Construire le Grand Paris jusqu’au Havre : dix ans après la formalisation des premiers rêves, le colloque organisé jeudi 7 février 2019 par la Délégation interministérielle au développement de la Vallée de la Seine et Le journal du Grand Paris faisait le point sur les multiples initiatives prises pour former une véritable entité écologique et économique.
« Nous sommes tous convaincus que l’ouverture du Grand Paris à l’international est un enjeu majeur. Nous sommes tous convaincus que l’un des moyens de cette ouverture est l’axe Seine, en s’appuyant sur l’ensemble du tissu économique et urbain qui le borde. » Le Premier ministre Edouard Philippe a profité du colloque consacré à la Vallée de la Seine, organisé par la délégation interministérielle au développement de la vallée de la Seine et le Journal du Grand Paris en partenariat avec les conseils régionaux d’Ile-de- France et de Normandie, Haropa, EDF et l’agence de l’eau Seine-Normandie, pour renouveler son engagement en faveur d’une plus grande intégration le long de la vallée de la Seine. Et pour annoncer, dans la foulée : oui, l’Etat souhaite renouveler le contrat de plan interrégional Etat-Régions (CPIER) signé en 2015 et qui se termine en 2020. Une bonne nouvelle pour les 300 acteurs du territoire réunis pour l’occasion.
« Car longtemps, le fleuve a été maltraité. Aujourd’hui, la vallée de la Seine est l’objet d’une dynamique qui s’est incarnée dans un schéma commun et implique de très nombreux acteurs, publics et privés. D’où l’intérêt de présenter les regards croisés que portent chacun d’entre eux sur ce projet », a expliqué François Philizot, délégué interministériel au développement de la Vallée de la Seine, en introduction de cette journée du 7 février 2019.
Regards croisés sur la vision stratégique tout d’abord : « une métropole globale est nécessairement une ville qui a une ouverture sur la mer », a rappelé Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris. Pour autant, « on ne fera pas la vallée de la Seine si on ne construit pas un grand récit métropolitain. Tous les projets doivent être liés par une histoire commune », a souligné Antoine Grumbach, architecte-urbaniste et créateur, en 2008, des toutes premières visions du Grand Paris jusqu’au Havre.
Les entreprises s’invitent dans la réflexion
« Ainsi, la Seine voit déjà passer 20 millions de tonnes de marchandises par an et des millions de passagers. Mais ce rôle peut considérablement augmenter sans investissements importants », a assuré Dominique Ritz, directeur territorial Bassin de la Seine de Voies Navigables de France. De fait, outre les pondéreux, le fleuve va transporter de plus en plus souvent des produits à valeur ajoutée, qu’il s’agisse de conteneurs ou de logistique du dernier kilomètre.
Encore faudrait-il simplifier, et, surtout, harmoniser, les règles qui s’appliquent le long du fleuve, qu’il s’agisse de règles foncières, de contrôle des installations classées, etc., a souligné Erwan le Meur, directeur général adjoint de Paprec et président de SeinePort Union, association qui fédère les trois communautés portuaires du Havre, de Rouen et de Paris. « Car les entreprises ne sont pas assez intégrées dans la réflexion sur la gouvernance de l’axe Seine », a-t-il estimé.
La Seine en mal de gouvernance
Plusieurs participants l’ont du reste souligné : l’approfondissement de la démarche d’intégration de la Vallée de la Seine suppose une révision de la gouvernance du fleuve. Qu’il s’agisse de logistique, comme évoqué par Erwan Le Meur, ou d’urbanisme : « ainsi, la question de la Seine est essentielle dans notre travail sur le schéma de cohérence territoriale (Scot) du Grand Paris, a estimé Ivan Itzkovitch, conseiller métropolitain du Grand Paris. Car si nous souhaitons densifier la ville, tout en arrêtant d’imperméabiliser les sols surtout à proximité du fleuve, nous devons édicter des règles opposables imposant, par exemple, une certaine hauteur minimale des bâtis. »
Le premier ministre Edouard Philippe l’a annoncé lors du colloque : Catherine Rivoallon, présidente du conseil d’administration du port autonome de Paris, sera chargée de préfigurer l’établissement public regroupant les trois grands ports de l’axe Seine (Le Havre, Rouen, Paris) . « Sa mission est de faire naître l’établissement au plus tard le 1er janvier 2021 », a précisé le Premier ministre. D’ici à l’automne 2019, elle proposera les règles de fonctionnement du nouvel ensemble. Ce dernier sera doté d’implantations territoriales, « pour faciliter notamment, a souligné Edouard Philippe, le flux d’interactions locales, le contacts avec les élus mais aussi avec les acteurs sociaux ». Et de conclure : « Le port intégré va constituer le fer de lance de la nouvelle logistique de l’axe Seine. »
A Paris, Jean-Louis Missika juge, lui aussi, indispensable une gouvernance claire, permettant de gérer, dans les villes, la proximité avec les rives. « L’initiative que nous avons prise avec la création de l’atelier de réflexion sur la Seine est justement de réunir toutes les parties prenantes qui ne sont pas aujourd’hui autour de la table : associations de riverains, entreprises privées, etc. »
Vers l’intégration économique et logistique
Car l’enjeu est écologique – le fleuve est un indicateur de l’état de notre planète – a souligné Arnaud Leroy, président de l’Ademe, mais aussi touristique, logistique et industriel. Au Havre, Luc Lemonnier, président du pôle métropolitain Seine Estuaire, se réjouit ainsi « de l’outil extraordinaire que constitue le projet Vallée de la Seine ». Mais à la métropole Rouen Normandie, Frédéric Sanchez espère surtout un approfondissement des coopérations. Président d’une métropole confrontée à une désindustrialisation rapide, il le constate en effet : « Notre « derby » historique avec le Havre n’a pas forcément été favorable à une coopération harmonieuse. »
La Vallée de la Seine a pourtant d’ores et déjà une existence réelle pour plusieurs pôles de compétitivité : Mov’eo par exemple, spécialisé dans la mobilité, est, depuis sa création, normando-francilien. Cosmetic Valley, basé à Chartres, est, dans les faits, à moitié constitué d’entreprises franciliennes ou normandes. Reste à développer les visions, mais aussi à fluidifier la logistique. « Elle joue un rôle important dans l’attractivité de Paris. Le Grand Paris est d’autant plus fort qu’il peut construire un discours sur l’axe Seine », a souligné Alexandre Missoffe, directeur général de Paris-Ile de France Capitale Economique.
Mais comment développer le trafic fluvial, qui reste souvent plus coûteux que la route, tout en le rendant plus vert ? Le combiner plus fréquemment avec le fer ? A des échelles très différentes, Jonathan Sebanne, directeur général de Sogaris, spécialiste de la logistique urbaine, tout comme Jacques Gérault, conseiller institutionnel de CGA-CGM, s’y efforcent. « Aujourd’hui, constate ce dernier, plus de 70 % de nos conteneurs sont transportés par la route. » Un défi que devra donc relever le futur Haropa intégré !
Didier Bariani, conseiller régional d’Ile-de-France délégué spécial à la coopération interrégionale
« La Seine doit être l’instrument d’une grande ouverture de notre capitale sur les autres continents »
« Les régions disposent aujourd’hui de compétences largement fortifiées. Mais quand bien même elles pourraient devenir autosuffisantes, elles ne peuvent pas vivre en autarcie », a souligné Didier Bariani, conseiller régional d’Ile-de-France délégué à la coopération interrégionale. Déjà, plus de 50 000 personnes font chaque jour la navette entre la Normandie et l’Ile-de-France, et la Seine est un élément stratégique pour la Capitale. Elle constitue l’indispensable accès à la mer, celle qui permet de capter une plus grande partie du trafic maritime mondial de conteneurs, de développer des activités économiques sur son long, l’instrument d’une plus grande ouverture sur les autres continents. En 2008, lors des premières réflexions, le projet n’avait pas encore de réalité. Aujourd’hui, les acteurs de la Vallée de la Seine travaillent sur de multiples projets innovants. »
Jean-Baptiste Gastinne, vice-président du conseil régional de Normandie chargé des transports et des ports
« Nous devons faire de la Seine un espace pro-business »
« Depuis les premières esquisses du projet, il y a dix ans, beaucoup a été fait pour développer la vallée de la Seine. Mais beaucoup reste à faire », a prévenu Jean-Baptiste Gastinne, vice-président du conseil régional de la Normandie. Ainsi, la ligne ferroviaire nouvelle de Paris-Normandie reste un sujet majeur car la région Normandie court dans la compétition des territoires avec un boulet au pied. De la même façon, si le GIE Haropa a été utile, il a atteint ses limites et nous devons avancer vers plus d’intégration dans nos systèmes portuaires. Sur la Seine, nous devons rénover des écluses et barrages, et construire la chatière qui reliera la Seine à port 2000 pour augmenter la part modale du fleuve. Mais in fine, nous devons faire de la Vallée de la Seine un espace pro-business, promouvoir l’industrie, promouvoir des chaînes logistiques efficaces. »