Jacques JP Martin enjoint l’Etat de faire confiance aux élus locaux pour mettre en œuvre la métropole. Président du Sipperec, il propose la mise en œuvre de plateformes de coordination thématiques entre les différents acteurs, qu’il s’agisse de l’électricité, de l’eau ou de la propreté. Maire de Nogent et président de l’agglomération de la Vallée de la Marne, il milite pour un futur territoire issu de l’Actep agrandi pour atteindre 600 000 à 700 000 habitants.
JGP : Quel avenir, à l’heure de la métropole, pour les grands syndicats urbains comme le Sipperec, que vous présidez ?
Le Sipperec est l’héritier d’un syndicat créé en 1924. Ces structures de dimension métropolitaine sont les précurseurs des mutualisations, entre communes, au sein des intercommunalités. Il a été dit que, sur le territoire métropolitain du Grand Paris, les élus avaient été très peu actifs pour créer des coopérations intercommunales. D’une part c’est faux, car il y avait plus de 19 intercommunalités avant la création de la métropole du Grand Paris. D’autre part, nous n’étions pas dans la nécessité de créer des intercommunalités de projets, puisque les syndicats historiques dont nous disposons ont permis une réelle mutualisation de moyens sur un certain nombre de sujets particulièrement sensibles et stratégiques comme l’électricité, le gaz, le traitement des ordures ménagères, celui des eaux usées… Et l’erreur fondamentale serait de remettre en cause le partenariat naturel et efficace qui existe soit entre les départements, soit entre les communes, au travers de ces grands syndicats.
Ces syndicats ne sont-ils pas appelés à évoluer ?
Il est évident qu’en ce début du XXIe siècle, il serait opportun d’essayer de rendre plus simple l’image de ces syndicats. L’idée est que nous-mêmes, leurs présidents, prenions des initiatives afin de constituer des plateformes de coordination thématiques sur l’eau, l’énergie… En tant que vice-président du Siaap [jusqu’en avril 2015(1)] et président du Sipperec [depuis mai 2014], je l’ai proposé en septembre dernier à mes collègues des autres syndicats. Cette coordination est devenue logique et indispensable. Les traitements des boues des stations d’épuration, des déchets ménagers permettent de produire de l’énergie. Ces sujets étant liés, il faut qu’il y ait des lieux d’échange et de complémentarité entre les grands syndicats de service public, ce à quoi nous nous employons.
Est-ce que l’évolution naturelle ne serait pas que les futurs établissements territoriaux siègent au sein des syndicats urbains ? Ou faut-il conserver l’échelon communal qui est celui de la proximité ?
J’ai toujours milité pour le bloc communal, je considère que l’intercommunalité doit rester l’émanation des communes et, si la commune souhaite transférer une compétence, on doit respecter sa volonté. Je n’écarte donc pas la possibilité que, progressivement – et c’est déjà le cas actuellement, des intercommunalités sont membres du Sipperec –, on observe un passage des communes vers les intercommunalités. Mais de là à le rendre obligatoire par la loi, je ne suis pas d’accord. L’objectif n’est pas de tuer les communes, car c’est dans les communes que se fabriquent la cohésion et le lien social. Et dans un monde très urbanisé, on a besoin d’un peu d’humanisme et de proximité.
Lors de la première lecture du projet de loi NOTRe, les syndicats urbains ont fait l’objet d’une véritable bataille d’amendements…
Face à ces « gesticulations » parlementaires, dans les mois à venir, nous allons proposer à l’État une nouvelle coordination entre les syndicats sous forme de plateformes thématiques et prendre l’engagement d’une optimisation de nos activités. Mais nous n’avons pas besoin d’être « métropolisés » brutalement comme certains veulent le faire dans le cadre de la loi NOTRe. C’est pour cela qu’il y a eu ces fameux allers-retours – avec des sous-amendements à l’amendement du gouvernement – concernant à la fois les réseaux de chaleur, les énergies renouvelables, les télécommunications, le gaz et l’électricité. Les communications électroniques font partie des compétences du Sipperec. Certains « grands penseurs » de la métropole considèrent que c’est une compétence métropolitaine, or plus les technologies évoluent, plus cette compétence est liée à la distribution de l’énergie et de l’électricité. La distribution de l’électricité doit rester dans le bloc communal, car il s’agit d’investissements de proximité. Ensuite, grâce aux mutualisations au sein des syndicats Sipperec et Sigeif, nous avons acquis des compétences qui ont été démontrées. Nous avons là une situation qui ne nécessite pas la métropolisation.
Quel pourrait être le rôle de la métropole ?
Ce que j’accepte, en tant que président du Sipperec, c’est qu’au plan métropolitain, on ait besoin de stratégie. Les syndicats sont prêts à participer aux structures qui débattront de la planification stratégique à l’échelon d’un territoire de huit millions d’habitants. Mais il ne faut pas les dépouiller de leur dimension opérationnelle. On peut décider, par exemple, au niveau métropolitain de donner la priorité à la géothermie, mais un réseau de chaleur se conçoit et se gère, voire se finance, localement, en mobilisant les collectivités, les bailleurs sociaux et privés…
Quelles devraient être les frontières du Grand Paris, selon vous ?
On ne peut pas arrêter la métropole à des limites administratives. Le Grand Paris devrait être multipolaire, composé de territoires qui sont autant de partenaires actifs, des territoires où se créent la richesse, mais aussi les mutualisations de proximité et les solidarités. Le syndicat mixte Actep(2), que nous avons créé il y a quelques années, regroupe 14 communes de l’Est parisien qui sont à cheval sur les départements de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, mais partagent des logiques territoriales. L’Actep a vocation à devenir un établissement public territorial en s’appuyant sur les CDT (contrat de développement territorial) comme celui appelé « Paris Est entre Marne et bois ». Ce territoire pourrait regrouper 600 à 700 000 habitants, en intégrant Noisy-le-Grand, Maisons-Alfort, Champs-sur-Marne, voire Chelles, c’est-à-dire deux villes situées en Seine-et-Marne, car nous avons une logique de développement commune avec les universités et écoles d’ingénieurs de la Cité Descartes, à Champs-sur-Marne/Marne-la-Vallée. Nous nous sommes battus pour obtenir un lycée international et pour que Orbival, aujourd’hui la ligne 15, permette de relier en 15 minutes l’université Paris-Est Marne-la-Vallée et l’université de Créteil, afin de constituer un grand pôle universitaire à l’Est de Paris. Certains considèrent que c’est au-delà des frontières de la métropole mais il ne faut pas ignorer, administrativement, la dynamique des territoires.
L’avenir est aux grands territoires ?
La loi prévoit que Paris avec ses deux millions d’habitants soit un territoire insécable. Face à Paris, il nous faut une dimension critique qui nous permette d’avoir notre propre identité et de nous développer : nous ne voulons pas revenir au temps du département de la Seine ! L’Actep, avec ses voisins, atteindrait 600 000 habitants. Mais nous ne sommes pas les seuls dans cette logique : Est Ensemble dépasse largement les 400 000 habitants et, à l’ouest de Paris, dans le secteur de Gennevilliers, un territoire de près d’un million d’habitants a été proposé.
Qu’attendez-vous de la deuxième lecture du projet de loi NOTRe au Parlement ?
Ce que nous voudrions dire au Premier ministre, c’est « faites confiance aux élus locaux et ne théorisez pas trop a priori sur ce que doit être la future métropole qui ne pourra se construire qu’en marchant ». Aujourd’hui, on « spolie » le bloc communal sur le plan financier et on donne à la métropole des compétences fiscales beaucoup trop importantes, eu égard à ses compétences opérationnelles. On nous rétorque « la métropole doit mettre en œuvre les péréquations entre territoires ». Mais cette seule approche ne suffira pas à faire du Grand Paris une métropole à rayonnement mondial. Ce qu’il faut à la métropole, ce sont d’autres compétences beaucoup plus générales et beaucoup plus proches d’ailleurs des compétences de la Région. Réglons le problème des compétences entre la Région et la métropole, parce que ce débat-là n’a pas eu lieu, et faisons en sorte que la péréquation et les solidarités ne se résument pas à faire « l’aumône » aux territoires dits pauvres. Nous sommes nombreux à souhaiter la création d’un fonds d’investissement métropolitain qui pourrait intervenir sur la base de contrats de développement urbain métropolitains, afin de réduire à terme les inégalités territoriales et sociales qui restent l’une des premières préoccupations des territoires du Grand Paris. Il semble que le gouvernement nous ait entendus sur ce point.
(1) Jacques JP Martin siégeait au conseil d’administration du Siaap en tant que conseiller général du Val-de-Marne, mandat auquel il ne s’est pas porté candidat en mars 2015.
(2) Association des collectivités territoriales de l’Est parisien, devenue syndicat mixte d’études et de projets en 2013.