M. Vanier (Acadie) : « Le logiciel politique doit être consacré à la coordination »

Pour Martin Vanier, géographe, professeur à l’école d’urbanisme de Paris (Université Paris Est), consultant chez Acadie, la crise de la Covid a souligné la faiblesse des capacités de coordination des pouvoirs publics en France.

Quel est votre regard d’intellectuel, de chercheur, de géographe sur la Métropole du Grand Paris ?

Martin Vanier. © Jgp

Il semble l’on soit dans une longue pause de sa construction institutionnelle et politique ? Avec accord tacite que le pouvoir stratégique est désormais dévolu aux établissements publics territoriaux (EPT), et que l’on cantonne la MGP dans une activité coordinatrice très « light », un pouvoir fédéral qu’on pourrait dire « de papier », tellement il pèse peu. Ce n’est pas dans la MGP que se joue l’essentiel, mais dans la relation entre les Villes et les EPT. Le petit progrès réside dans l’échelle des territoires des EPT, qui peut sembler un progrès intéressant. Un changement d’échelle est toujours bon à prendre. Mais globalement, on reste loin du compte, ce qui fait que l’on entend des propositions iconoclastes comme l’abolition de la métropole ou la dévolution de tout le pouvoir métropolitain à la Région, retour à une perspective déjà caressée il y a des années et que Paris n’acceptera jamais.

Certains préconisent, c’était même l’idée de Valérie Pécresse, de faire de la Région le périmètre métropolitain en instaurant une sorte de bicamérisme, d’ajouter à la chambre régionale actuelle une chambre représentant les maires, qui sont quand même 1287. Qu’en pensez-vous ?

Ce regain communaliste n’est pas le sujet. En Ile-de-France, c’est la maille la moins représentative qui soit. La plus petite commune d’Ile-de-France a 37 habitants, Paris presque 2,2 millions : que signifie le principe « 1 maire = 1 voix » dans ces conditions ? Si on veut représenter les territoires, les situations locales, pourquoi les quartiers de Paris ne le seraient pas aussi ? Il faut surtout se garder de vouloir saisir la métropole par sa fragmentation. L’idée d’un bicamérisme n’est pas sans utilité pour la vie démocratique, mais il faut renouveler le référentiel de la seconde chambre et sortir résolument du modèle sénatorial. Il y a d’ailleurs assez de propositions novatrices aujourd’hui pour une deuxième ou troisième chambre qui permettraient de représenter la société autrement que démographiquement, pour ne pas revenir au pavage communal. En Ile-de-France, ça ne peut pas marcher, parce qu’une de ces communes s’appelle Paris, et que ramener Paris au rang de commune parmi d’autres, ce n’est pas croire à la métropole.

Comment sortir de ce refus de penser la place de Paris, qui provoque, si je vous écoute, l’inachèvement actuel ?

Par un système fédératif. Reste à savoir lequel. Le choix actuel de le restreindre à la zone dite dense et de l’appuyer sur des EPT avec un écart de un à sept entre le moins peuplé (Grand Paris Sud Est Avenir) et le plus peuplé (Paris) montre qu’on n’a pas trouvé encore. A partir du moment où l’on estime que Paris est une entité in-fractionnable, il faut sans doute accepter de repasser par les entités départementales pour désigner les fédérés, au moins l’écart entre eux n’est plus que d’à peine un à deux. Ce n’est pas le statu quo pour autant : des Départements fédérés dans une Région, dotée elle d’un pouvoir fédéral, ça n’a rien à voir avec la coexistence actuelle des deux niveaux.

Ne pourrait-on pas s’inspirer du modèle strasbourgeois ? La Ville de Paris prête déjà ses services d’urbanisme à la métropole…

La mutualisation des services est une solution de bon sens pour une ville moyenne ou même grande, qui agrège tout un territoire plutôt rural autour d’elle, comme à Reims aussi. Et parfois ça prépare des fusions, comme à Annecy. Mais la métropole francilienne ce n’est pas ça. Ce n’est pas une grosse ville (Paris) et peu de capacités autour. Ce sont des dizaines de grosses communes, certaines de la taille d’une grosse ville de province. Autant il faut sortir du fractionnement communal, autant il faut respecter les centralités historiques qui ont les moyens de porter des politiques depuis des décennies, voire des générations. Donc on ne peut pas jouer comme ça au « tout sous le même toit ».

Un niveau de plus, certes, et la complexité métropolitaine génère trop souvent de la complication d’action publique. Mais quand on accepte de reconnaître l’existence de plusieurs niveaux représentatifs de l’intérêt dit général, chacun à son échelle, alors il faut arrêter de rêver aux solutions miracles, comme celle d’un grand périmètre idéal, et il faut travailler inlassablement au mode d’emploi et à la régulation de la complexité.

Est-ce que, à l’instar de votre collègue, Daniel Béhar, ou de Jean-Louis Missika, vous soutenez cette idée d’inter-territorialité, où la construction institutionnelle importe moins que la mise en réseau des territoires ?

L’interterritorialité est en effet une idée qui m’est familière. Elle a sans doute progressé ces deux dernières décennies. Elle n’exonère nullement des aggiornamentos territoriaux, par des « sauts » historiques dans les organisations. La métropole francilienne a besoin des deux. Il me semble que les principes du fédéralisme les concilient.

La crise sanitaire a soulevé des débats sur l’échec de l’Etat et l’efficacité des collectivités, sur la nécessité d’achever la décentralisation. Est-ce que vous avez cette même conviction ?

Non, pas du tout. J’ai la conviction que la crise révèle un mal français, la faiblesse des capacités et fonctions coordinatrices d’une façon générale. Tous ces joutes entre le central et le local montrent une immaturité persistante de la relation entre l’Etat et ses territoires, mais aussi entre plein d’autres modes d’action, publique et privée, chacun dénonçant l’incurie de l’autre. C’est bien d’avoir un pays si riches d’institutions territoriales et autres, mais pour en tirer bénéfice, il faut sortir de la culture des responsabilités souveraines et consacrer le logiciel politique à la coordination plutôt qu’à l’exercice de la toute-puissance.

Les vrais coordinateurs ont été discrets, mais ils ont fait le job : les groupements hospitaliers territoriaux, les fameuses agences régionales de santé, sur lesquelles on est tombé à bras raccourcis, les réseaux professionnels… et finalement les collectivités et le services de l’Etat aussi, malgré les discours d’indignation croisée. Achever la décentralisation, ce serait sortir de cette longue adolescence qui la caractérise encore pour entrer dans l’âge mûr des relations verticales.

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