Jean-Louis Missika cible un jacobinisme larvé pour expliquer « la face cachée de #SaccageParis »

Dans une chronique pour la fondation Terra nova, intitulée « #SaccageParis : peut-on aller au-delà de l’indignation ? », Jean-Louis Missika affirme que la conjugaison d’un jacobinisme persistant, d’une défiance de la technocratie d’Etat envers les élus locaux et d’une détestation de Paris par une majorité de parlementaires, explique l’incapacité de la Capitale à sanctionner les incivilités.

Face au déferlement, sur Twitter notamment, des images d’un Paris sale et dégradé, Jean-Louis Missika livre son analyse. Pour l’ancien adjoint d’Anne Hidalgo (1), « il ne s’agit pas de dédouaner la municipalité de ses responsabilités en matière de propreté – elles sont considérables, estime-t-il – mais d’explorer la face cachée des difficultés actuelles et de comprendre quels sont les leviers d’une politique efficace ».

Pour l’ex-élu, inventeur de « Réinventer Paris », l’explication provient d’un jacobinisme persistant, malgré les étapes successives de décentralisation qui ont marqué les dernières décennies. Et l’enseignant à la London school of economics (programme LSE Cities) n’est pas avare d’exemples. Ainsi le montant de l’amende encourue pour un jet de papier ou de canette par terre, de 68 euros, est-il décidé au niveau national. Alors que « dans beaucoup de villes, ailleurs dans le monde, ce montant est de 500 voire 1 000 euros. Et pas seulement en Suisse ou à Singapour », souligne Jean-Louis Missika.

Jean-Louis Missika, entouré d’Anne Hidalgo et de Stéphane Troussel. © Jgp

« Pour qu’une amende d’un faible montant soit efficace, il faut que la probabilité d’être verbalisé soit très élevée, poursuit-il. Or ce n’est le cas ni à Paris, ni ailleurs en France. La police nationale a d’autres chats à fouetter et la police municipale, qui vient d’être créée à Paris, a de multiples tâches et des effectifs trop limités ».

« Une impuissance totale des pouvoirs publics »

Autre exemple avec l’affichage sauvage : « Toutes les municipalités sont impuissantes à réprimer ces infractions. La réglementation est si complexe qu’elle conduit à une impuissance totale des pouvoirs publics. Il existe trois procédures différentes, détaille l’ancien élu. Pour l’une d’elles, le montant des amendes administratives est de 200 euros (par jour et par affiche) et le contrevenant dispose de 15 jours pour retirer ses affiches. Là encore c’est un montant défini au plan national, qui est ridiculement faible comparé à ce que rapporte une campagne d’affichage sauvage à Paris et il n’y a pratiquement jamais de poursuites pénales, faute d’intérêt du parquet ». Jean-Louis Missika indique que la ville de New York pratique de son côté une amende de 10 000 dollars par affiche…

Or, fait également valoir l’enseignant, il existe un lien étroit entre propreté, incivilité et insécurité : « Pour qu’une rue soit propre, il faut qu’elle soit sûre et pour qu’elle soit sûre, il faut qu’elle soit fréquentée et que ses riverains s’en sentent les gardiens », résume-t-il. « La sociologue urbaine Jane Jacobs insiste sur un point, rapporte Jean-Louis Missika : pour que les riverains se sentent capables de garantir la quiétude d’une rue, il faut qu’au moindre incident sérieux la police intervienne, sinon les citoyens ordinaires se sentent démunis, voire abandonnés ».

« Le mouvement des gilets jaunes a constitué en l’occurrence un déclencheur. Depuis, la police nationale ne s’occupe absolument plus de petite délinquance », estime Jean-Louis Missika. Ici une brigade de gendarmerie, le 20 avril 2019. © Jgp

Mrs. Jane Jacobs, 01/01/1961 – chairman of the Comm. to save the West Village (NYC)  holds up documentary evidence at press conference at Lions Head Restaurant at Hudson & Charles Sts. ©Phil Stanziola

Or l’ancien directeur de campagne d’Anne Hidalgo dresse le constat de moyens totalement insuffisants. Le commissariat du18e arrondissement de Paris ne disposerait que de deux véhicules de nuit pour assurer ses missions. « La ville de Paris entretient des relations étroites avec la préfecture de police mais ces relations ne sont pas celles d’un véritable partenariat. Chaque année, la ville dépense 160 millions d’euros dans le domaine de la sécurité et elle verse une contribution au budget de la préfecture de police de 220 millions d’euros (dont 90 millions pour la Brigade des sapeurs-pompiers, chiffres de 2019). Ce que fait le préfet de cet argent, la Ville n’en sait absolument rien. Et, bien évidemment, il n’existe aucune procédure permettant à la municipalité de négocier avec la préfecture des objectifs de sécurité, ou même une allocation des moyens ».

« Je me suis longtemps demandé pourquoi il était si difficile de faire évoluer la réglementation quand beaucoup de gens reconnaissent que cette évolution est indispensable, conclut Jean-Louis Missika, qui avance une explication : d’un côté, l’administration des finances considère que les élus sont des irresponsables, qu’il faut tenir “rênes courtes” pour les empêcher de faire des sottises. De l’autre, la détestation de Paris est l’impensé d’une majorité de députés qui voient dans toute nouvelle prérogative municipale, non pas une avancée pour toutes les Villes, mais un pouvoir supplémentaire et abusif pour la seule ville de Paris. Telle est la tenaille qui bloque tout espoir de donner plus d’autonomie et de capacité d’action aux Villes ».

 

(1) Jean-Louis Missika était, de 2014 à 2020, adjoint à la maire de Paris chargé de l’urbanisme, l’architecture, le développement économique, les projets du Grand Paris et de l’attractivité.

Jean-Louis Missika : « Les Parisiens ne peuvent payer deux fois pour leur sécurité »

Pourquoi faites-vous le lien entre incivilité et délinquance ?

Jean-Louis Missika

Jean-Louis Missika. © JGP

Ce lien a été diagnostiqué depuis très longtemps par des sociologues de la ville. Je cite notamment Jane Jacobs. A Paris, aujourd’hui, la tranquillité publique et le maintien de l’ordre sont totalement dissociés, et l’on néglige la tranquillité publique, parce que l’essentiel des forces policières sont dédiées à des missions de maintien de l’ordre. Le mouvement des gilets jaunes a constitué en l’occurrence un déclencheur. Depuis, la police nationale ne s’occupe absolument plus de petite délinquance.

Selon vous, la haute-fonction publique d’Etat demeure jalouse de ses prérogatives face aux collectivités territoriales ?

Le constat est simple. Du côté de Bercy, on refuse de lâcher le contrôle des amendes pour les incivilités et on s’oppose à ce que le montant de ces amendes soit décidé par les maires, et déterminé en fonction des situations concrètes. Vous rendez-vous compte qu’aujourd’hui, on ne peut pas infliger d’amendes importantes pour l’affichage sauvage et que ce montant est le même à Romorantin et à Paris ? Quand j’avais abordé cette question avec mon homologue newyorkais, ce dernier m’avait dit qu’il estimait qu’une amende de 10 000 dollars était selon lui insuffisante ! J’ai réalisé alors qu’il existait sans doute un problème avec nos 200 euros….

Pourquoi estimez-vous que le Parlement est animé par une « détestation de Paris ?

Il existe une hostilité radicale de la représentation parlementaire vis-à-vis de Paris. Au Sénat, c’est normal, puisque la ruralité y est surreprésentée. Mais il y a, à l’Assemblée nationale, cette idée répandue qui veut que tout ce qui irait dans le sens de Paris doit être combattu.

La solution aux problèmes de sous-effectifs de police que vous soulignez n’est-elle pas de mettre en place une police municipale renforcée à Paris ?

Il faudrait à ce moment-là que l’on se mette d’accord avec la préfecture de police, pour que la ville de Paris récupère les 220 millions d’euros qu’elle lui verse chaque année. Le contribuable parisien ne peut pas payer deux fois. Si l’on alloue cet argent à la préfecture, c’est pour qu’elle assure la sécurité à Paris. Et si on maintient le statu quo, il faut alors que l’Etat finance la totalité des missions de la préfecture de police dédiées au maintien de l’ordre et à la sécurité des bâtiments publics et que l’on autorise la police municipale parisienne à s’occuper de la délinquance. Elle n’en a pas le droit aujourd’hui. La lutte contre le trafic de drogue ne fait pas partie de ses prérogatives. Les riverains ne supportent plus ces trafics au pied des immeubles, comme l’a montré encore récemment ce qui s’est passé à Stalingrad. Et la police nationale nous dit qu’elle est là pour démanteler les réseaux et qu’elle ne va donc pas s’attaquer aux petits dealers.

Partagez-vous la doctrine de la tolérance zéro, développée notamment par l’ancien maire de New York Rudy Giuliani ?

Rudy Giuliani a droitisé la théorie de la fenêtre brisée, à laquelle vous faites allusion. Mais cette doctrine a été aussi portée par la gauche. Jane Jacobs, que je cite, est une urbaniste de gauche. Cette idée selon laquelle les riverains et les commerçants assurent la tranquillité publique est une idée de gauche, tout comme la notion de police de proximité. Peut-être qu’une certaine gauche a oublié que la sécurité était la première des libertés.

Selon moi, être de gauche, c’est avoir une conception de la tranquillité et de la sécurité publique qui repose sur une collaboration étroite entre la police de proximité et les citoyens. Il faut revenir à cette conception d’une tranquillité publique assurée par la vigilance des citoyens eux-mêmes, appuyés par une police capable d’intervenir très rapidement pour contrer les incivilités et la petite délinquance. C’est parce qu’en France les Villes sont démunies face à la répression des incivilités, que la situation se dégrade aussi bien pour la propreté que pour la sécurité.

Lire la note sur le site de Terra Nova

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