Gilles Bouvelot, directeur général de l’établissement public foncier d’Ile-de-France, décrit son action contracyclique en temps de crise et revient sur le changement de paradigme et de modèle économique de l’immobilier, alors que la valorisation d’un projet ne peut plus se baser sur le seul montant de la charge foncière.
Quelle est votre perception de l’état de l’immobilier en Ile-de-France ?
Il est difficile de dégager des tendances générales, car en Ile-de-France, nous sommes plutôt en face de micromarchés territoriaux qui coexistent. Selon les dernières enquêtes, les prix de l’immobilier auraient cessé de décroître. Il y a même eu un rebond en début d’année et les clients sont de retour lorsque les prix au mètre carré ne dépassent pas 5 000 euros ; c’est ce que nous disent les opérateurs. Et cela pour une raison très simple : le besoin de logement existe toujours. C’est plus compliqué dans l’hyper centre, qui est davantage un marché de seconde main, où les prix sont plus élevés et où il faut avoir réussi à vendre son logement pour en acquérir un nouveau avec des taux d’intérêt qui ont triplé. La portabilité des emprunts est d’ailleurs une demande des professionnels. Le facteur prix reste donc déterminant. Globalement, ça se stabilise à bas niveau. La question est la date de redémarrage.
Comment se porte l’Epfif ?
Nous jouons à plein notre rôle contracyclique. L’an dernier, nous avons bien sûr été impactés par la crise, mais pour ce qui est du logement nous avons maintenu le même niveau d’activité qu’en 2022, avec un nombre de cessions quasi-identique. Soit entre 6 500 et 7 000 logements, dont 40 % de sociaux. Les cessions destinées à des locaux d’activité ont chuté pour leur part, et ne représentent que 15 % de notre activité, mais elles devraient redémarrer, tout comme les grandes opérations d’aménagement qui elles aussi ont ralenti. Au quotidien, certaines de nos ventes sont bien sûr retardées, mais nous n’enregistrons aucun abandon d’opération liée à des conditions économiques. Cela parce que les emprises que nous cédons aujourd’hui ont été acquises il y a plusieurs années, à des conditions qui garantissent leur faisabilité, notamment l’absence d’enchères dès lors que les projets sont bien étudiés.
Vos méthodes de travail évoluent-elles pour tenir compte de la crise ?
Dans le contexte que nous connaissons, nous faisons preuve de pragmatisme lorsque la situation l’exige. Nous discutons régulièrement avec les opérateurs du contenu et de l’évolution de leur projet. Si nous avons constaté des ralentissements sur certains programmes, ils résultent principalement de l’arrêt des négociations sur la levée des recours.
Quelles sont vos prévisions pour les mois qui viennent ?
Il est difficile de préjuger ce que sera la fin de l’année, quand près d’un tiers de l’activité de l’immobilier se concentre au dernier trimestre. Pour autant, notre activité est solide et s’appuie sur les promesses de vente que nous avons déjà enregistrées. Nous ne repartons pas de zéro chaque année et notre « stock » de promesses est même orienté à la hausse actuellement. Cela prouve que les acteurs ont encore des projets, qui se réaliseront sous 18 mois, ce qui dessine peut-être une amorce de reprise.
Quel impact la perspective de l’ouverture des lignes du Grand Paris express a-t-elle sur votre activité ?
L’avenir, ce sont les quartiers de gare. Cela constitue un support d’activité absolument essentiel. Le Grand Paris express a accéléré le développement et le renouvellement urbain des villes concernées. S’agissant de l’EPF Ile-de-France, nous sommes présents sur 90 % des projets d’aménagement autour des futures gares. Nous continuons d’y prendre des positions. La demande pour ces nouveaux quartiers est forte car la desserte demeure un critère essentiel. Clichy-sous-Bois en est l’une des illustrations. Dès lors que la ville a été desservie par le T4, les appartements en vente ont trouvé preneurs. Il en va de même pour la ZAC des Docks à Saint-Ouen.
Quelle part de votre activité prennent les projets de transformation immobilière ?
Le gisement de demain est constitué des fonciers déjà bâtis, que l’on va transformer, notamment en logements, comme le préconisent de plus en plus les documents d’urbanisme des collectivités : la réhabilitation plutôt que la démolition. En 2023, un tiers de nos opérations ont été des projets de transformation de l’existant.
Aujourd’hui, cela demeure néanmoins un marché de niche, qui intéresse essentiellement les bailleurs sociaux et qui mobilise beaucoup de fonds propres. Il faudrait désormais que les acteurs de la ville, y compris les promoteurs, puissent s’y engager plus massivement, même si le modèle opérationnel de ces opérations, de même que leur modèle économique, sont différents de la construction neuve.
En quoi ces modèles différent-ils ?
Le modèle traditionnel où tout se calcule en partant de la charge foncière n’est plus opérant dans certains cas. Sur les opérations de transformation, la notion de charge foncière n’existe plus. C’est le grand changement de paradigme des métiers de l’aménagement, du recyclage des villes. Il faut une étude propre à chaque projet. C’est aussi le cas pour les opérations de renaturation, où la valeur créée est essentiellement immatérielle et collective.
Comment accentuez-vous vos efforts pour réduire l’empreinte carbone de votre activité ?
Nous suivons la trajectoire ambitieuse de notre plan ABCD. Nous sommes déjà quasiment au zéro artificialisation nette (ZAN). Nous valorisons par ailleurs 85 % de nos déchets et veillons toujours davantage à protéger et à développer la biodiversité sur nos opérations. Notre bilan carbone atteste d’une réduction de 10 % par an de nos émissions de gaz à effet de serre.
Comme nous cédons nos fonciers à prix fixes, nous choisissons nos preneurs en fonction de la qualité, notamment environnementale, des projets que l’on nous soumet.