Plusieurs centaines de personnes se sont réunies, le 23 juin 2020 à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), afin de dénoncer les inégalités territoriales et les discriminations que subissent les habitants de la Seine-Saint-Denis. Six mesures d’urgence ont notamment été proposées à l’adresse du président de la République.
Il faisait chaud devant le centre administratif de La Courneuve où plusieurs centaines de Courneuviens se sont réunis, le 23 juin, à l’appel du maire de la ville Gilles Poux. Tous étaient venus dénoncés les inégalités territoriales illustrées en un chiffre : + 128 % de surmortalité en Seine-Saint-Denis pendant l’épidémie de Covid-19, soit deux fois plus que dans les Yvelines (+ 67 %) ou qu’en Seine-et-Marne (+ 65 %). « C’est un constat renouvelé à la suite de l’Atlas des inégalités territoriales publié en avril 2019 qui a démontré que la Seine-Saint-Denis était un territoire maltraité par les politiques nationales et la crise en a rajouté », a dénoncé l’édile réélu au premier tour des municipales.
Ce rassemblement faisait également suite à la rédaction d’une lettre ouverte envoyée au président de la République signée par des élus, des habitants, des associations et des personnalités. Cette dernière formule six mesures d’urgence pour « rétablir l’égalité républicaine dans les territoires populaires » (détails ci-dessous). Parmi celles-ci, la création d’une autorité administrative indépendante. « A la rentrée, nous souhaitons déposer une proposition de loi pour créer cette structure nationale qui aurait la charge de mesurer comment les politiques de droit commun sont appliquées dans nos territoires », a précisé le maire communiste. Évaluation des discriminations entre les territoires et contrôle de la remise à niveau des services publics constitueraient ses prérogatives.
« Les inégalités, un autre virus qui tue »
Face à la population rassemblée en nombre, une immense banderole est déployée. On peut y lire le message suivant : « Les inégalités, un autre virus qui tue ». C’est en tout cas le message délivré par la dizaine d’interventions venue émaillée l’après-midi. Pour l’hommage, les prénoms des 85 Courneuviens décédés du Covid-19 ont été énumérés, suivis d’une minute de silence. « La situation est très préoccupante, nos populations sont allées au front alors qu’elles sont plus fragiles et le compte n’y est pas aujourd’hui, nous devons bénéficier de mesures plus fortes et déterminées car il existe une ignorance par rapport à ce que vivent nos populations, martèle Gilles Poux. Nous voyons bien que les inégalités arrivent à tuer », poursuit-il.
Pour rappel, le taux de pauvreté à La Courneuve atteint 43 % alors que la moyenne nationale est de 14 %. Dans le même temps, les travailleurs-clés du département ont été fortement exposés puisque celui-ci fournit 18,7 % des caissiers et vendeurs de la région et 21,6 % des livreurs. Education, santé, police, justice et précarité, Gilles Poux, et également Stéphane Troussel, président du conseil départemental, et Marie-George Buffet, députée de Seine-Saint-Denis, ont tenu à visibiliser le « gap énorme », qui subsiste entre leur territoire et le reste de la France. C’est pourquoi ils en appellent à l’Etat : « On a bien trouvé 5 milliards pour Renault, on peut les avoir pour les banlieues », a fait valoir Gilles Poux. Tandis que Stéphane Troussel exhorte le « gouvernement à apporter des réponses dans tous ces domaines car le combat pour l’égalité n’est jamais terminé ».
« Stop aux violences policières »
Ce rassemblement est intervenu au lendemain du rapport du Défenseur des droits Jacques Toubon – intitulé « Discriminations et origines : l’urgence d’agir » – dans lequel il dénonce le caractère systémique des discriminations liées à l’origine ou à la couleur de peau. Le tout dans un contexte de dénonciation des violences policières qui a fait l’objet de plusieurs manifestations en France.
A plusieurs reprises, les habitants répartis sur des marquages blancs au sol afin de respecter les distances de sécurité, ont d’ailleurs scandés : « Stop aux violences policières » ou encore « On n’est pas invisible », dans une ambiance détendue et à quelques mètres des forces de l’ordre qui surveillaient le rassemblement. Comédiens, lycéens, chanteuses, étudiantes ou encore associations sont également venus délivrer un message de vivre ensemble. « Nous sommes tous des Français et des Françaises », se sont exclamées les femmes de la Maison pour tous Youri Gagarine.
A l’image des membres du conseil local pour la jeunesse qui discutent depuis plusieurs mois avec le commissariat de La Courneuve afin d’organiser un échange entre les jeunes de la ville et des agents de police. « Il faut des mesures à la hauteur des enjeux et notre pays y gagnera car l’avenir de la France se trouve dans nos quartiers, la Seine-Saint-Denis compte 30 % de moins de 19 ans », a rappelé le maire à l’accent aveyronnais. A Betty Saint-Hubert, adjointe à la mairie en charge de la lutte contre les discriminations, le mot de la fin : « Nos vies comptent ! »
Stéphane Troussel dénonce « des inégalités qui ont tué en Seine-Saint-Denis »
Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis et présent en 9e position sur la liste de Gilles Poux, a également pris la parole pendant le rassemblement : « Il est bon de se retrouver pour le combat contre les inégalités. Des inégalités qui ont tué en Seine-Saint-Denis car si les malades sont à l’est, les hôpitaux sont à l’ouest. Mais les inégalités ne sont pas présentes uniquement dans la santé car elles ont poussé plusieurs centaines d’élèves au décrochage scolaire. Et pourtant, les habitants du département ont respecté le confinement, peut-être plus que les autres car il est plus difficile de se confiner dans un petit appartement plutôt que dans une maison avec jardin. Nous verrons si le président de la République va réellement faire en sorte que les choses changent car il est temps que l’Etat agisse fortement dans notre département pour que l’égalité ne soit pas uniquement un nom de rue. »
Les six mesures d’urgence :
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- Un réel plan social : instauration d’un RSA pour les jeunes de moins de 25 ans, année blanche pour les expulsions locatives dans le public et le privé pendant une année, mise à niveau des moyens pour lutter contre les violences sexistes et de l’aide sociale à l’enfance.
- Une remise à niveau de tous les services publics : moratoire sur les fermetures de services publics, interdiction des baisses de moyens et remise à niveau de tous les services publics dans les territoires populaires, instauration d’une autorité indépendante pour contrôler la mise en œuvre de cette remise à niveau et évaluer les discriminations entre les territoires.
- Un plan pour la santé : remise à niveau de l’hôpital public, soutien aux centres municipaux de santé et instauration d’un fonds d’incitation à l’installation de médecins dans les zones déficitaires.
- Une vraie politique pour l’emploi dans les quartiers : la création « d’emplois réussite » au sein des grandes entreprises doit se généraliser.
- Un plan pour l’éducation : des moyens pour l’accompagnement éducatif, le soutien scolaire, la remise à niveau des réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) et des médecins scolaires, des moyens contre la rupture numérique, la création d’un service public de la petite enfance, la formation, le recrutement d’aides pour l’accompagnement des élèves en situation de handicap, la généralisation des projets d’éducation artistique et culturels dans les écoles, collèges et lycées.
- Un plan ambitieux de lutte contre les violences policières : interdiction du plaquage ventral, accélération des procédures judiciaires, suspension systématique des policières et policiers impliqués dans une affaire de violences, sessions de formations plus intensives et régulières pour les forces de l’ordre, l’instauration d’un récépissé contre le contrôle au faciès et a minima des assises nationales pour faire émerger d’avantage de solutions et favoriser les relations entre les forces de l’ordre et la population.