Les opérateurs des secteurs de l’énergie, des télécoms, des mobilités ou de la logistique ont saisi l’occasion offerte pas les 2e Assises du Grand Paris pour détailler leurs stratégies de décarbonation.
L’électricité a un rôle majeur à jouer dans la décarbonation de la région Capitale et les Jeux de Paris en ont constitué une démonstration. « Les process électriques affichent en général des meilleurs rendements que leurs équivalents thermiques, à l’instar des pompes à chaleur : avec un kWh d’électricité, elles produisent 4 à 5 kWh de chaleur », a rappelé Christophe Donizeau, délégué relations institutionnelles en Ile-de-France d’EDF. Partenaire des Jeux, l’électricien « les a alimentés à 100 % en électricité renouvelable. Nous avons également raccordé plusieurs sites au réseau pour éviter le recours à des groupes électrogènes polluants, et construit une ombrière souple de 800 m2 pour alimenter le centre d’accueil et d’information des athlètes. Sans compter qu’une centrale flottante solaire a été installée sur la Seine qui a fourni 70 % de la consommation d’électricité du petit centre commercial du Village des athlètes », a complété Emmanuelle Assmann, escrimeuse, ancienne présidente du comité paralympique et sportif français et responsable gestion de projet Paris 2024 à EDF.
Le mix énergétique du futur ne sera toutefois pas 100 % électrique. Le biogaz tiendra également sa part, ont promis les intervenants de la table ronde « Vers une énergie toujours plus verte ». Du biogaz, « le Siaap en produit depuis longtemps – 80 ans par exemple sur notre site d’Achères, dans les Yvelines », a rappelé François-Marie Didier, président du Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne, ajoutant : « jusqu’à présent, cette production – environ 500 GWh par an au total -, était autoconsommée. Mais, depuis le 27 novembre, une partie est réinjectée sur le réseau de distribution publique à partir de notre usine de Valenton (Val-de-Marne). Produire du biogaz est un enjeu de souveraineté, de maîtrise des coûts, d’empreinte environnementale ». Frédéric Moulin a poursuivi : « nous avons un engagement très fort pour soutenir les filières de production de biogaz en Ile-de-France. » Couplée à une baisse très forte des consommations (- 30 % d’ici à 2030), sa montée en puissance permettra de réduire l’empreinte carbone de la région Capitale, a souligné le directeur territorial Paris de GRDF, le réseau de distribution de gaz. « Le potentiel est très important dans la région », a poursuivi Pierre Monin, délégué territorial Val-de-Seine de GRTgaz, le réseau de transport du gaz. « Outre les gisements agricoles, la méthanisation peut se nourrir des biodéchets. En outre, d’autres technologies de production sont à explorer pour produire du gaz vert, comme la pyrolise et la gazéification hydrothermale ».
L’hydrogène, molécule multi-fonctions
Pierre-Yves Dulac, directeur délégué régional d’Engie, a souligné pour sa part le rôle que peut jouer l’hydrogène dans le mix énergétique. Une molécule déjà très présente sur la plateforme aéroportuaire de Roissy, où elle sert, par exemple, au transport des bagages, a-t-il rappelé. A Gennevilliers (Hauts-de-Seine), l’énergéticien travaille également à une station multi-énergie incluant l’hydrogène. Au Havre, il construit une usine qui utilisera ce vecteur énergétique pour produire du CO2 biogénique. Celui-ci alimentera un autre site dont la construction est prévue, baptisé Kereauzen. Celui-ci fabriquera du kérozène décarboné approvisionnant les plateformes aéroportuaires d’Orly et de Roissy.
La décarbonation, TotalEnergies la vit au quotidien, a insisté Laurent Tricot, directeur de la coordination régionale Île-de-France de l’énergéticien. « D’ores et déjà, le pétrole ne représente plus que 50 % de nos ventes, et nous n’en écoulerons quasiment plus en 2050 ». L’Ile-de-France constitue un démonstrateur de cette transition. A Gargenville (Yvelines) et Grandpuits (Seine-et-Marne), deux impressionnantes centrales solaires sont désormais en fonctionnement. Et l’ancienne raffinerie seine-et-marnaise sera demain spécialisée dans la fabrication de SAF – carburants d’aviation durables – dont elle représentera 20 % de la production du groupe.
La ville numérique à l’épreuve de la transition
S’il est un domaine pour lequel la décarbonation représente un véritable défi c’est, paradoxalement, le numérique. Souvent considéré comme un outil incontournable pour réduire l’impact environnemental de nombreux secteurs, il s’érige toutefois, désormais, en problème environnemental. En 2022, selon l’Ademe, ce secteur représentait déjà 2,5 % de l’empreinte carbone de la France. Soit un peu plus que le secteur des déchets. Et 10 % de la consommation électrique annuelle. Circonstance aggravante : cet impact progresse extrêmement rapidement. Il pourrait tripler d’ici à 2030, a estimé l’agence de l’environnement. En cause : la progression exponentielle des usages et des terminaux.
Vivien Molinengo, responsable des affaires publiques Ile-de-France de RTE, constitue un témoin privilégié de ce phénomène. Si, pour l’heure, seule une poignée de data centers franciliens sont connectés au réseau de transport d’électricité, ce dernier a déjà signé des engagements de raccordement pour une trentaine d’autres. Et une vingtaine supplémentaire a déjà montré son intérêt. « Si tous ces projets se réalisent, cela représentera une puissance équivalente à celle nécessaire, en heure de pointe hivernale, à l’approvisionnement de la Métropole », a-t-il indiqué. Outre l’impact environnemental de ces futures consommations, elles risquent également d’avoir un effet d’éviction sur d’autres entreprises, notamment industrielles, susceptibles de s’implanter aux mêmes endroits et qui ne pourraient pas disposer de liaisons électriques suffisantes. C’est pourquoi, a expliqué Vivien Molinengo, un travail est en cours avec l’Institut Paris Region et la préfecture de région pour tenter de définir des zones prioritaires d’installation.
« La consommation énergétique des data centers n’est pas leur seul impact sur l’environnement », a précisé Cécile Diguet, fondatrice de Studio dégel. De plus en plus grands, « ils ont également un impact foncier, paysager, et sur les consommations d’eau ». L’eau constitue en effet une source de refroidissement des serveurs.
Maîtriser les usages
Directeur du développement durable d’Amazon web services, Philippe Desmaison a expliqué comment son entreprise travaillait pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2040. Réutilisation d’anciens data centers privés d’entreprise, construction de centres de données en béton et acier bas carbone, en constituent quelques ingrédients. Mais le géant américain conçoit également lui-même ses puces et ses serveurs pour éviter leur surdimensionnement. « Car nous vendons des services et non du hardware », a précisé Philippe Desmaison. Toutefois, a-t-il ajouté, « le cloud est le transport en commun des technologies de l’information. Le fait qu’il soit facilement accessible peut conduire à en augmenter l’usage ». C’est pourquoi le directeur du développement durable tente, souvent, d’infléchir les choix de ses clients, pour qu’ils maîtrisent mieux leurs besoins.
A Orange, Karelle Mbobda-Kuate, déléguée régionale Ile-de-France sud et est, est confrontée à la même problématique. Certes, l’opérateur recycle ses matériels- responsables des trois quarts de l’empreinte carbone du numérique. Il commence également à décommissionner son réseau fixe en cuivre, le réseau fibre étant bien moins gourmand en énergie. Il devrait également bientôt démanteler les premières générations de réseau mobile : la 2G et la 3G représentent, ensemble, plus de la moitié des consommations d’électricité des réseaux mobiles. Mais comment faire en sorte que ses clients ne profitent pas de cette bande passante élargie pour faire exploser leurs usages ? Pour ce faire, l’opérateur a créé une application spécifique, qui permet à ses clients de connaître leur consommation et leur impact.
A la métropole du Grand Paris, Geoffroy Boulard, vice-président en charge de la communication et du numérique, oeuvre également à cette sensibilisation. Certes, la Métropole a lancé plusieurs programmes pour aider les villes de la zone dense à utiliser à bon escient les outils numériques. Tel est l’objectif, par exemple, du programme Numérique pour tous. Mais elle leur propose également des audits, a expliqué Geoffroy Boulard, afin qu’elle puisse mieux maîtriser leurs usages numériques. L’élu a, par ailleurs, organisé une visite d’un data center : cela permet aux édiles municipaux de mieux connaître le fonctionnement de ces équipements, et de mieux comprendre leur impact lorsqu’ils sont confrontés à des demandes d’implantation.
Transports et mobilités durables : comment passer à la vitesse supérieure ?
L’enjeu de la décarbonation est au cœur du Plan climat air énergie révisé de la métropole du Grand Paris dont l’ambition consiste à réduire l’impact carbone de l’ensemble des communes concernées à travers des actions concertées sur les politiques d’urbanisme, de logement mais aussi et surtout de transport. C’est ce que Jean-Michel Genestier, vice-président de la MGP en charge des transports est venu rappeler à l’occasion des 2ème Assises du Grand Paris. Citant une expérimentation menée à Argenteuil (Val d’Oise) d’aires de livraison surveillées, dispositif permettant de limiter les déplacements de camions, il a également souligné le soutien de la Métropole au rétrofit des motorisations des véhicules commerciaux et d’artisans, soit une cible de 4 000 unités qui pourraient passer à l’électrique.
Côté trajectoire, Jean-Yves Marie-Rose, référent transport, mobilités et hydrogène de l’Ademe Île-de-France l’a confirmé : « nous sommes sur de bons rails », grâce à la mobilisation des acteurs qui, pour aller plus loin, doivent pouvoir compter sur « le rôle de stratège de l’Etat ». Richard Limier, responsable d’études en politiques et services de mobilités et logistique urbaine au sein du Cerema, a pour sa part rappelé « qu’il n’existe pas une mobilité francilienne mais des mobilités franciliennes », surtout lorsque l’on s’éloigne de Paris. Selon lui, « le développement du vélo entre Paris et la petite couronne produit déjà ses effets », même si la voiture reprend ses droits dès que l’on s’éloigne du cœur de la métropole… a fortiori lorsque l’on observe les liaisons banlieue-banlieue victimes de sous-investissement.
« Il n’y a pas de recette miracle »
S’agissant du transport de fret, l’autorité portuaire milite sans relâche pour le développement du mode fluvial, « la grande solution en matière de décarbonation », a assuré le directeur général d’Haropa port, Antoine Berbain. Haropa agit donc pour « structurer ces flux de marchandises » et ainsi éviter autant de camions sur les routes franciliennes, sachant qu’une barge correspond au chargement de 125 camions. Désormais, a assuré le directeur général d’Haropa, « le mode fluvial devient une vraie alternative au transport routier ». Avec en outre un atout de circonstance : le positionnement de plateformes portuaires en marge de la ZFE métropolitaine (zone à faibles émissions) qui permet aujourd’hui à de grands distributeurs tels que Ikea France ou encore Franprix d’effectuer des livraisons fluviales en plein cœur de la Capitale. En conclusion, Richard Limier a expliqué « qu’il n’y a pas de recette miracle » pour décarboner, mais qu’il faut envisager un bouquet de solutions « qui doivent avancer ensemble ».
Catherine Bernard & Guillaume Ducable