Aménagement : outils et financement s’adaptent à la nouvelle donne

Semop, SPLA, SPLA-IN, PUP, AMI… le jargon de l’aménagement n’en finit pas de s’étoffer au gré de la création de nouveaux outils juridiques permettant de s’adapter au cas par cas aux opérations. Pour se familiariser avec ces dispositifs et décrypter leur fonctionnement, le Journal du Grand Paris proposait le 12 septembre 2018 une matinée de formation animée par des professionnels et des experts publics et privés.

« Le monde de l’aménagement et de ses acteurs évolue », a confirmé Nicolas Gravit, lors de la formation sur les nouveaux outils de l’aménagement urbain organisée par le Journal du Grand Paris Formation le 12 septembre. Le directeur général d’Eiffage aménagement constate même « un mélange des fonctions avec des aménageurs qui font de la promotion et des promoteurs qui font de l’aménagement ».

Nicolas Gravit, directeur général d’Eiffage aménagement. ©JGP

Alors que la concession d’aménagement qui s’opère souvent sous forme de ZAC est remise en cause du fait de sa lourdeur et sa longueur, « beaucoup d’acteurs réfléchissent à une façon de faire autrement et d’assurer une meilleure collaboration public/privé », a ajouté Nicolas Gravit

La copromotion monte en puissance

Ainsi, les nouveaux modes de faire la ville s’enrichissent et commencent à entrer dans « une phase de consolidation ». Si la concession d’aménagement continuera bien de fonctionner, elle coexistera à côté d’une palette d’outils dont l’avantage est de pouvoir adapter le dispositif au cas par cas en fonction des attentes de la collectivité. L’engouement pour les appels à manifestation d’intérêt (AMI) initiés par Paris (Réinventer Paris, Inventons la métropole du Grand Paris) illustre ce besoin d’innover et de trouver des alternatives à la raréfaction des finances publiques. « Faire appel à l’imagination et l’expertise des professionnels, et à leur faculté de fédérer des partenaires autour d’un projet est une bonne idée, reste à savoir comment tout cela se concrétisera dans le temps », observe Nicolas Gravit.

Autre tendance, les opérations réalisées en coaménagement entre une SEM et un aménageur privé. Cela permet aux collectivités locales de trouver des partenaires privés qui apportent leurs compétences et des garanties financières, et aux opérateurs publics de se former à la copromotion. « La copromotion par exemple entre une SEM d’aménagement (la SPL ne peut pas faire de copromotion) et un promoteur privé ou un bailleur social se développe car les SEM doivent trouver des leviers complémentaires pour générer du chiffre d’affaires », a complété Aurélien Deleu, directeur du marché du logement et de l’aménagement chez Crédit mutuel Arkéa. « Depuis deux ans, nous finançons de plus en plus d’opérations de ce type ». Un modèle plutôt gagnant/gagnant en permettant à la SEM de bénéficier d’une part de la marge de sortie et au promoteur d’avoir des relations plus simples avec les collectivités locales.

Du macro-lot au PUP

Le développement des macro-lots se confirme également, c’est-à-dire qu’un aménageur public confie à un acteur privé ou un groupement d’acteurs un macro-lot qui interviendra comme « sous-aménageur ». Eiffage aménagement est par exemple mandataire d’un groupement sur une opération de 140 000 m2 à Asnières-sur-Seine. « Mais, se pose ici aussi la question de la frontière entre l’aménagement et le macro-lot ? », convient Nicolas Gravit.

De gauche à droite : Julien Perrault, responsable de clientèle promotion immobilière d’Arkea banque ; Nicolas Gravit, directeur général d’Eiffage aménagement ; Marion Delaigue, avocate associée chez Latournerie-Wolfrom Avocats, et Aurélie Trehout-Decossin, responsable juridique de la ville de Châtenay-Malabry. ©JGP

Une trentaine de professionnels de l’aménagement, issus de structures publiques et privées, étaient présents. © Jgp

Dans le cas où un opérateur privé acquiert un foncier et propose un projet à la ville, l’opération donne lieu à un permis d’aménagement et éventuellement un PUP (projet urbain partenarial) « pour que le privé participe au financement des équipements publics induits par l’arrivée de nouveaux habitants », précise Nicolas Gravit. « Ce dispositif plus adapté à des opérations de taille moyenne (entre 50 000 m2 et 100 000 m2 du surface de plancher) fonctionne bien », à l’instar d’un écoquartier de 1 500 logements que réalise Eiffage aménagement en PUP.

L’Ile-de-France teste les 1res Semop et SPLA-IN

En matière de coproduction public/privé, les innovations les plus observées actuellement sont la Semop (SEM à opération unique) et la SPLA-IN (société publique locale d’aménagement d’intérêt national). Si la Semop peut concerner divers types d’opérations (aménagement, production et distribution d’eau, réseaux de chaleur, exploitation portuaire, etc.), la SPLA-IN est exclusivement réservée à l’aménagement.

Deux nouveautés récemment engagées en Ile-de-France. La première Semop d’aménagement a été créée en 2017 à Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). EPA Marne a également créé une SPLA-IN avec Noisy-le-Grand, la SPLA-IN Noisy-Est, en vue de l’aménagement du pôle gare de Noisy-Champs. Deux autres sont envisagées en Ile-de-France à la gare du Nord à Paris et sur l’ancien site de PSA à Aulnay-sous-Bois. Une SPLA-IN est testée depuis décembre 2017 par Grand Paris aménagement (lire ci-dessous) sur l’opération Porte sud du Grand Paris (Essonne).

La Semop se distingue par sa gouvernance

Si pour aménager le site de l’ancienne école Centrale de Châtenay-Malabry, la ville a opté pour une Semop, c’est non seulement pour bénéficier des capacités de financement d’un opérateur privé, mais aussi « être partie prenante au quotidien » dans le déroulement de cette vaste opération. Sur 20 ha, sera implanté un nouveau quartier mixte comprenant 2 200 logements dont 16 % de sociaux, 40 000 m2 de bureaux, 15 000 m2 de commerces, 19 000 m2 d’équipements publics… La particularité du dispositif ne tient pas à son montage qui est une concession d’aménagement classique, mais à son mode de gouvernance avec un conseil de surveillance et un directoire.

Aurélie Trehout-Decossin, responsable juridique de la ville de Châtenay-Malabry. ©JGP

En effet, il s’agit d’une société de droit privé créée pour exécuter un seul contrat dont le capital est réparti entre la personne publique (entre 34 % et 85 %) et l’opérateur privé. A Châtenay-Malabry, la ville détient 34 % du capital de la Semop, Eiffage aménagement 50 % et la Caisse des dépôts 16 %. « Eiffage a été sélectionnée aux termes d’une procédure classique de mise en concurrence, qui prévoyait d’emblée la création d’une Semop », précise Aurélie Trehout-Decossin, responsable juridique de la ville de Châtenay-Malabry.

La ville : autorité concédante et actionnaire

Tout l’intérêt pour la collectivité est de conserver ainsi une minorité de blocage dans la prise de décision. « Bien que sa participation au capital soit réduite, elle préside la Semop, ce qui lui permet de contrôler l’opération tout en minimisant le risque encouru », a souligné de son côté Julien Perrault, responsable de clientèle promotion immobilière d’Arkea banque. « La ville opère un contrôle en tant qu’autorité concédante mais aussi en tant qu’actionnaire de la Semop », argue Aurélie Trehout-Decossin. Ce qui présente aussi un double intérêt économique pour la ville.

Marion Delaigue, avocate associée chez Latournerie-Wolfrom Avocats et conseil juridique de la ville de Châtenay-Malabry. ©JGP

Mais « la personne publique doit avoir la faculté de jouer ces deux rôles », a prévenu lors de cette formation maître Marion Delaigue, avocate associée chez Latournerie-Wolfrom Avocats et conseil juridique de la ville de Châtenay-Malabry. La vigilance est d’autant plus de mise que « ce fonctionnement n’est pas dans la culture des collectivités locales ». « La mise en place de cette gouvernance doit donc être étudiée et efficace. Il faut prévoir des voies de sortie », a alerté maître Delaigue.

Rythme soutenu

L’opérateur privé y trouve également son compte. « Ce nouveau type de coentreprise public/privé lui permet de devenir actionnaire majoritaire, contrairement à une SEM », a fait valoir Julien Perrault. De plus Eiffage construction pourra construire une partie de l’opération et Eiffage immobilier partager la promotion avec Kaufman & Broad et Icade. Nicolas Gravit apprécie, quant à lui, le fonctionnement au quotidien « qui est remarquable », grâce notamment à « l’implication très forte du maire et de ses équipes » et « aux discussions plus régulières et intenses avec la collectivité que dans une concession d’aménagement traditionnelle, car la ville est actionnaire ».

Ainsi le rythme est soutenu, un an après la création de la Semop les premiers travaux de viabilisation ont débuté et l’école Centrale est démolie. Les premiers permis de construire ont été déposés à l’été et les constructions doivent être lancées en 2019.

« Montage financier sur mesure »

Côté financement, l’envergure du coût de l’opération (220 millions d’euros dont la moitié pour l’acquisition du foncier à l’Etat) a nécessité de réunir un pool de partenaires bancaires constitué d’Arkéa banque, du Crédit agricole Ile-de-France et de la Caisse d’épargne Ile-de-France. Sans garantie publique, c’est le groupe Eiffage qui s’est porté garant du crédit moyen terme. « Avoir la Caisse des dépôts (CDC) comme actionnaire et/ou financeur est source de sécurité pour un banquier, a prévenu Aurélien Deleu. Nous intervenons régulièrement en complément de la CDC. »

Tout en soulignant des points de vigilance juridiques et financiers non négligeables, Julien Perrault voit dans la Semop plusieurs avantages pour la banque : « ce montage complexe fait appel à toutes ses compétences (immobilier, infrastructure, direction générale et institutionnelle) et nécessite d’en développer de nouvelles ». Dès lors, le banquier voit son rôle « renouvelé » pour n’être plus seulement « un fournisseur de crédit mais un partenaire », proposant « un montage financier sur mesure ».

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