expérience sensible de l’altérité, qu’au jeu de l’image, usant avec inventivité de la force visuelle « instantanée » offerte par la prise de vue stéréoscopique », souligne le musée. Entre description des choses vues et regard sociologique ou ethnographique, ce double témoignage écrit et visuel restitue les atmosphères, les remous, les rencontres et les découvertes qui jalonnent ces cinq mois. Il constitue le fil conducteur de la visite de l’exposition, réparti en cinq espace-temps du voyage : de la traversée de l’Atlantique, aux visites des États-Unis, du Japon, de la Chine, et d’un chemin du retour à travers la Malaisie, le Sri Lanka, le canal de Suez jusqu’aux rivages méditerranéens.
Georges Siffredi : « Un aboutissement et une renaissance »
« Le nouveau musée départemental Albert-Kahn est un aboutissement et une renaissance, estime le président du département des Hauts-de-Seine Georges Siffredi. Le projet, qui a mobilisé les équipes départementales pendant plus de dix ans, depuis le concours d’architecture de 2012, reflète aujourd’hui les engagements du territoire qui l’accueille : proximité, innovation et développement durable, pour un musée résolument tourné vers le XXIe siècle. À l’instar d’autres jalons de la vallée de la culture des Hauts-de-Seine, le nouvel équipement est emblématique de l’ambition culturelle du Département, une culture porteuse d’épanouissement et de citoyenneté pour tous les publics, et en particulier les plus jeunes, mais aussi de qualité de vie et d’attractivité. »
Pierre-Christophe Baguet : ces Boulonnais « promoteurs d’un humanisme visionnaire »
« Riche d’une histoire de plus de 700 ans, ville pionnière dans l’automobile et l’aéronautique, berceau du cinéma et de l’Art Déco qui s’y illustrèrent tant sur le plan architectural qu’artistique, Boulogne-Billancourt demeure à la fois l’écrin et le tremplin de multiples formes d’expression ouvertes au monde et à toutes les cultures, souligne Pierre-Christophe Baguet, maire de Boulogne-Billancourt et 1er vice-président du département des Hauts-de-Seine. D’illustres Boulonnais furent les artisans et les promoteurs de cet humanisme visionnaire et plus que jamais d’actualité, cherchant à comprendre pour mieux s’entendre, à rebondir sur les singularités plus qu’à les uniformiser. Aux côtés d’Henry Kahnweiler réunissant chez lui les plus grands artistes, écrivains et architectes, de Paul Landowski créant le Christ Rédempteur du Corcovado et dessinant les plans de son Temple de l’Homme, d’Auguste Bartholdi concevant sa Statue de la Liberté, Albert Kahn apparaît comme le promoteur incontournable de cet universalisme ».