P. Le Galès : « Paris n’est pas plus compliquée que les autres régions métropolitaines dans le monde »

Patrick Le Galès, politiste et sociologue comparatiste, directeur de recherche CNRS au Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po et doyen de l’Ecole urbaine de Sciences Po, publie « Gouverner la métropole parisienne ». Cet ouvrage collectif analyse le gouvernement – et la gouvernance – de l’agglomération parisienne par le prisme des sciences sociales. Une gouvernance considérée comme un entre-deux entre l’ancien monde régi par le couple Etat-communes et un nouveau système, qui demeure largement à inventer.

Quelle est la genèse de cet ouvrage ?

Cet ouvrage a pour origine « Cities are back in Town », un groupe de recherche comparatif en sciences sociales qui étudie les questions urbaines à Sciences-Po à partir de différentes disciplines en relation étroite avec l’Ecole urbaine de Sciences Po. Dans le cadre du projet WHIG (What is governed and not governed in large metropolis), nous avons engagé un programme de recherche sur la métropole parisienne. Ce premier ouvrage met l’accent sur les dimensions de gouvernement, de gouvernance, de politiques publiques urbaines et sur les inégalités sociales.

S’agissant du Grand Paris, notre point de départ consiste à réfléchir de façon comparative. Notre groupe de recherche a effectué de nombreux travaux sur Londres, Los Angeles, São Paulo ou Mumbai. Nous pensons que l’urbanisme et l’aménagement n’est qu’une politique publique parmi beaucoup d’autres. Nous réfléchissons donc sur les aspects de transformation économique ou sur les dynamiques sociales. Nous avons beaucoup travaillé sur les ségrégations. Mais « Gouverner la métropole parisienne » n’est pas un livre spéculatif sur ce que pourrait ou devrait être l’organisation administrative de l’Ile-de-France. Nos questions et nos recherches, empiriques, sont les suivantes : comment gouverne-t-on, qui gouverne, qui est gouverné, qui n’est pas gouverné, qu’est ce qui est plus ou moins fortement gouverné dans le temps ?

Patrick Le Galès, directeur de recherche au CNRS, Doyen de l’Ecole urbaine de Sciences Po, professeur, enseignant chercheur. © DR

Dans un récent webinaire, autour de Pierre Mansat, plusieurs intellectuels ont déploré que le Grand Paris soit gouverné par les seules lois du marché. Partagez-vous cette analyse ?

Ce n’est pas le cas, sauf si l’on parle du marché de l’immobilier de bureau, et encore ! L’appareil d’Etat a toujours joué un rôle important. Et, si l’on compare avec les autres pays européens, on est tout de même dans un système dans lequel les autorités publiques disposent d’importantes ressources. Les collectivités locales ont, par exemple, de fortes capacités à négocier le contenu des zones d’aménagement concerté (ZAC), de faire de la préemption. Par ailleurs, les projets entièrement maîtrisés par la sphère publique ne sont pas nécessairement idéaux. Les promoteurs réalisent des profits, mais prennent aussi des risques. Cela s’appelle le système capitaliste. Ce sont des choses qui évoluent lentement dans le temps.

Il est vrai que le marché joue un rôle important dans l’immobilier de bureaux. On voit également arriver des fonds de pension et des investisseurs internationaux sur les résidences étudiantes ou de personnes âgées, avec des effets de standardisation. Mais c’est beaucoup moins le cas pour le logement, où les grands investisseurs internationaux sont totalement absents, en tout cas dix fois moins présents qu’à Londres ou Amsterdam.

Nous avons notamment voulu rappeler dans ce livre que l’urbanisation de la région parisienne a depuis longtemps constitué un problème pour l’Etat. Nous avons donc mené des travaux précis et nouveaux sur l’invention du préfet de région, sur le rôle des préfets et l’appareil d’Etat au niveau régional. Plusieurs chapitres y sont consacrés. Il s’agissait de savoir comment l’Etat a rendu la région Ile-de-France gouvernable en développant son propre appareil, avec des outils plus ou moins coordonnés, qu’il s’agisse des transports, des hôpitaux ou de l’aménagement.

Comment abordez-vous la décentralisation qui a caractérisé les dernières décennies ?

Nous étudions la montée en puissance de la décentralisation, en essayant de montrer ses conséquences sur un certain nombre de politiques publiques. Nous abordons naturellement aussi les réformes institutionnelles. J’insiste beaucoup sur le fait que, quand on réfléchit au gouvernement de la région Ile-de-France, il y a l’aménagement et l’urbanisme, certes, mais il faut regarder aussi d’autres domaines, tels que la police. La préfecture de police, par exemple, est longtemps restée dans les frontières de la ville de Paris, ce qui, semble-t-il, n’est pas toujours le cas de la délinquance… Il a fallu beaucoup de temps pour parvenir à ce que le périmètre d’intervention de la préfecture de police de Paris soit agrandi.

Certains disent que le problème en Ile-de-France ne provient pas du nombre de strates mais de la violence des conflits entre elles. Partagez-vous cette analyse ?

A moitié seulement. La région parisienne n’est pas plus compliquée que les autres régions métropolitaines dans le monde. On rencontre un haut niveau de complexité ainsi qu’un grand nombre d’acteurs, où que l’on se situe dans le monde. Est-ce que les conflits en Ile-de-France sont plus violents qu’ailleurs ? Cela ne me paraît pas frappant. Il existe des tensions particulièrement vives dans d’autres agglomérations. Même s’il est vrai que l’on a sans doute la particularité d’être en présence de plusieurs autorités politiques très fortes. C’est vrai pour l’Etat ou pour la ville de Paris. La Région est également montée en puissance.

Quel est votre analyse de la métropole du Grand Paris cinq ans après sa naissance ?

Un des chapitres de cet ouvrage, signé de Patrick Le Lidec, revient sur les conditions de la naissance de la Métropole, qui expliquent sans doute largement la situation actuelle. Il est vrai que la MGP est mal née institutionnellement. Elle résulte d’une série de compromis, qui font que l’on ne peut pas aujourd’hui être totalement surpris de son caractère inabouti. Ce n’est pas seulement un problème institutionnel, mais aussi une question de rapport de force politique : en lui allouant très peu de ressources et en renforçant les établissements publics territoriaux, on a empêché la MGP de jouer un rôle. Il faut comparer à ce titre la centaine d’agents qui constituent les effectifs de la Métropole, avec les plus de 50 000 agents de la ville de Paris et les quelque 10 500 de la Région, dont 8 500 agents techniques. On n’est pas dans les mêmes registres.

Cela est-il lié selon vous aux aléas des alternances politiques ?

Les socialistes, alors au gouvernement, s’apprêtaient à attribuer d’importantes ressources à la Métropole jusqu’à ce qu’ils constatent, après les élections municipales de 2014, qu’ils n’y détiendraient pas la majorité… La ville de Paris n’a pas forcément intérêt au développement de la Métropole. D’autres défendent la Région et l’on n’a pas supprimé les Départements. Il existe donc une logique institutionnelle.

En réalité, la métropole du Grand Paris n’a jamais été pensée pour jouer un rôle réellement important en termes de gouvernement. Celui de la région parisienne relève aujourd’hui principalement de l’Etat, des communes, des établissements publics, de syndicats, de la Région. Imaginer qu’il existe un endroit où tout va pouvoir se résoudre n’a pas énormément de sens à mes yeux. De la même façon, je ne suis pas nostalgique d’un temps où la ville était l’affaire exclusive des ingénieurs, des urbanistes et des aménageurs… Qui jouent toujours un rôle important et c’est heureux.

Il me semble aussi important de regarder où sont les écoles et la formation, comment on change les comportements face à la crise climatique, comment sont gérées les affaires sociales, comment l’on s’occupe des pauvres, comment l’on organise le développement économique, où sont les logiques d’innovation, que deviennent les politiques culturelles, que fait-on avec les migrants, quels sont les effets de la fiscalité sur la ségrégation ou les inégalités, etc. Si l’on prend ce prisme, on ne peut pas être nostalgique du passé, avec Paris dans son splendide isolement, une logique départementaliste très politique qui n’était pas non plus extraordinaire et des maires, gaullistes, communistes ou centristes puis socialistes, qui vivaient dans leur parfait isolement.

Considérez-vous que tout n’est pas forcément mieux ailleurs ?

Certes, certaines choses fonctionnent mal en Ile-de-France. Mais si l’on observe le logement, le transport, ce n’est pas extraordinaire à New York, cela fonctionne encore moins bien à Londres ou à Los Angeles. Ce n’est pas extraordinaire non plus à Tokyo, sauf pour les transports notamment. Les comparaisons permettent de relativiser les constats. Lorsque l’on regarde qui gère les squats ou comment les choses se passent sur tout un ensemble de sujets, on s’aperçoit que des logiques sont en train de se mettre en place. Nous sommes sortis du système dans lequel tout était réglé par l’Etat, les syndicats intercommunaux, les différents organismes publics et les communes. Un nouveau système émerge avec la Région, des groupes d’habitants et des associations, des intercommunalités, des pôles de développement, des réseaux d’entrepreneurs, la métropole du Grand Paris et une myriade de réseaux. Il n’est pas stabilisé.

« Mais si l’on observe le logement, le transport, ce n’est pas extraordinaire à New York ». © Jgp

Quel regard portez-vous sur les appels à projets urbains innovants, parfois critiqués ?

Une expérience fortement portée et valorisée par Jean-Louis Missika. Cela a joué un rôle. Cela crée des dynamiques, déstabilisant au passage un certain nombre de professionnels, remettant en cause la manière avec laquelle travaillaient des promoteurs, des architectes, des urbanistes ouvrant la porte à d’autres acteurs innovants… qui ont parfois tendance à tous faire les choses à la mode, parfois intéressantes, parfois moins. Avant de juger de leur importance, attendons de voir leur mise en œuvre et ce qui aura été produit.

Je ne suis pas certain de l’importance à accorder aux différents « Réinventer ». Encore une fois, que l’on ait déstabilisé le système ancien ne me semble pas totalement négatif. Mais que ce soit la seule chose que l’on puisse mettre en avant au titre du bilan de la Métropole ne peut que poser problème. Il me semble plus important de s’intéresser aux multiples petites opérations de promotion immobilière, dans le diffus, qui échappent à tout pilotage d’ensemble et ne s’inscrivent pas toujours dans les objectifs de transition écologique.

 

« Gouverner la métropole parisienne État, conflits, institutions, réseaux », sous la direction de Patrick Le Galès. Presses de Sciences Po.

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