M. Leroy : « Le Grand Paris a beaucoup souffert ces dernières années des tergiversations politiques »

Directeur général adjoint du Grand Moscou en charge du développement international et des projets stratégiques, ancien ministre de la Ville en charge du Grand Paris, Maurice Leroy décrit la transformation radicale de la capitale russe et livre sa vision du Grand Paris, qu’il estime institutionnellement en panne.

Quels sont la nature et l’état d’avancement du Grand Moscou ? 

Il y a dix ans, ministre du Grand Paris, j’ai reçu le maire de Moscou Sergueï Sobianine pour lui présenter ce grand projet voulu par le président Nicolas Sarkozy. Dès notre première rencontre, le maire de Moscou m’a fait part de sa volonté de « rendre Moscou agréable à vivre et à travailler ». A l’époque, le budget municipal était déficitaire, la capitale russe était championne du monde des embouteillages et, selon nombre d’expatriés que j’ai rencontrés, Moscou avant 2010 n’était pas attractive pour vivre. Sa vision historique ne tarde pas à payer : le produit régional brut de Moscou a doublé depuis 2010 avec une croissance moyenne annuelle de 9 % ; le budget municipal est excédentaire depuis cinq années consécutives. D’ailleurs, la stabilité économique de la ville de Moscou lui permet de se classer troisième derrière Séoul et Shanghai pour la performance économique de la métropole pendant la crise du Covid-19.

Maurice Leroy, à la Seine musicale, mercredi 16 septembre 2020. © Jgp

A quoi ces bons résultats sont-ils dus selon vous ?

En dix ans seulement, Sergueï Sobianine a transformé radicalement Moscou pour créer une métropole contemporaine et agréable à vivre à travers la synergie des politiques municipales relatives aux transports, mais aussi au logement, aux espaces publics et aux parcs, à la modernisation transversale des services urbains, des équipements municipaux, à la sécurité urbaine, à la gestion de la propreté et à la digitalisation de la ville.

Avec un accent sur les infrastructures de mobilité ?

Le premier de ces chantiers fut bien entendu la lutte contre la congestion urbaine par le biais de la mise en oeuvre d’un plan d’investissement massif dans les infrastructures de transports collectifs et la modernisation des voiries, tout en proposant des solutions pour limiter l’usage des véhicules individuels. L’objectif de ce plan : offrir l’accessibilité piétonne aux transports publics à 100 % des Moscovites avant 2023. C’est bientôt chose faite ! L’offre du métro aura doublé entre 2010 et 2023.

Le nouveau réseau des transports publics a permis au Grand Moscou de se hisser au troisième rang parmi les leaders mondiaux de la densité de réseau de transports urbains : devant Berlin, Séoul, New York et Londres, offrant à 700 millions de passagers annuels l’économie sur leur temps de trajet de 20 à 45 minutes selon les destinations, soit jusqu’à une semaine par an d’économie en temps de trajet !

L’accès au logement a consisté l’autre priorité ?

Selon le cabinet PwC, le Grand Moscou se classe au quatrième rang parmi les métropoles les plus dynamiques en matière de l’immobilier : devant New York ! Mais le maire de Moscou ne s’arrête pas là. En 2017, Sergueï Sobianine lance un programme de rénovation urbaine intégralement financé par la municipalité qui permettra en 15 ans d’améliorer la qualité de leur logement à plus d’un million de moscovites.

Globalement, le cadre de vie s’est amélioré ?

La transformation du Grand Moscou s’accompagne d’une amélioration transversale du cadre de vie. La Ville a déployé des efforts considérables visant la valorisation des espaces publics, la réhabilitation de plusieurs centaines de parcs et des berges de la rivière Moskova, la création d’espaces de loisirs, d’équipements de proximité… Des sites uniques et d’envergure internationale ont aussi été réalisés, à l’image de la Philharmonie Zaryadyé et de son parc innovant, lauréate du Prix spécial du jury du Mipim 2019, mais aussi du remarquable territoire de sports à Loujniki autour du stade historique de Moscou des Jeux olympiques 1980 rénové pour accueillir la finale spectaculaire du Mondial de football 2018 où les Bleus ont triomphé !

A ceci, s’ajoutent une vingtaine d’équipements multi-sports hautement technologiques mais à dessein laissés en libre accès à tous les Moscovites dont le plus spectaculaire serait sans doute le Palais de la danse et de la gymnastique rythmique Irina Viner-Ousmanova, lauréat de Mipim awards 2020 comme meilleur équipement culturel et sportif au monde.

« Des sites uniques et d’envergure internationale ont aussi été réalisés, à l’image de la Philharmonie Zaryadyé et de son parc innovant, lauréate du Prix spécial du jury du Mipim 2019. » © Koromelana

Moscou a accéléré également sa digitalisation ?

Le maire de Moscou a fixé en effet le cap sur la digitalisation transversale des services municipaux et de la ville. Moscou occupe désormais la première place d’une étude des Nations Unies publiée en 2018 qui propose un tour d’horizon complet des meilleures performances en « e-gouvernement » ; Londres et Paris s’y partagent la quatrième position.

Quels sont les contours de votre rôle pour le développement du Grand Moscou ? 

Témoin privilégié du développement du Grand Moscou depuis 2012, j’ai proposé dès mon installation à l’invitation de Sergueï Sobianine à Moscou en janvier 2019 de contribuer à mieux faire rayonner les succès du Grand Moscou à l’international. A ce titre, j’ai l’honneur de diriger le développement international de la société Mosinzhproekt (MIP), le bras armé de la Ville pour les chantiers du Grand Moscou.

Cette société du Grand Moscou a acquis une expertise exceptionnelle : en plus de 84 gares de métro ouvertes depuis 2011 ayant opéré simultanément 23 tunneliers –  record mondial Guinness ! – MIP est également à l’origine de tous les grands équipements municipaux, dont deux lauréats du Mipim awards en 2019 et 2020 ! En mars et avril 2020, MIP a réalisé le premier hôpital virologique d’urgence contre le Covid à Moscou en 34 jours !! Cet hôpital de 80 000 m² s’étale sur 44 ha et sera opérationnel pendant plus de 30 ans !

De ce fait, nous songeons à participer avec MIP aux appels d’offre de grands projets d’infrastructures de transports et plus généralement de développement métropolitain. Je suis convaincu que l’expertise de MIP trouvera les débouchés de qualité aussi bien dans les métropoles du Golfe persique que, notamment, dans les mégapoles africaines émergentes.

Quels liens gardez-vous avec la France, ses élus et ses entreprises, dans vos nouvelles responsabilités ?

Il m’est agréable de constater que les entreprises françaises sont très bien positionnées sur les marchés de développement urbain à travers le monde : Vinci, Bouygues, Engie, SNCF, Veolia, Suez, etc. De ce fait, depuis huit ans, avec l’accord de mon ami Marat Khousnoulline, vice-maire en charge du Grand Moscou devenu aujourd’hui vice Premier ministre, j’ai fait venir au Forum urbain de Moscou, devenu rendez-vous incontournable des urbanistes, des élus et des investisseurs du monde entier, les dirigeants de la plupart de ces grands groupes afin qu’ils puissent présenter leur expertise et nouer des relations de partenariat avec les acteurs du Grand Moscou.

Pour développer davantage ces échanges, j’oeuvre pour créer un cadre durable de coopération et d’échanges entre les acteurs du Grand Paris et du Grand Moscou. C’est chose faite depuis la signature en juillet 2019 au Forum urbain de Moscou d’une charte de coopération entre la ville de Moscou et la métropole du Grand Paris, signée respectivement par Sergueï Sobianine et mon ami Patrick Ollier.

Quel regard portez-vous sur le refroidissement actuel des relations avec Paris et l’UE, compte-tenu de l’affaire Navalny ? 

Vous comprendrez aisément que je sois tenu par un devoir de réserve car il ne m’appartient pas d’interférer dans les relations diplomatiques entre la France et la Russie. Je me réjouis cependant que les relations entre le président Emmanuel Macron et le président Vladimir Poutine se soient considérablement améliorées depuis Bregançon l’année dernière. Comme l’a déclaré tout récemment l’ambassadeur de France Pierre Vimont, qui est une voix raisonnable et reconnue, je cite : « Le dialogue demeure, selon moi, un élément indispensable de toute politique vis-à-vis de la Russie. » Je le pense aussi. Je n’oublie pas sur cette question des relations entre la France et la Russie la remarquable audition du secrétaire perpétuel de l’Académie française, Hélène Carrere d’Encausse devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, lorsque j’y siégeais encore.

Que pensez-vous du développement du projet du Grand Paris au cours des dernières années ? 

Contrairement au Grand Moscou où les outils de la décision sont réunis entre les mains du maire de Moscou Sergueï Sobianine qui peut s’appuyer sur le soutien du président Vladimir Poutine, ce qui permet sans aucun doute de préparer et de mettre en oeuvre les décisions métropolitaines stratégiques plus rapidement, le Grand Paris a beaucoup souffert ces dernières années des tergiversations politiques ou institutionnelles, ce qui a entravé son évolution alors que le projet doit rester fédérateur. Le succès de plusieurs initiatives des acteurs du Grand Paris témoigne du caractère fédérateur du projet : par exemple, les concours « Inventons la métropole du Grand Paris » lancés par le président Patrick Ollier ont permis de concrétiser jusqu’à 10 milliards d’euros d’investissements privés sur plusieurs territoires.

Quelle est votre appréciation sur l’état d’avancement du Grand Paris express ? 

Alors que le Grand Moscou en dix ans a ouvert 84 gares du nouveau réseau du métro, je ne peux que déplorer que nous n’ayons pas encore inauguré une seule gare du Grand Paris express ! Et cela m’attriste… Evidemment, on ne peut absolument rien reprocher aux équipes de la Société du Grand Paris qui n’y sont pour rien ! Ayant organisé les visites successives du maire de Moscou, de son vice-maire Marat Khousnoulline et de la plupart des décideurs du Grand Moscou à la SGP, j’ai été témoin de la haute appréciation des choix techniques qui ont été faits pour le Grand Paris express et qui ont inspiré à leur tour plusieurs choix technologiques à Moscou, notamment, pour le lancement des lignes du métro automatique.

Tours du Moscow City complex en construction. © Theophis

Quelle est votre appréciation sur l’état d’avancement du Grand Paris institutionnel ? 

Le choix de la gouvernance est majeur pour la réussite d’un grand projet métropolitain. Force est de constater que, jusqu’à ce jour, aucune décision de gouvernance n’a été prise ! En vérité, le Grand Paris institutionnel est en panne. Par comparaison avec le Grand Moscou, il est indéniable que l’avancement prodigieux des chantiers du Grand Moscou est lié au fait que le maire de Moscou est le patron et le décideur. Et, croyez-moi, ça change tout dans la gouvernance. Notre Grand Paris institutionnel ressemble aujourd’hui encore à une lasagne territoriale  !

Quelles doivent être les priorités du projet, hors mobilités et institutions ?

L’ambition initiale du président Nicolas Sarkozy pour le Grand Paris a été et demeure visionnaire ! Favoriser l’émergence d’une ville-monde compétitive à l’échelle des grandes métropoles mondiales. Pour cela, il faut faire valoir tous les atouts du territoire du Grand Paris : l’excellence de sa recherche à travers Paris-Saclay ; une offre de logements de qualité ; des synergies économiques entre les différents territoires de projets ; le Grand Paris de la culture, du sport, qui sont totalement oubliés aujourd’hui, etc. Toutes ces synergies ne peuvent être efficaces sans une colonne vertébrale forte : le Grand Paris express. Donc, les priorités du Grand Paris doivent être celles d’une ville-monde attractive et pour une meilleure qualité de vie de ses habitants.

On dit que vous auriez-fait un parfait Haut-commissaire en charge du Grand Paris. Estimez-vous qu’il manque un leader politique pour conduire le projet ? 

Hélas, à deux ans maintenant de l’échéance présidentielle de mai 2022, il est trop tard pour nommer un haut-commissaire du Grand Paris ! Cette question du Grand Paris et de son organisation institutionnelle devra être traitée par le prochain président de la République car ce grand projet visionnaire de Nicolas Sarkozy doit être impérativement un projet conduit et mis en œuvre par le président de la République Française. Il ne s’agit pas seulement de la région capitale, l’enjeu est plus vaste encore. Songez qu’un tiers de la richesse nationale est créé en Ile-de-France !

Il faut reprendre l’ambition initiale du Grand Paris tel que Nicolas Sarkozy l’avait conçue pour en faire un outil majeur de la relance et de la croissance économique. Un seul exemple : le Havre, en lien étroit avec Rouen, doit être le port du Grand Paris. Il faut donc reprendre et retravailler sur l’axe Seine du Grand Paris ! Il n’y aucune grande métropole mondiale sans un grand port. Comme le souligne fréquemment le maire de Moscou dans ses interventions publiques, ainsi que son vice-maire de l’époque Marat Khousnoulline devenu cette année vice Premier ministre du gouvernement russe, le Grand Paris a inspiré il y a dix ans le Grand Moscou ! Eh bien, force m’est de constater après 19 mois de travail à Moscou que le Grand Paris serait aujourd’hui inspiré de suivre l’exemple de la formidable réussite du Grand Moscou !

Avec Jean-Paul Huchon, en 2015, lors d’une soirée du club Acteurs du Grand Paris. © DR

Quelle(s) réforme(s) préconiseriez-vous ?

Sincèrement, il est impossible de répondre sérieusement à cette question en trois phrases, tant la question est primordiale. Je dirai simplement qu’il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs ! Comme cela a été malheureusement fait au début de ce quinquennat. Si j’ai réussi à l’époque à réaliser l’accord historique du Grand Paris avec Jean-Paul Huchon et avec toutes les forces politiques de la région Ile-de-France sans aucune exception, écologistes compris, c’est bien parce que j’avais fait du Grand Paris un projet fédérateur et surtout pas une question institutionnelle ! Commençons par relancer l’ambition initiale du Grand Paris, et ensuite les réformes institutionnelles s’imposeront d’elles-mêmes.

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